La célèbre marque marseillaise Espigas fête cette année ses dix ans d’existence. Outre son espadrille urbaine chic revisitée qui a fait son succès, l’entreprise innove avec de nouveaux produits, comme La Marseillaise, clin d’oeil à la Charentaise.
À deux pas du Vieux-Port, la boutique Espigas ne passe pas inaperçue. « Espadrille Marseille » s’affiche sur la devanture en lettres blanches sur fond rouge, 3 cours Jean Ballard (1er). Depuis l’extérieur, la petite boutique entièrement réaménagée invite à la découverte d’un univers où l’espadrille urbaine chic est la star. Une chaussure qui a fait la notoriété de la marque, fondée en 2013, par Bérangère et Olivier Perret.
Espigas (prononcer Espigasse, avec l’accent) est né, il y a une dizaine d’années, à l’occasion d’un tour du monde. Au cours de ce road trip en famille et en camping-car, la tribu Perret pose ses valises en Amérique du Sud. Là-bas, ils chaussent les fameuses alpargatas, qu’ils trouvent « incroyables ». Simples et confortables, ils tombent « raides dingues » de ces espadrilles traditionnellement portées par les cowboys d’Argentine, ces célèbres gardiens de troupeaux appelés gauchos.
Inspiré par ce style à part, séduit par les matières utilisées et convaincu par l’accueil enthousiaste des amis, dès son retour en France, le couple décide de lancer sa propre marque en y apportant sa touche, dans un esprit de confort, de simplicité et de durabilité.
De l’espadrille revisitée à la relocalisation à Marseille
L’espadrille légère en coton doublé est ainsi repensée. « C’est fait pour être porté comme une chaussure, donc ça tient bien le pied, explique Olivier. L’élastique sur le coup de pied permet d’améliorer le confort, notamment lorsque le pied enfle l’été, il n’est pas compressé par le tissu. On a une semelle en cuir à l’intérieur, donc c’est respirant et anti-odeur. Pour l’extérieur une semelle en gomme antidérapante solide, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle pas mal de navigateurs en portent », poursuit le patron, au cœur de sa boutique.
Si les premières paires, qui ont fait la renommée de la petite griffe marseillaise, ont été confectionnées dans un atelier en Argentine, les entrepreneurs amorcent un virage en 2017 en relocalisant la fabrication à Marseille. « Nous avons d’abord essayé de trouver une entreprise française pour le faire, mais les coûts étaient trop élevés, alors on s’est dit qu’on allait le faire nous-même », poursuit Bérangère.
Deux heures pour créer une paire cousue main
Dans une démarche sociale et solidaire, les Perret se rapprochent de l’Esat du Rouet (12e), une structure qui permet aux personnes en situation de handicap d’exercer une activité professionnelle. Deux fois lauréat du concours « Open My Med », de la Maison Mode Méditerranée et grâce au soutien de la Région Sud et de la BPI, les entrepreneurs équipent l’atelier et forment durant deux ans les futurs couturiers Espigas. « On est allé dans les usines qui fabriquaient pour nous en Argentine pour acquérir le savoir-faire. On n’est pas juste un donneur d’ordre. On est complètement investi avec eux dans l’atelier ».
Aujourd’hui, cinq personnes sont pleinement dédiées à l’activité. Grâce à la maîtrise de la technique, elles confectionnent une vingtaine de paires par jour (contre 12 il y a 4 ans), car le processus de fabrication artisanale requiert pas moins de 25 opérations manuelles, soit environ deux heures pour créer une paire. « 20 paires par jour, ça reste petit dans le monde de la chaussure, mais la bonne compréhension du mécanisme va nous permettre d’augmenter la cadence », justifie Olivier.
« La Marseillaise », un chausson pas seulement pour pantoufler
Au fil du temps, Espigas a étayé son offre avec quatre gammes supplémentaires : les tennis, les boots fourrées et les sneakers, le tout disponible dans de nombreuses couleurs. La petite nouveauté cet hiver « La Marseillaise », en clin d’œil à la Charentaise. Ces chaussons se déclinent pour le moment en quatre modèles : gris, pied-de-poule, tartan vert et bleu marine.
Outre sa ressemblance avec les célèbres pantoufles du Sud-Ouest, La Marseillaise en laine doublée « peut aller à l’extérieur grâce à sa semelle en caoutchouc », précise Bérangère, fière de porter ses pantoufles sur mesure aux pieds. Elle est également dotée d’une semelle en cuir à l’intérieur et arbore le petit look qui caractérise Espigas, avec la petite couture en biais, « le pli devant puisque c’est cousu main et le contrefort derrière ». 150 pièces seulement ont été fabriquées. Une série limitée avant une collection plus fournie l’année prochaine, « car on sent qu’il y a une vraie demande ».
Les futurs modèles en tissu recyclé
C’est sur le marché de La Plaine que les fondateurs ont trouvé le tissu pour réaliser ces nouveaux modèles, mais aussi auprès de grossistes. Dans le cadre de sa politique de développement, Espigas mise désormais sur du tissu recyclé a minima à 60 %, « pas moins, insiste Bérangère. Nous avons une vraie responsabilité écologique. On va plutôt aller chercher du coton recyclé à la fois pour le tissu, mais aussi pour la semelle », et pour les autres produits que l’entreprise développe.
Espigas veut désormais être perçu comme une marque outdoor, capable de proposer des collections des pieds à la tête, « en gardant cet ADN du « fabriqué socialement, localement » et en utilisant des produits plus écologiques ».
La marinière unisexe version Espigas
Fraîchement débarquée d’ailleurs ce matin-là dans la boutique, l’indémodable marinière, rendue célèbre par Coco Chanel et remise au goût du jour par Jean-Paul Gaultier. « Elle est hyper quali », se réjouit Olivier, « et made in France garantie ». Le fournisseur du tissu n’est autre que celui de Saint-James.
Ce tricot rayé unisexe version Espigas porte le petit drapeau tricolore et sur chaque manche une petite patte rouge sur le bras gauche et verte sur le droit « pour faire comme en navigation tribord et bâbord, plaisante le couple. On veut développer des basiques intemporels en lien avec Marseille, la Méditerranée, qui ait du sens et complémentaires à nos gammes de chaussures ».
À l’instar du grand sac fourre-tout « pour une balade urbaine ou pour la plage, avec ses anses incassables. On pourrait presque faire une garantie à vie », lance Bérangère, qui entend bien le proposer dans quelques mois. À venir prochainement aussi des sweats bleu marine et blanc et un pochon pour les boules de pétanques.
Ces nouveaux produits sont cousus dans un atelier partenaire basé à Montélimar. Damien Prothon, patron de l’entreprise Prosiflex, spécialisée dans la fabrication de gaine flexible et ami de longue date des Perret souhaitait s’ouvrir à un nouveau marché. Il a décidé d’équiper 160 m2 de ses locaux avec une vingtaine de machines à coudre, comme une recouvreuse pour la confection de la marinière. « C’est un retour à l’authenticité, au savoir-faire français », confie Damien, qui mise d’ailleurs beaucoup sur le retour en force des sneakers, ces incontournables de tous les dressings.
« Chaque pas est une aventure »
D’ailleurs, pour continuer à surfer sur la tendance, Espigas travaille sur un sac banane, cette sacoche (sac ceinture) phare des années 1990, tombée aux oubliettes, mais qui fait un retour remarqué. Ce it-bag sera estampillé de petites phrases qui font aussi la particularité d’Espigas. En guise d’exemple : « Si ma chaussure est étroite que m’importe que le monde soit vaste ». Parmi les projets 2023, une gamme de maillots de bain pour homme pour l’été prochain « et d’autres surprises », s’enthousiasme le couple.
Forte de ces nouvelles propositions, de ses valeurs et de son ancrage local, Espigas entend relancer son activité fortement impactée par la crise sanitaire. Les confinements successifs ont d’ailleurs eu raison de leur boutique parisienne qui venait d’ouvrir ses portes, entraînant également la disparition de 25 points de vente à l’échelle nationale.
Aujourd’hui, Espigas est distribué dans 5 concept-stores partenaires en France. Les fondateurs gardent l’espoir de relancer son espadrille marseillaise dans la capitale. Sans oublier la boutique en ligne. Chaque achat donne lieu à un geste solidaire, puisque 2 euros sont reversés à l’ONG péruvienne Matto Grosso, qui lutte contre l’extrême pauvreté en Amérique latine.
Espigas, qui a réalisé 150 000 euros de chiffre d’affaires en 2022, aspire également à devenir une marque de référence à l’occasion des Jeux olympiques. Elle ambitionne d’augmenter la production annuelle de 5 000 paires tous modèles confondus au double en 2024. Histoire de continuer à faire marcher Espigas pour qui « chaque pas est une aventure ».