Alors que la 2e Nuit de la solidarité mobilisera les bénévoles ce 26 janvier, Audrey Garino, adjointe en charge de la Solidarité, fait le point sur les initiatives de la municipalité pour répondre aux besoins des plus démuni.e.s.
Comment répondre au mieux aux besoins des personnes sans-abri ? Pour Audrey Garino et ses services de la Solidarité à la Ville de Marseille, il s’agit d’aller directement à la rencontre des publics démunis afin de mieux appréhender leurs profils et leurs besoins. Car si les crises consécutives continuent de creuser les inégalités, elles font aussi émerger de nouveaux visages de la pauvreté.
À quelques jours de la deuxième Nuit de la solidarité qui mobilisera des centaines de bénévoles, l’adjointe revient sur les actions entreprises par la municipalité afin d’améliorer l’accompagnement des personnes en situation de rue. Elle évoque également les annonces faites lors des États généraux du logement, comme celle de la création du premier village d’insertion à Marseille, dédié a faciliter l’insertion sociale d’anciens habitants de squats et bidonvilles.
Lors de la conférence de presse sur la prochaine Nuit de la solidarité, vous évoquiez une recrudescence du nombre de sans-abri à Marseille ces derniers mois. Comment avez-vous observé cela avec vos services ?
Nous manquons cruellement de données objectives sur ce sujet. Pour autant, Marseille a une spécificité dans le champ de la solidarité. Elle a un Samu social municipal qui maraude 365 jours par an, de 7h du matin à minuit. Nous avons donc des retours quotidiens de nos équipes qui nous alertent lorsqu’il y a plus de populations sans-abri, et lorsqu’il y a des nouveaux profils.
Quels sont ces nouveaux profils ?
On constate, depuis quelques mois, une recrudescence des femmes et des enfants en situation de rue. Je ne peux pas l’objectiver, je n’ai pas de chiffres, par contre, c’est un ressenti très net, qui est, y compris, valable à Paris, à Lyon, à Bordeaux… Ce sont des échanges que j’ai régulièrement avec nos homologues, nous constatons tous cela. Et avec des impossibilités de régler certaines situations. Les dispositifs sont saturés, ce qui fait que l’on ne peut pas répondre à des demandes qui sont pourtant extrêmement graves.
Les capacités de mise à l’abri n’ont pas évolué aussi vite que les visages de la pauvreté.
Nous nous sommes rendu compte qu’il y avait non seulement des besoins en termes de capacités, mais aussi en termes de diversité : il y a énormément de places, l’État a d’ailleurs augmenté considérablement son volant de nuitées hôtelières pour faire face aux besoins, sauf qu’une très grande majorité des structures sont à destination d’hommes seuls. Or, les capacités de mise à l’abri n’ont pas évolué aussi vite que les visages de la pauvreté. Aujourd’hui, on a des femmes, des tout-petits, des jeunes, des MNA (mineurs non accompagnés, ndlr), des sortis d’Aide sociale à l’enfance, des personnes âgées à la rue, notamment.
Qu’est-ce qui explique que les femmes se retrouvent davantage à la rue aujourd’hui ?
Parce que très souvent, ce sont des femmes qui exercent les fonctions de cheffe de famille dans les familles monoparentales. On sait à quel point les celles-ci sont impactées par la crise, pour beaucoup, elles vivent sous le seuil de pauvreté. Et on sait aussi que ces familles-là, à 90 %, sont dirigées par des femmes. On sait aussi, de façon objective, que les femmes ont des salaires inférieurs de 20 %, les femmes ont des temps partiels imposés, des problèmes de garde… Ce sont des problèmes qui ne devraient pas être des problèmes de femmes, mais nous vivons dans un système patriarcal, et les femmes subissent beaucoup plus les situations de crise.
Quels moyens mettez-vous en place pour répondre à ces problématiques ?
Tout l’enjeu, c’est de créer plus de places. La Ville s’est engagée à créer 1000 places d’hébergement d’urgence. Elle en a déjà créé 240 en deux ans, dont quasiment toutes, à une vingtaine près, sont essentiellement destinées à des femmes avec enfants ou à des familles. L’engagement que nous prenons, c’est de créer des unités qui soient gérables, c’est-à-dire plus petites. Les gros UHU à 300 places, ça n’existera plus sous notre mandature. On crée des unités à 50, 60 places, qui maillent la pluralité du territoire.
Car concentrer la misère avec la misère, ce n’est pas forcément la façon dont on souhaite travailler. Quand, avant, on n’ouvrait des centres que dans le 3e ou le 15e arrondissement, nous en avons ouvert dans le 8e, dans le 9e… L’objectif, c’est que l’intégralité du territoire marseillais, mais je le dis aussi, métropolitain, prenne sa part en termes de mise à l’abri et avec une diversification des publics accueillis, pour permettre à chacun d’avoir une offre qui soit adaptée.
Le maire a annoncé lors de ses vœux l’ouverture en 2023 de nouveaux sites plus dignes pour l’accueil de personnes à la rue, dont un dédié aux femmes. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Il s’agit surtout d’une politique d’humanisation des lieux existants. Quand nous sommes arrivés aux affaires, nous avons pris l’engagement de fermer certains centres d’accueil et de permettre leur réouverture ailleurs. C’est ce qui va se concrétiser en 2023. Par exemple, le Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) pour femmes de Saint-Louis (16e), laissé dans des conditions indignes et ingérables, va cette année rouvrir dans un nouvel endroit, après un travail avec le Groupe SOS. Nous y apporterons un certain nombre de financements pour permettre le transfert de la quarantaine de places qui y existent actuellement. Il sera y compris augmenté de 15 à 20 places supplémentaires.
Nous recevons aussi des demandes un peu exponentielles, notamment de la part des hôpitaux, qui se retrouvent de plus en plus avec de très jeunes femmes sans situation de mise à l’abri, enceintes ou avec des nourrissons de quelques jours. C’est quelque chose qui nous inquiète. Dans le cadre du renouvellement du Plan Pauvreté, un dispositif d’accueil leur sera destiné, qui devrait sortir, nous l’espérons, dans le courant de l’année.
Benoît Payan a également évoqué la création d’un Observatoire de la pauvreté. A quoi va-t-il servir concrètement ?
Comme je l’indiquais, nous manquons cruellement de données consolidées et surtout qui ne soient pas datées. La situation il y a 5 ans n’est pas la même qu’aujourd’hui et ne sera pas la même dans 5 ans. Le collectif Alerte Paca qui réunit la majorité des associations de solidarité du territoire pointe aussi ce défaut, sans compter qu’il est important d’avoir des données partagées, parce que ces sujets-là donnent lieu à des batailles de chiffres.
L’idée de cet observatoire que nous aimerions mettre ne place cette année est donc d’avoir des chiffres en commun pour dresser un diagnostic le plus fin possible. Le but n’est pas de faire un observatoire marseillais, car cela n’aurait pas grand sens, mais départemental et trans-collectivités-institutions-associations.
Cet observatoire a vocation à agréger des données qui peuvent exister par ailleurs, mais qui sont rarement centralisées (Caf, 115, Insee…) et traiter des données les plus actualisées possibles et presque en temps réel, comme celles qui ressortent de la Nuit de la Solidarité par exemple. C’est un sujet qui avance et sur lequel on travaille notamment avec Aix-Marseille Université pour nous apporter de la technicité et un regard scientifique sur ces questions. Il faut un front commun pour faire face à cette urgence sociale. Tant qu’on ne porte pas un diagnostic en commun, qu’on ne travaille pas sur les mêmes chiffres et que l’on n’a pas une lecture uniformisée de la situation en temps réel, ça bloque.
La Ville doit ouvrir un grand pôle hygiène dans le 4e arrondissement d’ici 2024*. Y aura-t-il des espaces dédiés aux femmes dans ces nouveaux bains publics ?
Aujourd’hui, on a ouvert des douches temporaires [dans l’ancien gymnase Ruffi rue Berton, ndlr], où on ne pouvait avoir qu’un usage mixte avec des précautions. Tous les agents qui travaillent sur site sont des femmes, et les femmes ont un lieu qui leur est dédié dans les douches. Pour autant, on constate qu’elles représentent seulement 5 % de nos usagers, alors qu’à peu près 40 % des sans-abri sont des femmes. Donc, on voit bien qu’il y a une problématique.
Ce nouveau pôle sera un lieu à usage unique, avec une entrée spécifique, où les publics ne se croisent pas forcément. L’idée, c’est d’avoir des lieux où les femmes se sentent en sécurité, où elles peuvent procéder à des soins, vivre leur intimité comme elles le souhaitent sans risque de se faire agresser. Ce qui n’est pas le cas dans nos équipements, je tiens à le dire. Mais pour autant, cette appréhension, il faut la dépasser, et on la dépasse aussi en ouvrant des lieux qui leur soient spécifiquement dédiés.
Quel bilan avez-vous tiré des États généraux du logement en novembre dernier ?
Le bilan que j’en tire est double. Dans un premier temps, il est dans la façon dont nous avons pris la problématique, de la rue jusqu’au logement. Parce que si on oublie qu’à Marseille, nous avons peut-être 15 000 sans-abri, 1000 personnes vivant dans des bidonvilles, 5000 à 6000 personnes vivant dans des squats, il y a tout un pan de la problématique que l’on n’a pas traitée, et qui ne relève pas que de l’hébergement et de la mise à l’abri. C’est important d’avoir cela en tête : comment est-ce que l’on arrive à construire des parcours qui partent de la rue, de l’urgence, et qui emmènent jusqu’au logement de droit commun.
Et le deuxième, c’est l’application des différents acteurs du logement. Des bailleurs, des promoteurs, des collectifs de locataires, de personnes sans-abri, des travailleurs sociaux, évidemment. Que l’on vienne tous se confronter et croiser nos regards, nos expériences et construire des partenariats, c’est un gage de réussite. Quand on a une crise aussi importante, on ne peut pas gérer seuls, et on doit sortir des lieux communs et être innovants sur ces questions-là. Tous les dispositifs que nous pensons, on les pense en coordination avec des associations. Je pense notamment à l’Auberge Marseillaise, qui est une très jolie réalisation, très innovante du point de vue de sa gestion et du pluralisme des acteurs qui y interviennent.
Le ministre a annoncé que l’État allait débloquer 1,5 million d’euros pour financer un village d’insertion sur un terrain municipal à Marseille. À quel stade en est ce projet ?
Je ne peux pas vous dire où il sera pour l’instant. Ce projet est la conclusion de 18 mois de travail intensif entre les services de l’État, ceux de la Ville, les associations, et la Métropole, pour réussir à porter des propositions adéquates. Et justement, si je ne le dis pas, ce n’est pas pour rien. C’est parce que c’est compliqué, et qu’un village comme ça nécessite une très grande force de conviction pour l’implanter, pour le faire vivre. Nous sommes encore dans un travail de définition du site, de sa construction. Nous cherchons encore à l’affiner, c’est d’ailleurs pour cela que nous pilotons, avec le Logement d’abord, une étude pour avoir une vision plus affinée des parcours et des besoins de ces personnes qui vivent dans ces conditions d’indignité totale. Nous nous sommes renseignés sur ce qui a pu se faire ailleurs, et avons des retours d’expérience très nets.
Vous dites vous inspirer d’expériences ailleurs, comment avez-vous eu l’idée de créer ce lieu ?
Comme je le disais, nous manquons de places d’hébergement d’urgence et de places de mise à l’abri, et il faut diversifier. Il y a une entrée publique indispensable : femmes, personnes âgées, jeunes, hommes… mais nous avons aussi des spécificités de notre public, notamment issu de la communauté Rom, qui vit dans des squats ou dans des bidonvilles. Il y en a une quarantaine dans la ville. C’est une réalité très marseillo-marseillaise, on n’a pas forcément beaucoup d’équivalents ailleurs. Et aujourd’hui, il n’existe pas de dispositifs : jusqu’ici, lorsqu’un squat était évacué, comme il n’y avait pas de réponse apportée, un autre squat se créait.
Sur le squat de Cazemajou [évacué en juin 2022, ndlr], nous avons fait un diagnostic extrêmement précis de toutes les familles. Certaines étaient dans un processus d’insertion déjà très abouti : travail, enfant scolarisé… et donc étaient éligibles et exprimaient le souhait d’intégrer un logement, ce que nous avons fait. Et d’autres nous ont exprimé un besoin de temporiser, d’avoir un lieu où elles construisent un projet d’insertion. Car il faut aussi sortir des fantasmes sur les personnes qui vivent là, qui sont contraintes de vivre comme ça.
Ce n’est pas un choix de vie, de vivre dans un squat ou dans un bidonville, c’est une contrainte. Ces villages d’insertion sont des « lieux tampons » qui permettent d’être mis à l’abri pour plusieurs mois, avec un accompagnement social global et pluridisciplinaire dédié.
Ces villages d’insertion sont des « lieux tampons » qui permettent d’être mis à l’abri pour plusieurs mois, avec un accompagnement social global et pluridisciplinaire dédié.
Quelles réponses devrait apporter ce village d’insertion ?
Le village d’insertion, c’est un début de réponse. Je dis un « début », parce que comprenez bien qu’un seul ne suffira pas. Nous avons besoin que la Métropole et les communes du territoire participent à cette démarche que l’on a mise en place sur une stratégie départementale de résorption sous l’égide du préfet Carrié, à laquelle la Ville souscrit intégralement et participe activement. Mais ce sont des problématiques trop lourdes pour que simplement la bonne volonté des uns ou des autres suffise, c’est un front commun, je le redis, qu’il faut porter sur ces questions-là. Et donc ce premier village, c’est une première pierre que nous posons, mais qui doit en appeler d’autres, fatalement.
*L’ouverture de ce pôle hygiène, initialement annoncée pour l’année 2023, est pour l’instant repoussée à 2024.
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