L’entreprise américaine Nautilus Data Technologies va installer son data center flottant dans le port de Marseille-Fos. Une technologie plus économe en énergie. À Marseille, 11 projets de centres de données sont dans les cartons. De quoi provoquer quelques bouffées de chaleur aux élus locaux !
Un data center plus durable ? C’est la promesse de l’entreprise américaine Nautilus Data Technologies. D’ici à quelques mois, la société va installer deux data centers flottant de 7,5 mégawatts : le premier à Los Angeles et le second dans le port de Marseille-Fos. « C’est un concept original qui nous permet d’avoir des solutions assez exemplaires en termes environnementaux », souligne Hervé Martel, président du directoire du port de Marseille-Fos, à l’occasion de la présentation du bilan et perspectives.
En tant que deuxième marché de data centers, « nous ne voulions pas amener n’importe quel centre de données sur notre site. Nous voulions apporter un centre de données qui considère vraiment son effet sur la communauté, qui ne gaspille pas nos ressources et fonctionne avec moins d’énergie ».
Grâce à son procédé, Nautilus promet une réduction de son empreinte environnementale : « La technologie de refroidissement Nautilus ne consomme pas d’eau et fonctionne en utilisant 30% d’énergie en moins, ce qui en fait les centres de données les plus efficaces et les plus durables disponibles sur le marché », avance l’entreprise.
Marseille, site géo-stratégique
Ce n’est pas un hasard si Nautilus a choisi la cité phocéenne pour déployer sa technologie. Le site ciblé est à moins de trois kilomètres de la station d’atterrissement de câbles la plus proche et à proximité d’autres points d’accès majeurs.
La France est le seul pays d’Europe à disposer de deux hubs d’interconnexion d’envergure : un dans la capitale, l’autre à Marseille, véritable porte d’accès numérique entre l’Europe, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie via les câbles sous-marins.
C’est également le centre d’interconnexion qui connaît la plus forte croissance en Europe ces dernières années. Une activité qui place la ville au septième rang mondial des hubs numériques et devrait se hisser dans le top 5 d’ici à 2024.
En quête de solutions vertueuses
Faut-il pour autant courir vers une croissance exponentielle des infrastructures liées au secteur du numérique, sans frein et sans une approche de sobriété ? Quand il s’agit d’efficience énergétique et de réduction de leur empreinte sur l’environnement, tous les data centers ne sont pas égaux. Marseille accueille 5 data centers dont 4 appartenant à Digital Realty France (ex-Interxion) sur l’emprise du port Marseille-Fos. Ce dernier a développé avec ses partenaires une innovation unique en France.
La technologie « River Cooling » récupère la fraîcheur de l’eau de la « Galerie de la mer » creusée à la fin du XIXe siècle entre Gardanne et le Grand Port maritime de Marseille, pour refroidir de façon naturelle, par échange thermique, l’ensemble des infrastructures du groupe, à savoir MRS1, MRS2, MRS 3 et MRS4 livré récemment. Cette solution permet à l’entreprise d’annoncer être 30 fois plus économe en énergie qu’en utilisant une solution de refroidissement classique.
Même si les entreprises tendent vers des solutions plus durables, les data centers sont vivement critiqués, car ils restent très gourmands en énergie. C’est justement ce que pointe du doigt le groupe écologiste de la Ville de Marseille, qui a décidé de se saisir du sujet. Dans leur viseur, notamment, la chaleur fatale rejetée et non-réutilisée, alors que des solutions de réemploi existent, avancent aujourd’hui des experts.
À ce sujet, Digital Realty entend récupérer ces calories à l’horizon 2025 pour alimenter Massileo et le réseau de chauffage urbain. « C’est mieux que rien, estime Sébastien Barles, adjoint à la transition écologique, mais on aimerait qu’il y ait vraiment un effort d’investissement et d’intégration urbaine de ces data centers avec sens. Par exemple, la Ville de Paris a permis la création d’un petit data center à côté d’une piscine. Cela permet d’alimenter un équipement municipal avec la chaleur fatale utilisée. C’est vertueux », expose-t-il.
Et il parle de co-bénéfices directs pour le territoire : « Ils pourraient amener du chauffage ou de la climatisation à de nouveaux bâtiments de type résidentiel, par exemple, ça permettrait de faire baisser la facture énergétique et d’avoir un impact positif sur le territoire ».
Des éco-conditions d’implantation des data centers
À cette problématique énergétique s’ajoute un cruel déficit de foncier économique à Marseille, qui fait dans le même temps face à une forte demande d’entreprises souhaitant installer leurs centres de données sur le territoire. Des espaces municipaux délaissés aux sites, mêmes dégradés, au fin fond de la chaîne de l’Étoile ou de la Nerthe, 11 projets sont actuellement dans les cartons.
Pour éviter de futures implantations « anarchiques », maîtriser le foncier économique et réduire l’impact environnemental, Sébastien Barles milite pour la mise en place d’un schéma directeur à l’échelle de la métropole Aix-Marseille Provence. Cette planification « est essentielle, estime l’élu. La présidente de la Métropole a été très réactive sur la question de la logistique urbaine, c’est utile, mais c’est aussi utile si ce n’est plus, compte tenu des enjeux sur le foncier économique d’avoir ce schéma directeur sur les data centers ».
D’autres territoires comme la Suède ou les Pays-Bas ont décidé de poser des conditions à leur implantation. Autre exemple : « En Allemagne, au niveau fédéral, les nouveaux centres de données doivent être alimentés en 100% renouvelables, et éviter d’aller puiser dans des eaux déjà fragilisées. Le pays plaide pour une récupération de 40% de chaleur fatale. Les centres de données sont à la pointe du numérique, ils peuvent être à la pointe des énergies renouvelables ».
Fin 2022, Sébastien Barles, le député européen David Cormand et d’autres élus ont demandé un moratoire sur les centres de données à Marseille et une taxation en fonction de leur volume de stockage. « Il y a pour nous une fiscalité aberrante. À Marseille, on prend du foncier pour stocker des données, mais ce ne sont pas des marchandises inertes. Elles produisent de la valeur quand elles sont stockées, c’est pourquoi il faut mieux taxer ces données », poursuit Sébastien Barles.
Si cela se joue au niveau européen, cette meilleure taxation permettrait, selon l’écologiste, de financer des projets liés à la transition. Sur le foncier terrestre du port par exemple, il estime que d’autres projets auraient pu voir le jour et une activité économique beaucoup plus novatrice et pourvoyeuse d’emplois, autour de la recherche et développement, des nouveaux modes de déplacements plus écolos, « comme par exemple une plateforme de fret en ballons dirigeables ». Une idée évoquée à l’époque de l’émergence des pôles de compétitivité il y a quelques années.
Les enjeux autour du foncier économique
Une vision que partage Laurent Lhardit, adjoint au maire de Marseille, en charge du dynamisme économique, de l’emploi et du tourisme durable. « Nous avons des data centers qui, dans leur modèle économique, ne créent pas beaucoup d’emplois. Là où sont ces « hyperscalers » (centre de données de grande taille) si on met de l’industrie productive, on a 3 à 10 fois plus d’emplois, cela n’a strictement rien à voir ».
Face à ce manque de foncier, une étude réalisée par la municipalité en 2021 fait état d’une cinquantaine d’entreprises qui n’ont pas pu étendre ou installer leur activité, soit l’équivalent de 3000 emplois. Dans ce contexte contraint, les espaces disponibles au sein du port de Marseille-Fos s’avèrent une denrée précieuse.
Ces enjeux se cristallisent d’ailleurs autour de l’avenir du silo à sucre, sur lequel lorgne Digital Realty comme d’autre opérateurs pour installer leur data center. Si plusieurs projets ont été soumis au GPMM qui doit désormais les départager, un centre de logistique urbaine décarbonée apparaît plus profitable au territoire, comme l’indique le schéma métropolitain sorti fin 2022.
Avec la mise en place de la Zone de faibles émissions mobilité (ZFE-m), la cité phocéenne a besoin de grandes plateformes logistiques à l’entrée de la ville. « Dans la mesure où nous avons un déficit de foncier économique sur le territoire de la ville, trouver sur le port un foncier qui puisse répondre à un de ces besoins, c’est idéal », ajoute Laurent Lhardit.
Des capacités énergétiques insuffisantes
Mais un autre problème se pose. Rien que sur les 11 projets de data centers identifiés, l’appel de puissance avoisinerait les 400 mégawatts, soit 2/3 de la consommation totale de la deuxième ville de France. Sans compter qu’aucun ne semble faire de propositions suffisamment probantes aux yeux de la municipalité en termes de récupération de chaleur fatale.
C’est une question énergétique sur laquelle la Ville s’est interrogée avec la direction régionale d’EDF et de la RTE. « En l’état actuel des installations et des capacités de puissance, des arbitrages seront nécessaires », explique Laurent Lhardit. A savoir : électrifier l’ensemble des formes de réparation navale et en même temps répondre aux besoins des futurs data centers. « Il y a un conflit d’usages au niveau de l’alimentation électrique et du réseau. C’est pourquoi, mettre cette condition d’alimentation en renouvelable est une vraie exigence », estime Sébastien Barles.
Concertation, études, plan d’actions
C’est pourquoi aussi « on a besoin de se poser clairement pour examiner toutes ces questions », reprend Laurent Lhardit. La Ville a d’ailleurs adressé fin novembre un courrier explicite à la Métropole, pour demander la mise en place d’une concertation et parallèlement un schéma métropolitain sur les data centers. « Dans cette attente, nous prendrons les décisions à la seule lumière de l’intérêt des Marseillais(es) », affirme l’adjoint.
La Métropole participe à un groupe de travail réuni par l’Etat sur le sujet « avec l’ensemble des parties prenantes ». Des études sont également en cours pour mesurer plus précisément l’impact des data centers, mais aussi leur valeur pour le territoire.
D’ores et déjà, si les travaux engagés mettent en évidence des enjeux énergétiques et environnementaux avérés, ils démontrent aussi que le secteur est en pleine évolution et « que les opérateurs confirment leur engagement dans la conception de solutions innovantes leur permettant de réduire leur impact et leur consommation d’électricité. Il reste à comprendre plus précisément quelle est la valeur ajoutée de ces équipements pour l’écosystème en termes d’emploi et de services », nous précise la Métropole, qui préconise d’attendre l’ensemble des conclusions pour envisager un plan d’actions.