Né à Aubagne en 1992, le groupe La Varappe fête 30 ans d’entrepreneuriat social au stade Orange Vélodrome aujourd’hui. À cette occasion, le président du groupe Laurent Laïk revient sur les grands projets qui ont façonné cette success story solidaire.
« À jamais les pionniers ! ». C’est un autre slogan qui résonnera dans l’enceinte du stade Orange Vélodrome ce jeudi 22 septembre, lors de la fête des trente ans de La Varappe. D’abord montée sous forme associative en 1992 à l’initiative de la municipalité communiste d’Aubagne, où elle se spécialisait dans les espaces verts, La Varappe a su traverser les décennies et joue les prolongations.
Trente ans plus tard, le groupe La Varappe est l’une des plus grandes entreprises d’inclusion sociale en France. Elle regroupe plus de vingt filiales sur l’ensemble du territoire, dans les domaines de l’environnement, l’éco-construction, les ressources humaines et la santé. L’histoire d’une belle réussite d’entrepreneuriat social, qui a permis d’accompagner près de 100 000 personnes, emploie 9 000 salariés et atteint un chiffre d’affaires de 80 millions d’euros.
Avant les séances de tirs aux buts et la cérémonie des Varappe d’Or, retour avec le président de La Varappe Laurent Laïk sur les grands projets qui ont marqué les trente ans du groupe provençal dans son but d’être un « moteur d’ascension sociale ».
Cette année marque les trente ans de La Varappe, qui agit pour l’inclusion sociale dans quatre domaines d’activité. De quels engagements est-elle née ?
À La Varappe, nous avons deux convictions principales : celle que l’Entreprise est probablement le meilleur moyen pour insérer dans la vie active des gens qui en ont été éloignés, et celle que nul n’est, a priori, inemployable. Même si on ne sait pas avec qui ça va marcher ou ne pas marcher, on doit essayer avec chacun et recommencer indéfiniment.
La Varappe a été créée avec une raison d’être qui n’a pas évolué depuis ces trente dernières années, même si on le dit différemment : permettre à chacun de se réaliser au travers d’un travail et de tracer sa propre voie. Nous voulons permettre aux gens, pas uniquement de trouver leur place, mais de pouvoir vraiment jouer leur rôle dans la société et de développer leur pouvoir d’agir. C’est cette finalité qui a forgé les trente années de La Varappe et qui s’exprime encore aujourd’hui.
Quel bilan faites-vous trente ans plus tard ?
Aujourd’hui, si je dois donner des chiffres, les quatre pôles d’activité de La Varappe représentent 80 millions d’euros de chiffre d’affaires, plus de 100 000 personnes accompagnées dans les trente dernières années, 9000 bulletins de salaires tous les mois en 2022, 1800 équivalents de temps pleins de travail, 120 000 heures de formation par l’intermédiaire de nos métiers… Et ce sont aussi des réussites chaque année : en 2022, 80% des gens sont sortis de l’entreprise avec un job. L’activité sur Marseille et le département des Bouches-du-Rhône représente à peu près 35%, soit plus d’un tiers de l’activité du groupe.
Comment les valeurs et les combats de La Varappe ont-ils évolué au fil des années ?
Les valeurs sont restées les mêmes, mais les réponses qu’apporte l’entreprise s’adaptent en fonction de l’évolution de la société et des problématiques de cohésion sociale. Aujourd’hui, des questions comme celles de la mobilité, ou encore des risques et difficultés psychologiques des gens, nous oblige à apporter des réponses à ces choses-là. Sinon, on n’arriverait plus à toucher les gens.
Les métiers et les prestations développés ont également évolué, avec l’idée très forte que l’on ne pense pas qu’il faille faire deux sociétés : celle des gens qui vont bien et celle de ceux qui vont mal. À nos yeux, chacun peut trouver et développer son savoir-faire dans la société. Nous poussons cela en étant à la fois bienveillants et très exigeants, sans jamais coller une « étiquette » d’insertion quand quelqu’un rentre dans l’entreprise.
Selon vous, quels sont les atouts qui ont façonné le succès de La Varappe de ses débuts à aujourd’hui ?
Tout d’abord, je dirais notre capacité à nous diversifier et à réinventer chaque année les métiers sur lesquels on se positionne. L’autre réussite, c’est qu’on a su créer une équipe de personnel permanent compétente, très volontaire et motivée, à qui on laisse beaucoup d’autonomie.
Une autre étape très importante : c’est quand on a fait le choix de positionner l’association historique sur le champ de l’innovation sociale, et de développer le groupe La Varappe avec une gouvernance partagée, c’est-à-dire l’entrée au capital des collaborateurs et des fonds à impact, des fonds solidaires, pour accompagner la croissance de l’entreprise. C’est un marqueur très fort, pour cette entreprise d’insertion, de s’être ouverte à ses partie prenantes, dont le monde financier, pour maximiser son impact.
C’est aussi cette capacité d’adapter les réponses sociales de l’entreprise à la réalité du terrain et des territoires sur lesquels on se positionne. On n’a pas été dogmatique par rapport à un modèle d’entreprise ou à une façon de faire : nous essayons systématiquement d’apporter de l’innovation, d’expérimenter de nouvelles façons d’accompagner les personnes. Je pense qu’on le fait particulièrement bien depuis les trois dernières années, et on va encore mieux le faire dans l’avenir, mais c’est un des points forts qu’il faudra encore renforcer pour être vivaces dans quelques années.
Parmi ses nombreux projets, quels sont à vos yeux les actions phares menées par La Varappe ces trente dernières années ?
Le projet Homeblok, parce que c’est un projet qui transforme à la fois la façon d’approcher le secteur du logement et celui de la précarité. Un autre volet serait aussi ce qu’on est en train de faire avec Intérimaire Santé. La santé est un défi dans ce pays en termes d’attractivité des métiers.
Nous sommes arrivés à proposer à des Ehpad des prestations un peu différentes de ce que l’on faisait jusqu’à présent, et à apporter une vraie sensibilité sur la capacité à développer l’attractivité du métier d’aide-soignant, par exemple. Un autre point fort serait cette capacité de créer des co-entreprises, notamment avec Vinci pour décarboner les aires d’autoroute, le projet Inva. Ça aussi c’est remarquable en tant que réussite, pas encore économique, mais comme réussite de montage et de conviction entre deux partenaires que sont Vinci et La Varappe.
Dix ans après le lancement de Homeblok, y’a-t-il de nouveaux projets en développement avec ce même concept ?
Homeblok se développe bien, actuellement. Nous venons de livrer un village d’une centaine de logements à Draguignan dans le Var pour l’accueil de familles ukrainiennes, et avons d’autres projets dans ce sens-là. Nous avons aussi des projets qui se développent dans plusieurs régions en France pour ce qui est de l’accueil des scolaires : il s’agirait de fabriquer des petites écoles en modules containers qui soient complètement intégrées et durables.
Le sujet container est sans fin et peut se développer très fortement. Plus généralement, nous sommes en train d’imaginer un genre de franchise sociale avec d’autres entreprises à impact afin qu’elles puissent développer des Homeblok dans leurs régions, notamment en Ile-de-France ou du côté de Lyon.
L’économie sociale et solidaire représente plus de 19% des emplois du territoire et 11% du PIB régional*. Vous qui êtes sur le terrain depuis près de trente ans, comment percevez-vous le développement de ce secteur à Marseille et dans la région ?
Pour en avoir discuté avec le président de la Cress [Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire, Denis Philippe, ndlr], il y a un boulevard pour les entreprises de l’économie sociale et solidaire sur cette métropole. La loi sur la transition écologique, qui est aussi reliée à un projet social, va nous y aider.
Il faut que nos entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire ne se mettent pas de barrières et qu’ils partent du principe que l’économie, ce sont aussi eux qui la font. Je trouve qu’il y a énormément d’opportunités, à la fois au travers des marchés publics mais aussi à travers cette lame de fond qui est la prise de conscience des gens, que tout ce qui est inclusif et environnemental est essentiel pour la suite des évènements.
C’est un terrain de développement pour les entreprises de l’ESS qui est quasi-central, un message très positif. Il faut aussi que nous, acteurs, on se saisisse de ces opportunités-là et qu’on en fasse de vraies dynamiques positives.
L’enjeu, maintenant, est de passer de la marge à la norme.Laurent Laïk
Les fractures et les inégalités sociales qui ont impulsé la création de La Varappe il y a 30 ans sont loin d’avoir disparu. Comment comptez-vous forger ce « futur de l’inclusion » ?
Nous avons un vrai sujet : ce que l’on fait, c’est super bien, mais on a du mal à sortir du bac à sable. Il faut qu’on arrive maintenant à transformer la société, mais on n’y arrivera pas seuls. Notre boîte va continuer à se développer et à grandir, mais l’un des enjeux maintenant est de bâtir le futur de l’inclusion avec d’autres.
En d’autres termes, l’enjeu pour moi est de passer de la marge à la norme. Comment fait-on pour que tout soit inclusif dans ce pays ou cette métropole ? C’est un peu le sens de la journée de jeudi. Lors des tables rondes, plusieurs intervenants vont venir partager leur vision des choses, notamment pour élargir le champ de l’inclusion aux entreprises traditionnelles. Notre projet est de faire grandir les gens pour qu’ils puissent développer leur progression sociale, qui peut être mesurée par le salaire, mais pas que. Il y a aussi l’accès aux vacances, l’accès au sport, à la culture… Ce futur de l’inclusion se résume en trois chantiers pour nous : l’accompagnement, les métiers et les modèles économiques de demain.
Vous avez rencontré le ministre du travail Olivier Dussopt mercredi dernier. De quoi avez-vous parlé ?
Nous avons eu une petite heure d’échange sur la manière dont on voyait les choses à La Varappe, et comment le ministre les voyait, depuis la fenêtre gouvernementale et des mesures qu’il allait pouvoir mettre en place. Cela va nous servir de point de départ pour les travaux de jeudi après-midi.
Des intervenants, des économistes et des sociologues seront aussi présents pour essayer de forger avec nos partenaires, entreprises et institutionnels, et les collectivités et l’État, une voie à cette inclusion qui passerait de la marge à la norme. Il faudra que l’on soit encore plus innovants en termes d’accompagnement, et qu’on ait le pouvoir de conviction pour associer d’autres entreprises qui ne sont pas naturellement inclusives pour qu’elles le deviennent et fassent le pari de l’inclusion avec nous.
Vous abordez l’événement de demain justement. Quel est le programme sur le site symbolique de l’Orange Vélodrome ?
L’idée pour nous était de fêter ça dans un lieu emblématique de Marseille, multiculturel. Il n’y a plus beaucoup de lieux comme ça, où un cadre, un chef d’entreprise, un gars au chômage, un gars des quartiers Sud et un gars des quartiers Nord, une femme, un homme, tous se réunissent pour soutenir une équipe.
Le symbole est aussi là. Mais c’est aussi un message. Dire : « soyons innovants ». Plein de choses se font sur ce territoire. On sera toujours les pionniers dans notre secteur de l’inclusion, et on compte jouer ce rôle-là, y compris pour les autres régions de France. Cette journée n’est pas pour les dirigeants mais pour l’ensemble des collaborateurs du groupe : ce sera un moment de fête, pas qu’un moment de travail. Il y aura beaucoup de nos salariés, y compris en insertion. Leur offrir le Vélodrome en privé, c’est quelque chose qui nous tenait à cœur. Et puis, fêter ses trente ans, ça n’arrive qu’une fois.
La Varappe : L'histoire d'un succès entrepreneurial tourné vers le social
En 1992 à Aubagne, La Varappe se spécialisait dans les espaces verts et se présentait déjà comme une entreprise d’insertion. De 300 000 euros de chiffre d’affaires, elle dépasse aujourd’hui les 50 millions d’euros, forte de 22 filiales et de ses différents domaines d’expertise. A ce jour, elle a accompagné 80 000 personnes vers l’emploi.
*Selon une étude réalisée par France Active Provence-Alpes-Côte d’Azur.