Depuis 1881, l’ESAT des Catalans répare chaises et fauteuils. Au sein de cet établissement marseillais, ce sont des personnes en déficience visuelle qui font vivre un savoir-faire artisanal. Reportage.
À deux pas de la plage des Catalans, l’Institut départemental de développement de l’autonomie (IDDA) est un des pionniers en France dans la prise en charge des adultes en déficience visuelle.
Depuis sa création en 1881 par le Docteur Nicati, l’IDDA a conservé un savoir-faire artisanal puisqu’il est spécialisé dans la restauration et la fabrication de mobilier en bois. Cannage, rempaillage, tapisserie… les travailleurs au sein de l’IDDA, devenu dans les années 80 un Etablissement et service d’aide par le travail (ESAT) avec la loi Handicap de 2005, font perdurer ces métiers oubliés.
« Au toucher et au son »
« On regarde rien, on fait tout au toucher et au son » s’exclame Abdelatif, 58 ans, malvoyant, en enfonçant un clou dans la chaise. Cela fait plus de trente ans qu’il travaille au sein de l’ESAT. Grâce à une table réhaussable, il peut soulager ses yeux et se mettre à hauteur du plan de travail.
Maria, elle, est née malvoyante. Son handicap n’a été découvert qu’à l’âge de 20 ans. Travaillant auparavant dans le domaine médical, elle a dû réorienter sa carrière professionnelle, faute de décrocher des contrats. « J’ai décidé de venir dans la région marseillaise pour trouver mieux » confie-t-elle. Maria a ainsi intégré l’ESAT des Catalans, il y a deux ans et demi, où elle excelle dans l’art du cannage. Un savoir-faire qu’elle a acquis sur place, au contact de ses collègues.
Seule structure du département spécialisée dans la prise en charge des adultes en déficience visuelle, la structure accueille d’autres personnes en situation de handicap, pour lesquelles le recrutement est long. « Il y a un an et demi d’attente en moyenne pour intégrer notre structure, que ce soit en ESAT ou au sein du service d’accompagnement à la vie sociale » déclare Cyril Boureau, ergonome, en charge du Service d’accompagnement à la vie sociale.
Aujourd’hui, 75 personnes en situation de handicap, dont 51 en déficience visuelle, y travaillent. En plus de différents ateliers, l’ESAT a ouvert dans les années 90 un service aux entreprises avec des ateliers de conditionnement, de routage et de numérisation, et travaille avec des entreprises locales telles que la savonnerie de Marius Fabre ou encore la start-up Krokola, qui a relancé les fameuses tablettes de chocolat Merveilles du Monde.
« Sans l’ESAT, je serais chez moi »
Au sein de la structure, il n’est pas rare d’entendre parler de la situation difficile des personnes porteurs de handicaps. Malgré les structures adaptées et le développement de l’accueil de personnes porteuses de handicap, bénéficiaires de l’obligation d’emploi (OETH), le taux de chômage était de 14% à la fin du premier trimestre 2022, contre 8% pour l’ensemble de la population, selon le ministère des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées.
Par ailleurs, certains, comme Nasser, travailleur au sein de l’ESAT depuis 38 ans, remet en cause le statut qui leur est octroyé. « C’est vrai, on travaille, mais à quel prix ? À 55% du SMIC, 35h par semaine. On n’est pas considéré comme des travailleurs aux yeux de la loi », exprime, mécontent, le plus ancien canneur de la structure.
« Le niveau de ressources des personnes en ESAT n’est pas inférieur à ceux travaillant dans le milieu ordinaire. En revanche, la façon dont ces ressources leur sont allouées, à la fois par le travail et les allocations, cela crée un sentiment d’injustice » déclare Cyril Boureau.
En effet, non reconnus comme salariés, les travailleurs en ESAT touchent entre 55 et 110% du SMIC, selon les établissements, auxquels viennent s’ajouter l’allocation adulte handicapé (AAH) qui varie en fonction du revenu perçu. Augmenté en 2023, le montant maximum de l’AAH s’élève à 971,37 euros par mois contre 956,65 auparavant. Celui-ci peut être abaissé selon les ressources du bénéficiaire.
Un statut qui fait débat, mais la France continue de mener une politique d’inclusion pour améliorer l’autonomie des personnes en situation de handicap. Au 1er octobre 2023, prendra effet également la déconjugalisation de l’aide. Jusqu’ici, le montant était calculé selon les parts fiscales du foyer et non de la personne handicapée. D’après Nicolas Carvalho, journaliste à France Info, 160 000 personnes verront leur allocation augmenter de 300 euros par mois en moyenne.