Pour lutter contre la vacance commerciale et la mort de certains noyaux villageois, la majorité municipale veut étendre le droit de préemption sur l’ensemble de la ville.

C’est une première en France. « C’est assez fou, c’est pas rien », lance Rebecca Bernardi. À l’occasion du conseil municipal ce vendredi 16 décembre, l’adjointe en charge du commerce, de l’artisanat et des noyaux villageois, présentera une délibération visant à étendre le droit de préemption de la municipalité, sur les locaux commerciaux, dans l’ensemble de la ville.

Après la première étape, votée en juin dernier, qui concernait les 1er, 3e, 11e et 15e arrondissements, la deuxième phase englobe tous les autres secteurs de la ville (2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 13, 14 et 16), soit les 111 noyaux villageois que compte Marseille.

Un travail de préemption différent de celui mené en centre-ville

Cette stratégie de reconquête a été lancée fin 2020 dans le but de lutter contre la vacance commerciale, qui s’est d’ailleurs accentuée avec la crise sanitaire. Cette extension doit permettre à la Ville de renforcer sa vigilance sur les quartiers de la cité phocéenne, très concentrée jusqu’ici sur les commerces de l’hypercentre.

L’objectif visé par la municipalité n’est pas seulement de redynamiser un noyau villageois en y installant deux ou trois commerces, mais de travailler sur un équilibre et une cohérence pour favoriser la diversité commerciale et les projets innovants mêlant différents usages.

« Le travail mené dans le cadre de la préemption sur les noyaux villageois sera complètement différent de celui qui est fait dans le centre-ville. Nous sommes bien sur une question de reconquête, car selon les quartiers, il n’y a presque plus rien, nous explique Rebecca Bernardi. Dans le centre-ville, si un local se libère à l’Opéra par exemple, je n’ai pas d’inquiétude sur sa reprise, même si je reste en alerte sur la nature du projet. Là, on va être souvent sur des histoires de personnes. Des repreneurs qui habitent leur quartier et qui ont envie de le valoriser et où la prise de risques peut être plus importante ».

Une étude passe au crible les 111 quartiers villageois

Pour définir une zone de préemption, une étude est obligatoire afin de délimiter un périmètre précis. Une analyse qui doit ensuite être adressée à la Chambre des métiers et de l’artisanat des Bouches-du-Rhône (Cmar) et la Chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille-Provence (CCIAMP) pour valider cette mesure, ainsi qu’à la Métropole Aix-Marseille-Provence. Mais, face à l’ampleur du projet et du changement qui s’annonce, « il fallait que l’on soit expert » et « être le plus précis dans notre connaissance des noyaux villageois », poursuit l’élue.

Dans une démarche globale, la Ville s’est appuyée sur un état des lieux détaillé des 111 noyaux villageois, réalisé par le cabinet AID. Secteur par secteur, cette analyse met en avant les polarités commerciales, selon les types de commerces, les locaux vacants, la localisation, la visibilité, l’accessibilité, les flux, l’état de l’espace public, le type de population, de revenus… « Pour chaque quartier désormais, on sait ce qu’il manque ». 

L’étude a naturellement mis en exergue la disparité en fonction des quartiers. Dans le quartier d’Arenc (2e), par exemple, le taux de vacance atteint 62% contre 12% aux Cinq Avenues et 24% aux Chutes Lavies dans le 4e arrondissement. Le secteur de la Belle de Mai (3e) enregistre 30% de locaux inoccupés, 20% au Merlan (14e). Dans le 6e arrondissement : 15% du côté de Notre-Dame du Mont et 12% à Vauban et 5% pour le noyau villageois de la Valentine.

Rapidement, plusieurs secteurs prioritaires ont été identifiés : le 3e, le 11e, le 13e, 14e et le 15e « où l’on part de très loin. Ici, on est sur des sujets beaucoup plus complexes que la seule préemption de commerces. Il nous fallait avoir le maximum d’informations pour travailler sur ces noyaux villageois prioritaires avec les bons interlocuteurs, les bons adjoints ou bons conseillers délégués. Sur certains projets, on va s’apercevoir qu’il y a des espaces publics à revoir comme la végétalisation, la voirie à refaire… L’addition de plusieurs délégations dans le cadre d’un projet dans des secteurs où il n’y a plus de commerces du tout prend tout son sens ».

Ce travail de reconquête passe ainsi par Mathilde Chaboche (urbanisme), Perrine Prigent (valorisation du patrimoine municipal et amélioration des espaces publics), Nassera Benmarnia (retour de la nature en ville), Roland Cazzola (espace public), Audrey Gatian (mobilité) ou encore Marie Batoux, pour l’éducation populaire…

Éviter l’accumulation des services et varier les commerces

Pour favoriser l’implantation de nouveaux commerces, la Ville envisage de travailler avec des Scop, permettant de présenter un projet à plusieurs et encourager l’entrepreneuriat, dans des zones où des craintes peuvent se faire sentir.

Si l’élue « garde bien sûr un œil sur les autres secteurs, où l’on sait qu’on a moins de difficultés sur le 7e, le 12e, le 8e, notre surveillance porte aussi sur les quartiers qui se portent bien, mais dans lesquels il y a beaucoup trop de services. Ils doivent s’implanter dans les rues périphériques pour que les commerces drainent du flux et du lien social sur les rues principales ».

Les grosses enseignes ou fast-foods ne sont pas proscrits de la ville « mais je travaille avec eux pour qu’ils soient au meilleur endroit et que ça nous serve. C’est ça l’intérêt. Et il ne faut pas oublier qu’il y a des identités marquées dans chaque quartier. Il est important de conserver l’identité de chaque rue ».

Récréer de la vie de quartier

Sur de futurs projets d’urbanisme et même si son avis n’est que consultatif, Rebecca Bernardi se dit défavorable à la création de résidences prévoyant des locaux commerciaux. « Il y a déjà beaucoup trop de mètres carrés commerciaux à Marseille. On a d’ailleurs éliminé certaines rues intermédiaires dans le cadre de l’extension de la zone de préemption parce que l’idée c’est de se concentrer sur les noyaux villageois et de recréer de la vie ».

De manière générale, Rebecca Bernardi veut activer ce levier en tout dernier recours : « j’essaierai toujours de mettre les deux parties en face pour ne pas préempter. C’est la meilleure équation pour permettre à la ville d’avoir le meilleur projet, de ne pas mettre de l’argent public en jeu et une machine lourde en route. Je réserve ça aux projets sur lesquels je ne peux plus négocier et qui ne nous conviennent pas ».

Exemple, place Cadenat dans le 3e où la Ville prévoit de préempter un local dans lequel devait s’installer un commerce de déstockage. Pour autant, le droit de préemption n’est pas une arme de dissuasion que l’élue entend dégainer quand un projet n’est pas en accord avec la stratégie municipale. « On ne peut pas s’opposer à un commerce parce qu’il ne nous plaît pas, rappelle l’élue. Il y a la liberté d’entreprendre. Le commerce c’est d’abord du droit d’urbanisme. Si le dossier est impeccable, même si l’enseigne de nous ne plaît pas, il n’y a pas de raison de le refuser ».

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