La Fabulerie, située dans le quartier de Noailles à Marseille, est lauréate de l’appel à projets « soutien aux quartiers culturels créatifs » du ministère de la Culture. L’ambition est de faire du grand centre-ville un tiers quartier culturel, créatif, inspirant, durable et inclusif.
C’est une petite fabrique collective de tous les possibles. Une adresse devenue incontournable au cœur du quartier de Noailles. Implantée depuis une dizaine d’années au 10 boulevard Garibaldi, sous la verrière de l’emblématique ancien hôtel Astoria, la Fabulerie développe des expérimentations et des actions pionnières dans les domaines de l’entrepreneuriat culturel, la valorisation du patrimoine et la création numérique.
Créé par Axelle Benaïch, ce tiers-lieu vient de remporter l’appel à projets « soutien aux quartiers créatifs », lancé par le ministère de la Culture, en 2021, dans le cadre du plan de relance. Grâce aux aides [lire encadré]*, l’État souhaite soutenir la coopération entre les acteurs culturels, la revitalisation des territoires par la culture, la promotion de son offre dans les territoires et le renouveau d’espaces de sociabilité autour d’activités culturelles.
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Les QCC, « un outil de redynamisation territoriale »
« Depuis une vingtaine d’années, les quartiers culturels et créatifs (QCC) sont valorisés par les pouvoirs publics comme un levier de transformation urbaine et de développement économique et touristique des territoires », comme l’explique Basile Michel, maître de conférence en géographie (Cergy Paris Université) dans un article intitulé « Les quartiers culturels et créatifs entre création artistique et attractivité des territoires » paru l’année dernière sur le site « The Conversation ».
Si le modèle s’est peu développé dans un premier temps en France, il a trouvé un nouvel écho à la faveur de cet appel à projets et un rapport de l’Institut Paris Région valorisant ces quartiers comme « un outil de redynamisation territoriale ».
« À l’image du Panier à Marseille, Berriat à Grenoble… dans les grandes métropoles, nombre d’anciens quartiers populaires ou industriels, laissés en friche suite à la crise des années 1970, se sont transformés en quartiers créatifs suivant une dynamique principalement spontanée », poursuit le spécialiste de la question, auteur de l’ouvrage « Les quartiers culturels et créatifs : ambivalences de l’art et de la culture dans la ville post-industrielle ».
En 2004, l’Unesco a créé le Réseau des villes créatives, fort de quelque 246 villes, avec pour but de promouvoir la ville comme un laboratoire créatif mettant les industries culturelles au cœur de son développement. Grâce à son festival international de la BD et son riche écosystème lié à l’image (écoles, entreprises, structures culturelles…), Angoulême a intégré ce réseau au titre de la littérature, en 2019. « Un modèle inspirant », exprime Axelle Benaïch, qui aime citer cet exemple.
S’il n’existe pas un modèle unique de QCC, plusieurs points communs sont identifiés. Les musées et grandes institutions culturelles (théâtres, opéras, espaces de création, etc.) en sont souvent les éléments structurants.
Des zones dédiées à l’activité économique y prennent place également : entreprises, incubateurs de start-up culturelles, fab labs ou lieux de coworking. « La présence d’universités et d’écoles (design, informatique, arts appliqués, etc.) est une plus-value. Enfin, un nombre conséquent d’espaces de loisirs (cinémas, lieux de sorties nocturnes « underground », etc.), de commerces, restaurants ou bars, vient compléter ce paysage urbain », stipule le rapport.
Propices à la diffusion culturelle et à l’innovation, les QCC ancrent la culture au cœur des villes, en regroupant des créatifs au sein d’un périmètre urbain compact. Les QCC se caractérisent comme des lieux vivants et animés, stimulateurs de convivialité. La programmation culturelle riche, les festivals et l’événementiel temporaire sont le reflet de cette urban vibrancy (ou vitalité). L’utilisation des espaces publics contribue largement à la perception d’un quartier dit « créatif ». Ainsi, des actions de réhabilitation, de végétalisation, mais également de piétonnisation, sont déployées.
Synergies renforcées entre acteurs culturels, numériques et économiques
C’est dans cet environnement que s’inscrit La Fabulerie qui affiche une forte proximité avec ce qu’elle a baptisé les « commerces culturels » : c’est-à-dire des commerces historiques de plus de 70 ans, ou à valeur ajoutée culturelle et/ou qui portent des concepts hybrides émergents.
Parmi les structures historiques de Marseille, la Maison Empereur, l’herboristerie du Père Blaize, l’armurier Gatimel, la chapellerie Felio, la Librairie Maupetit ou encore le cinéma Les Variétés. « L’implantation récente de nouvelles structures à forte valeur ajoutée culturelles sur l’axe populaire de la Canebière, ont permis de faire monter en puissance les marqueurs culturels du quartier », note Axelle Benaïch.
Elle collabore également avec La Maison du Gant, la fromagerie Froumaï, la Maison des Nines, concept-store autour de produits éthiques et responsables, Bière Academy… mais aussi des structures culturelles à l’instar des théâtres (Œuvre, Gymnase, Bernardines…) les musées de la Ville, l’opéra, la bibliothèque l’Alcazar, le studio Fotokio et bien d’autres.
Au total, plus d’une trentaine de partenaires participent à différents projets d’expérimentation et d’animation portés par le lieu, qui de son côté les accompagne dans leurs projets événementiels et dans la valorisation de leur activité. Malgré la « situation économique et urbaine dégradée », du quartier, la fondatrice met en lumière les différentes initiatives de coopération entre les acteurs culturels, associatifs, numériques et économiques qui ont émergé ces dernières années dans l’hypercentre marseillais.
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Le grand centre-ville, terrain propice à l’émergence de solutions
« À notre échelle, l’un des défis majeurs repose aujourd’hui sur la remédiation de nos actions et de leur impact, au regard des enjeux climatiques et environnementaux », explique Axelle.
La Fabulerie a déjà construit de nombreuses actions et programmes culturels autour de la thématique du vivant, la sobriété énergétique, le low-tech, la ville du quart d’heure, « mais aujourd’hui, nous avons la nécessité de mettre en place de nouveaux outils et dispositifs capables de porter ces défis auprès du plus grand nombre, et impacter le secteur des industries culturelles et créatives à l’échelle du grand centre-ville. C’est pour nous un formidable terrain de jeu pour faire émerger des solutions, sur un territoire qui cristallise à la fois de nombreuses problématiques et d’immenses ressources », poursuit la patronne de La Fabulerie.
Un hub d’innovation culturelle à l’échelle du quartier
La Fabulerie agit déjà comme un hub d’innovation culturelle à l’échelle du quartier. La structure de 600 m2 – qui s’est récemment agrandie avec l’ajout d’un local de 250 m2 – propose un programme de pré-incubation des porteurs de projets culturels « la Fabuleuse académie », ainsi que des dispositifs d’accompagnements pour l’appropriation des outils numériques ou la réduction de l’empreinte environnementale.
Elle accueille ou crée des expériences innovantes à l’image du « Fabuleux Musée », le premier musée numérique immersif pour les 5-12 ans, permettant de valoriser les fonds numériques des musées de la ville de Marseille. L’offre du tiers-lieu est complétée par un « fab lab », une programmation culturelle, et un espace lecture ou encore la Micro-folie Marseille, un dispositif favorisant la découverte d’œuvres numérisées issues de grands musées nationaux et de collections locales.
Un espace « Zéro » dédié à la transition environnementale
Grâce à l’appel d’offres, et le financement à hauteur de 100 000 euros, deux nouvelles briques viennent enrichir l’offre du tiers-lieu culturel. « Nous allons essentiellement l’investir dans de l’équipement pour apporter des réponses aux défis environnementaux et pour contribuer à l’émergence de nouveaux modes de vie et de consommation ».
Cette volonté se traduit d’abord par la mise en place d’un espace « Zéro ». Il permettra d’expérimenter, évaluer et documenter son projet d’entreprise culturelle en intégrant la notion d’impact carbone. Les porteurs de projet auront à leur disposition l’espace de coworking entièrement gratuit, le « fablab ». Ils pourront également bénéficier d’un dispositif technique pour évaluer l’impact carbone de leur projet, avec l’accompagnement du Collectif C.A.P.T.E, et affiner leur positionnement en s’appuyant sur la modélisation de données avec Natural solutions. Des experts interviendront également à l’occasion d’ateliers pratiques.
Les histoires inspirantes avec le Kiosque à balades
Nouvelle proposition également : « Le Kiosque à balades ». « L’hypercentre est chargé d’histoire, de patrimoine culturel tant dans son architecture, ses artistes liés aux cultures urbaines, ses commerces culturels. De nombreux acteurs proposent des expériences et contenus parfois diffusés de façon temporaire ou qui ont du mal à atteindre leur cible », explique Axelle.
L’objectif est de favoriser et de faciliter leur accès, par le prêt de matériel si besoin, en utilisant la mobilité douce pour véhiculer les contenus auprès de la population, les touristes, les professionnels… « à tous ceux qui souhaitent découvrir le quartier autrement et en quête de découvertes culturelles inspirantes ».
Le projet prévoit un dispositif cartographié qui sera accessible depuis le web ou in situ, au sein de la Fabulerie, sur une table interactive qui référence les différents parcours à vivre dans le grand centre-ville. Toujours dans un esprit de synergie, les collectifs, associations ou entreprises produisant des contenus culturels embarqués pourront les faire découvrir et mieux les diffuser.
La Fabulerie envisage un prêt de matériel (tablette, casque…) pour les balades sonores, guidées ou augmentées, et même un espace de petite bagagerie pour les futurs promeneurs. « Nous allons aussi tester le dispositif de Kiosque à balade mobile au sein des commerces, à l’office de tourisme, les hôtels et les structures partenaires », poursuit la créatrice, qui voit même un micro-festival, sur trois jours.
Avec la complicité de membres actifs et d’autres qu’elle espère voir rejoindre l’aventure, pour la création de contenus impactants, La Fabulerie inscrit ce projet dans le temps, avec l’ambition « d’aller collectivement » vers un tiers-quartier culturel, créatif, inspirant, durable et inclusif.
*L’enveloppe annuelle de l’appel à projets « soutien aux quartiers culturels et créatifs » est une subvention plafonnée à 150 000 euros par projet, pour accompagner entre 20 et 30 projets sur deux ans. Lors de la première vague, au mois de juin 2021, 75 structures ont été candidates, et trois nouvelles sessions ont été programmées d’ici à la fin 2022. La Fabulerie vient rejoindre l’association Synergie Family, jusqu’ici seule lauréate en Provence-Alpes-Côte d’Azur. La start-up marseillaise compte créer « La Bulle Créative », un centre de formation à la production audiovisuelle et un lieu dédié aux jeunes artistes de la région dans son tiers lieu l’Épopée.