Création d’une foncière commerce pour accélérer les projets, guichet unique, extension du droit de préemption sur la ville, Maison du commerce… Rebecca Bernardi, adjointe aux commerces et à l’artisanat, revient sur les enjeux de 2023.
« 2023, l’année des noyaux villageois ». Au-delà de la rime, cette petite phrase de Rebecca Bernardi, en amont du dernier conseil municipal de l’année, illustre la stratégie de reconquête commerciale de la Ville de Marseille. En déployant le droit de préemption à l’ensemble des 111 noyaux villageois, la municipalité entend lutter contre la vacance commerciale et la désertification de certains quartiers.
Depuis deux ans, le service commerce a engagé une réflexion dans le but de déployer des dispositifs permettant à la Ville à la fois de maîtriser les futures implantations, en cohérence avec son ADN, tout en contribuant à l’attractivité de la deuxième ville de France.
Outre le droit de préemption, levier efficace, la municipalité prévoit de déployer cette année une foncière commerce et un guichet unique pour faciliter les démarches. Une Maison du commerce pourrait également voir le jour. Rebecca Bernardi revient sur ces temps forts de l’année 2023.
La Ville a décidé de s’emparer pleinement de son droit de préemption. Combien de locaux ont été préemptés ou attribués depuis votre arrivée ?
Dans le centre-ville, 5 locaux avaient été préemptés par la mandature précédente et n’avaient pas été attribués. Nous nous sommes chargés d’attribuer 12 locaux, dont les 5 en question. On est en effet passé en force sur ce sujet-là, sachant que la préemption est une procédure très lourde pour la Ville, parce qu’on se substitue au propriétaire. La plupart du temps, on doit faire des travaux dans les locaux que l’on a préemptés pour remettre en appel à projets des locaux sains.
Le service commerce s’est professionnalisé. Désormais, on a l’aide d’avocats pour chaque préemption, ce qui nous permet aussi de négocier les meilleures conditions avec l’avocat de la partie adverse. Par exemple, l’échelonnement des loyers pour le futur repreneur. Sur les deux dernières années, on a terminé une préemption tous les deux mois, ce qui est quand même un tour de force.
À quel moment décidez-vous de jouer cette carte ?
La préemption est une mesure à plusieurs niveaux. Sur le papier, ça nous place prioritaire sur tous les locaux commerciaux. Mais la Ville n’a pas vocation à préempter tous les locaux commerciaux. Quand on préempte, c’est soit par très belle opportunité parce que c’est un beau local, bien placé et pas cher, ou alors parce qu’il y a un danger par rapport au commerce qui veut s’implanter.
Ce qui est le plus précieux avec la préemption, hormis le fait de faire revivre les quartiers en l’étendant à toute la ville, c’est que ça nous a permis de créer un réseau d’interlocuteurs et de l’entretenir : les vendeurs et les futurs porteurs de projet, et depuis deux ans surtout avec des négociateurs immobiliers, des propriétaires, des bailleurs, des enseignes… Majoritairement, tout le monde a le même objectif, celui de rendre la ville la plus attractive possible et que les projets soient les meilleurs. La préemption n’est pas une sanction. Et quoiqu’il arrive, on préfère être facilitateur. C’est ce qui arrive la plupart du temps.
J’essayerai toujours de mettre les deux parties qui me conviennent en face pour éviter de préempter. C’est pour moi la meilleure équation.Rebecca Bernardi
Qu’entendez-vous exactement par le terme « danger » ?
J’utilise le mot « danger » lorsque, par exemple, il se passe des choses pas très nettes dans un local, mais c’est aussi lorsqu’on n’arrive pas à s’arranger avec le futur preneur, que le projet ne nous convient pas ou que l’activité est surreprésentée. Là, on préempte. Mais je ne rencontre quasiment plus ce genre de situation en centre-ville.
Même si tout n’est pas parfait, la ville est à la mode, que ce soit les négociateurs immobiliers ou les propriétaires, ils ont aussi envie d’avoir la meilleure enseigne ou le meilleur porteur de projets dans leurs locaux. J’essayerai toujours de mettre les deux parties qui me conviennent en face pour éviter de préempter, c’est pour moi la meilleure équation.
Par exemple, les locaux Chez Toinou [l’écailler a décidé de fermer son établissement historique cours Saint-Louis, en avril 2020, ndlr] devaient laisser place à un Quick. On est intervenus en transparence. La transaction a été menée de manière très fluide. Il n’y aura pas de Quick à cet endroit-là.
Ces types d’enseignes ou grosses locomotives sont-elles toujours les bienvenues à Marseille ?
Je ne m’en cache pas, sur la Canebière je ne veux plus de fast-foods. Souvent les gens pensent que je suis dans mon bureau avec un cigare en train de dire “toi oui”, “toi non”. À la base, il y a déjà la liberté d’entreprendre qui fait que je ne peux pas m’opposer à un commerce. Et le commerce, c’est d’abord le droit d’urbanisme. Si le dossier est nickel, même si l’enseigne ne nous plaît pas, on n’a pas de raison de refuser.
Toujours est-il que je travaille avec les grosses enseignes ou les fast-foods, pour qu’elles soient au meilleur endroit, pour que ça nous serve. Par exemple, dans la rue Saint-Ferréol, on ne met pas les mêmes choses que la rue de Rome et la rue Paradis. Il y a des identités qui sont marquées et c’est très bien comme ça. J’essaye de conserver ça sur les rues.
Vous avez décidé d’étendre le droit de préemption aux 111 noyaux villageois. Une première en France.
La préemption m’a permis de développer un réseau. Quand je suis arrivée en fonction, je n’avais aucun dossier ni contact et mes principaux problèmes ou adversaires pouvaient être mes meilleurs amis et puis il y avait une question d’équité par rapport aux quartiers.
La préemption sur les noyaux villageois va donner lieu à un travail complètement différent de celui mené dans le centre-ville, où nous sommes beaucoup sur de la surveillance, entretenir de bons rapports avec les uns et les autres pour être au courant des choses, avec un suivi des projets par rapport à l’urbanisme. Par exemple, il y a des gens qui étendent leur terrasse sur le périmètre remarquable, un genre de verrue que je trouve insupportable. Sur les noyaux villageois, nous avons un enjeu de reconquête et les quelques CIQ que j’ai rencontrés sont ravis. Même les mairies d’opposition devraient l’être.
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De quel budget dispose la direction commerce et artisanat ?
Une autorisation de programme a été passée en avril 2021 jusqu’en 2026. On a 3,6 millions d’euros de crédits pour l’ensemble de la ville. Le budget annuel varie selon qu’on investisse plus ou moins. Ça s’équilibre d’une année sur l’autre, mais aussi si besoin sur une autre délégation. Sur les noyaux villageois, on ne sera pas sur les mêmes sommes que le centre-ville.
Vous travaillez également sur la création d’une foncière commerce avec la Banque des territoires pour accélérer les projets. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous avons, en effet, un projet de création de foncière qui devrait être opérationnelle au premier semestre 2023, avec la Banque des territoires. C’est une société à part dans laquelle la Ville est l’actionnaire majoritaire qui, dès qu’il y a une vente qui nous intéresse, s’occupe d’acheter, mais aussi d’aménager.
C’est aussi du luxe en termes de moyens. L’essence même de la naissance de la foncière vient de la Canebière, où il faut passer à la vitesse supérieure et pas juste attendre les préemptions. D’ailleurs, c’est comme pour la préemption, il faut définir un périmètre pour être efficace. Il y aura la Canebière, certainement les allées Léon-Gambetta, on ira aussi sur quelques noyaux villageois prioritaires.
Pour la Banque des territoires, Marseille est une ville intéressante pour mettre ce dispositif en place. Par exemple à Toulon, le groupe Sebban, qui investit beaucoup dans la ville et travaille avec la municipalité, est quasi-propriétaire de la rue des Arts, avec 34 commerces créés autour de l’art. C’est assez impressionnant parce que ça va très vite. Cette foncière va vraiment nous aider à accélérer et mettre en oeuvre ce genre de projet.
Parallèlement, vous envisagez de mettre en place un guichet unique du commerce. Pourquoi ?
Pour les commerçants qui veulent bien faire les choses, c’est le parcours du combattant, parce que je crois que le système actuel est décourageant pour ceux qui veulent faire bien. Avoir une interface et des alignements uniques permettra de rendre les choses plus simples.
Avec Mathilde Chaboche (urbanisme) et Roland Cazzola (espace public), pour nous, ce qui prime, c’est le droit d’urbanisme. Si les demandes d’urbanisme ou d’ABF (Architectes des bâtiments de France) ne sont pas conformes, il n’y aura pas d’enseignes, pas d’espaces publics, c’est ça la base. À notre arrivée, on a vu des terrasses installées et le dossier être retoqué par l’ABF. Le guichet unique est aussi une protection, parce qu’il y a un petit sport national à Marseille, celui de contourner la préemption. Le guichet unique va nous permettre d’identifier encore plus rapidement ce genre d’incident, avoir un autre fonctionnement sur tout ce qui ne va pas.
Quand va entrer en fonction le manager de centre-ville ?
L’appel à candidatures est en cours et c’est un poste à pourvoir tout de suite. Nous aurons également des managers de noyaux villageois, parce qu’il nous faudra des gens dans les quartiers pour s’immerger. Dès 2024 d’ailleurs, le service commerce passera à 9 personnes contre 3 aujourd’hui mais avec bientôt une quatrième personne. C’est une petite révolution.
Marseille pourrait aussi avoir sa Maison du commerce. Où et à quelle échéance ?
On cherche un local dans le patrimoine de la Ville et dans le centre-ville pour installer la Maison du commerce. J’aimerais que ce soit un lieu dédié au manager de centre-ville d’ailleurs. S’il n’est pas dans les rues, il sera là. Il est important qu’il ait un lieu physique. On aimerait aussi y tenir des permanences, mais aussi des permanences de la Chambre de commerce, de la Maison de l’emploi par exemple. Cela permettra également aux commerçants de venir déposer des dossiers en main propre.
Avez-vous un autre projet pour cette année ?
C’est plutôt une réflexion, car c’est très difficile juridiquement à mettre en place en écriture. Les projets préemptés par la Ville, cela a du sens, les futures acquisitions de la foncière, aussi, mais il y un troisième point qui est intéressant : pour tous les projets privés qui collaborent avec la Ville, j’aimerais faire une exonération d’espace public (terrasses et enseignes) pendant deux ans. Pour ceux qui n’auraient pas intégré qu’il faut passer par la Ville, c’est une incitation. Mais juridiquement il va falloir mettre des critères. On travaille à la faisabilité.
Depuis votre arrivée, la création d’une grande halle alimentaire est un sujet souvent abordé. Quelle est votre position aujourd’hui ?
C’est le sujet sur lequel j’ai été le plus interpellée. Une halle alimentaire, c’est une économie spéciale. Etre spécialiste de la halle alimentaire, ce n’est pas juste être commerçant. Même si nous avons échangé avec des opérateurs, ce n’est pas mon sujet numéro 1. Pour le moment, nous nous concentrons sur la vacance des commerces avant de vouloir en ajouter d’autres.
Si j’ai l’opportunité un jour de mettre des halles sur la Canebière je le ferai. J’aimerai par exemple que cette Canebière piétonne ait un usage avec des tables… ça aurait du sens, même si pour moi, le meilleur endroit pour faire ce projet reste le Palais de la Bourse, c’est une évidence.
La grande braderie des commerçants du centre-ville va-t-elle jouer les prolongations en soirée en 2023 ?
C’est mon souhait. J’aimerais que la grande braderie de cette année déborde sur la soirée, comme une espèce de boîte de nuit, que ce soit musical. Quand c’est piéton, c’est très agréable. Ça me semble bien d’en profiter en nocturne.