Le spectacle Légendaire Cabaret Club débarque ce samedi 17 septembre au Cepac Silo. Originaire de Marseille, Nicky Doll, maîtresse de cérémonie de l’émission Drag Race France diffusée sur France TV, revient sur cette expérience qui a bousculé les codes et mis tout un art sous le feu des projecteurs. Entretien sans fard.
« Lé-gen-daire ! ». Si cette expression vous est familière, vous êtes sans conteste un fan de la première saison de Drag Race France. Entre coups d’éclat et coups de gueule, révélations et confidences, rires et larmes, haute couture et hot tout court… l’adaptation française du plus célèbre concours de drag-queens, RuPaul’s Drag Race, a offert aux téléspectateurs son lot d’émotions et d’extravagance.
RuPaul est la première drag-queen a s’être forgée une carrière internationale, créant un programme original dans lequel chaque année, depuis maintenant 14 ans, des candidats sont invités à se disputer le titre de reine. Le succès aux Etats-Unis est tel que des franchises se créent rapidement à l’étranger, sous le label RuPaul’s Drag Race ou simplement, Drag Race (sans la participation du créateur). Après la Thaïlande, le Royaume-Uni, le Canada, les Pays-Bas… bien d’autres pays emboîtent le pas pour lancer une adaptation à l’identique, dont la France, cette année.
Les Marseillais savent faire du bruit, donc je pense qu’on va bien s’amuser.
Drag Race France, produit par Endemol France et Shake Shake Shake, a ainsi débarqué sur France TV Slash le 25 juin dernier, jour de la Marche des Fiertés LGBT+, (à Paris, Marseille et d’autres villes de France) avec une mise en ligne tous les jeudis. Puis sur France 2, les samedis à minuit, pour sonner le coup d’envoi d’un show haut en couleur assuré par dix drag-queens, attachantes et au caractère bien trempé.
Comme dans l’émission originale, des épreuves rythment les épisodes : chant, danse, comédie, imitations de personnalités, créations artistiques ou de tenues étonnantes et détonnantes rendant souvent hommage aux plus grands couturiers français… Jusqu’au très redouté « lip sync » (play-back) qui, en fin de chaque émission, renvoie chez elle la queen perdante sur décision du jury, présidée par la française Nicky Doll, aux côtés de l’animatrice Daphné Bürki et du DJ Kiddy Smile.
De la France aux Etats-Unis, la naissance de Nicky Doll
Hôtesse iconique de cette édition, Nicky Doll s’était présentée à la saison 12 de RuPaul’s Drag Race avant d’être éliminée à l’issue du cinquième des dix épisodes. Depuis, la Marseillaise de 31 ans s’est elle aussi bâtie une carrière internationale. C’est, en effet, dans la cité phocéenne qu’est né Karl Sanchez, de son vrai nom.
Élevé par sa mère, il quitte Marseille à l’âge de 6 ans, direction les Caraïbes. Il y passe toute son enfance avant de débarquer à Tanger au Maroc, où il connaît les premières railleries qui vont ponctuer une partie de sa vie. « Voyager autant, ça m’a permis de m’ouvrir sur le monde, sur les cultures, comprendre que la différence n’est pas forcément l’ennemie. Ça m’a permis d’être le porte-parole que je suis maintenant ». Il s’envole ensuite à Paris pour suivre des études de communication, mais son sens artistique le guide vers le maquillage professionnel.
C’est lors de sa première Marche des Fiertés en 2009, dans la capitale de la mode, que Karl incarne pour la première fois un personnage de drag queen. L’année suivante, il se produit sur la scène du Queen le dimanche, un établissement parisien qui a depuis fermé ses portes. « C’est là que j’ai commencé à me dire que j’avais cette envie de performer et de me challenger. Malgré le stress, je me rappelle que ça a vraiment créé en moi cette envie de continuer et je ne me suis jamais arrêté ». Nicky Doll est officiellement née.
Passionnée de mode, la queen rayonne sur le petit écran vêtue de tenues qui rendent hommage à Christian Dior ou Thierry Mugler, tout en apportant sa « french touch » inspirée de la scène underground parisienne et de la mode des années 90, âge d’or du glamour. Son autre passion : la musique. Son pseudonyme est d’ailleurs inspiré du nom de la rappeuse américaine Nicki Minaj. Nicky Doll a signé cet été son premier titre « Attention », qu’elle interprète sur la tournée Drag Race France Live dans le spectacle Légendaire Cabaret Club. Entretien avec la reine des drag-queens françaises.
Après trois jours à guichets fermés au Casino de Paris, la tournée Drag Race France Live a démarré le 6 septembre à Nancy. Comment se passe-t-elle ?
Très bien. Chaque soir, on remplit les salles et on a le plaisir de pouvoir partager notre art avec un public super excité à l’idée de nous voir et découvrir ce que l’on fait. C’est vraiment beaucoup d’émotions. On monte sur scène tous les trois jours en moyenne. On est très très contentes.
Vous parlez d’émotions. Quel accueil vous réserve le public ?
Un très bel accueil. Ce n’est pas juste une communauté éduquée sur la question, pas seulement la communauté gay ou queer. Le public est très diversifié. On a des familles, des personnes qui ont suivi l’émission, des enfants… Et c’est très touchant, car c’est la preuve qu’on arrive à changer les mentalités, petit à petit, avec une émission comme Drag Race.
Vous vous produirez le 17 septembre sur la scène du Cepac Silo, à Marseille. Comment appréhendez-vous cette date ?
Je sais que Marseille est une ville très ouverte aux arts et à la communauté queer, jeune et très vivante. Je pense qu’on va avoir beaucoup d’énergie dans cette salle et les Marseillais savent faire du bruit, donc je pense qu’on va bien s’amuser.
Vous êtes la première drag-queen française à avoir participé à la célèbre émission américaine « RuPaul’s Drag Race ». Pourquoi avez-vous eu envie de tenter votre chance ?
J’avais envie de me challenger face à des Américaines, tout en représentant mon pays, parce que, comme vous le dites, il n’y avait jamais eu de Française dans cette émission. J’avais déjà à cette époque quitté la France avec l’ambition de me challenger à l’étranger. Donc, rien de tel qu’une émission comme celle-ci.
Quels souvenirs en gardez-vous ?
J’en retiens de bons et de mauvais souvenirs, parce que forcément, je n’ai pas gagné (rires). C’est une expérience qui m’a beaucoup changé et m’a permis de faire avancer les choses en France, et j’en suis très reconnaissante. Ça m’a surtout permis de me révéler en tant qu’artiste et de me conforter dans le fait que c’est ce que je voulais faire tous les jours.
Votre participation et la notoriété acquise vous ont propulsé maîtresse de cérémonie de l’adaptation française de ce concours de drag-queens sur une chaîne du service public. Comment ce projet est-il né ?
J’ai eu la chance de pouvoir discuter avec les producteurs de l’émission dans le cadre de ce projet. On a eu des rendez-vous avec plusieurs chaînes, dont celles du service public, et c’est vrai que c’est leur message qui nous a le plus touché, et mis en confiance sur le fait qu’on allait vraiment pouvoir véhiculer l’ADN de l’émission et porter des messages forts.
Lorsque le public voit ce qu’il se passe derrière le glamour, c’est là qu’on réussit à le toucher.
Quel regard portez-vous sur cette première saison qui reprend les codes de la version américaine ?
Elle est très forte et très belle ! Certes, c’est une franchise, on retrouve les codes de RuPaul’s Drag Race et d’ailleurs, c’est ce qu’on voulait. C’est ce qui a fait sa réussite, mais dans le même temps on voulait pouvoir y retrouver la France. C’est vraiment une saison à la française, avec un casting de queens qui représentent la France, l’art du drag en France, sa diversité, c’est d’ailleurs pour ça que ça été bien reçu.
1 million de spectateurs ont suivi le premier épisode, diffusé le 25 juin sur France.Tv Slash, puis en fin de soirée sur France 2. Auxquels s’ajoutent les 100 000 connexions qui ont suivi pendant trois jours sur la plateforme. Vous attendiez-vous à un tel succès si vite ?
Non, pas du tout. J’avais très peur parce que je pensais qu’on n’avait pas assez d’éducation sur le sujet et que cela allait prendre plusieurs saisons. J’ai été agréablement surprise de voir à quel point on a rapidement réussi à fédérer.
Exclusion, sida, homosexualité, monoparentalité… Cette première saison était très riche en confidences sur des sujets encore très souvent tabous. Ces séquences ont-elles été travaillées spécialement ?
Non, elles relèvent du vécu des reines qui ont eu le courage de se mettre à nu dans leurs conversations en révélant leur histoire et des vérités qui ne sont pas forcément faciles à dire. C’est aussi ce qui fait le succès d’un programme comme Drag Race parce que derrière le glam, les paillettes, les spotlights (lumières), et les artistes, il y a des parcours de vie et des traumatismes. Généralement, nous les queens, on se nourrit de ces épreuves pour en faire de l’art, faire sourire. Lorsque le public voit ce qu’il se passe derrière le glamour, c’est là qu’on réussit à le toucher.
J’ai fait de mes traumatismes une force.
Comme elles, vous n’avez pas été épargné dans votre jeunesse. Pour vous, qu’est-ce que cela signifie être drag-queen ?
Je pense, comme tout performer, qu’on aime l’attention, mais aussi apporter notre point de vue sur une société, se connecter avec des gens via un art. Être un drag, c’est déjà un doigt d’honneur très glamour à la société. Personnellement, ça m’a permis de me réapproprier mes traumatismes de jeunesse, quand on parlait de moi comme ce mec trop efféminé alors que maintenant je suis célébrée justement pour cette sensibilité artistique et que j’ai des fans [près de 650 000 abonnés sur Instagram, ndlr]. J’ai fait de mes traumatismes une force. Je suis fière d’avoir tenu le coup. J’utilise aujourd’hui mon art pour être le modèle que je n’ai pas forcément eu étant plus jeune.
Quel est votre souvenir le plus marquant de cette saison de Drag Race France ?
Honnêtement, tous les épisodes, car ça a été très difficile d’éliminer chaque queen. Parce que je sais ce que ça fait. Mais je dirais quand même le lip-sync très touchant de la Big Bertha et Lolita Banana.
Vous êtes la seule queen française à avoir construit une carrière internationale en faisant du drag. Quelles relations entretenez-vous avec les autres queens ?
Je pense qu’au départ, je n’ai pas été accepté tout de suite comme la « host » (animatrice). C’est difficile de remplacer RuPaul tout de suite (rires). Mais très rapidement, elles ont compris que je n’essayais pas d’être la mère de qui que ce soit, mais plutôt une grande sœur qui porte un regard bienveillant, qui rappelle pourquoi on était là, et pourquoi on faisait ça, en leur donnant des conseils. Elles se nourrissent énormément de ce que j’ai à leur apporter.
C’est le défi le plus populaire, car le plus compliqué de l’émission puisqu’il est à la fois un challenge d’imitation, d’improvisation et d’humour. Alors selon vous, quelle est la clé pour réussir un bon « snatch game* » ?
Ce n’est pas forcément d’avoir la voix parfaite ou de ressembler exactement à un personnage. C’est de savoir s’imprégner des mimiques et de la personnalité. Il faut surtout de rester présent parce que sinon on peut vite s’enfermer dans de la parodie et ça ne va pas forcément fonctionner.
Une saison 2 est visiblement en projet. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Il faut voir (rires). Le public serait très content de savoir qu’une saison 2 est en cours. Donc, on croise les doigts.
Pensez-vous avoir contribué à faire évoluer les mentalités sur la scène du drag en France ?
Je pense que maintenant les promoteurs de spectacles, de clubs ou d’établissements en général vont changer de regard sur notre art et enfin commencer à se dire que le drag, c’est tendance. J’espère que les queens vont enfin pouvoir être payées à leur juste valeur en continuant à développer leur art tout en gagnant de l’argent.
On parle beaucoup des drag-queens, mais dans l’émission française vous avez fait intervenir des drag kings. C’est quelque chose de nouveau. Peut-on imaginer une émission spéciale drag kings ?
J’étais ravie de pouvoir mettre en avant la scène des drag kings, parce qu’on reste une communauté. Personnellement, j’adorerais voir une émission avec des kings. Je ne sais pas si ça peut être forcément dans Drag Race. Mais il ne faut jamais dire jamais.
Vous avez signé votre premier single cet été intitulé « Attention ». Quel est votre rapport à la musique ?
J’ai toujours fait de la musique avant même de devenir drag, mais je n’aurais jamais cru le faire avec une perruque et des faux cils. C’est un domaine qui m’a toujours plu, alors le fait de pouvoir enfin sortir ma propre chanson, et qu’elle soit aussi appréciée parce que je l’interprète justement dans Drag Race Live, c’est formidable, c’est un vrai feeling. Et j’ai envie de continuer à faire de la musique et pouvoir performer mes chansons plutôt que de faire du lip-sync.
Cela vous plairait-il de participer à une version All Stars de RuPaul’s Drag Race ?
En tant que compétitrice, je dirais oui, car il y a énormément de choses que je n’ai pas pu montrer lors de ma participation. En revanche, je ne sais pas à quel moment j’aurai envie de le faire.
Est-ce que RuPaul vous a appelé après la diffusion de l’émission en France ?
Pas lui directement, mais les équipes de World of Wonder étaient très contentes de l’accueil de l’émission en France et Michelle Visage [chanteuse, présentatrice télévisuelle américaine, juge dans chaque saison de RuPaul’sDrag Race, ndlr] m’a contacté pour me dire à quel point elle avait adoré.
Si je vous dis « Mourir sur scène » ?
Paloma. La gagnante. C’est une queen qui cochait toutes les cases, avec une humilité qui me touchait énormément. Elle représentait également très bien la France.
Il reste encore quelques places pour assister au spectacle à Marseille. Face au succès d’autres dates ont été ajoutées sur la tournée. C’est par ici