En Provence-Alpes-Côte d’Azur, les acteurs de l’économie sociale et solidaire ont su faire bouger les lignes, démontrant la pertinence d’un secteur économique à part entière. La 3e conférence régionale de l’ESS est l’occasion de revenir sur cette économie inclusive, moteur des transitions.
Il y a quelques décennies, l’économie sociale et solidaire (ESS) n’avait aucune véritable reconnaissance. Idées préconçues, défiance politique, image trop éloignée de la réalité, grands discours dépourvus d’actes… les raisons sont nombreuses pour expliquer cette absence de considération.
Outre la reconnaissance par la loi de 2014, un cap est franchi en 2019, lors de la déclaration du centenaire de l’Organisation internationale du Travail, qui y voit des « entreprises durables », capables de « générer du travail décent, de parvenir au plein emploi productif et d’améliorer les niveaux de vie pour tous ». La pandémie est venue accélérer la reconnaissance de l’ESS. Les entreprises, plus résiliantes que celles de l’économie classique, ont d’ailleurs mieux résisté à la crise sanitaire, répondant également à des besoins sociaux et développant des dispositifs de solidarité.
3 500 entreprises supplémentaires entre juin 2019 et juin 2021
En Provence-Alpes-Côte d’Azur, ces dernières années, les acteurs de l’ESS ont su faire bouger les lignes, démontrant le poids d’un secteur économique à part entière. L’ESS représente 11 % du PIB régional (soit 1 emploi sur 10), 176 000 salariés et près de 12 000 entreprises (avec la création de 3 500 entreprises supplémentaires entre juin 2019 et juin 2021). C’est aussi 4,5 milliards de salaires bruts distribués sur les territoires. Autre chiffre à retenir : 68 % des emplois sont occupés par des femmes.
Chiffres clés
D’après le dernier Panorama de l’ESS France de mai dernier, l’ESS compte 154 679 entreprises et 212 718 établissements employeurs en France. Le secteur emploie 2,6 millions de salariés dont 67 % de femmes. L’emploi dans l’ESS représente 10,5 % du total de l’emploi salarié et 14 % des emplois privés salariés en France.
« Devenir la première région française de l’économie sociale et solidaire »
Le gros des troupes reste les associations, suivies des mutuelles, des coopératives, des entreprises qui sollicitent un agrément ESUS (entreprise solidaire d’utilité sociale), des fondations ou encore des sociétés commerciales de type SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif).
Réélu il y a quelques jours à la tête de la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire (Cress Paca), Denis Philippe est convaincu que la région Sud dispose des atouts nécessaires pour « devenir la première région française de l’économie sociale et solidaire ».
La première place est détenue par la Bretagne qui a historiquement toujours financé des pôles territoriaux de l’ESS. « Il y a parfois une méconnaissance de la manière d’entreprendre dans l’ESS ou de jeunes entrepreneurs qui n’osent pas passer un cap, mais aujourd’hui tous les leviers existent et tous les feux sont au vert pour entreprendre dans l’ESS », poursuit le président, à l’occasion de la 3e conférence régionale de l’économie sociale et solidaire, à l’Hôtel de Région, à Marseille.
Organisée tous les deux ans, cet événement est l’occasion de débattre des orientations, des moyens et résultats des politiques locales de développement de l’ESS. Les débats donnent lieu à la formulation de propositions pour le développement de politiques publiques territoriales.
Une boîte à outils pour développer les projets à impact
La Région Provence-Alpes-Côte d’Azur s’est fortement engagée ces dernières années en faveur de l’ESS. « Une reconnaissance forte, insiste Denis Philippe, de la réalité de l’économie sociale et solidaire et de la part du président [Renaud Muselier, ndlr] une volonté de comprendre qu’elles étaient les difficultés des entreprises de l’ESS et de leur ouvrir l’ensemble des dispositifs auxquels sont éligibles les autres entreprises ».
La Région se pose avant tout en facilitateur. « L’idée est d’être dans une simplification absolue, car l’économie sociale et solidaire reste complexe, il y a de tout, sur tous les territoires avec des idées multiples et variées, explique Renaud Muselier, président de la Région Sud. Nous ne sommes pas en mesure en tant qu’institution de traiter ça, mais la Cress possède cette expertise. La Région donne les moyens pour aider et nous avons un certain nombre d’outils qu’elle connaît très bien pour bien orienter les porteurs de projets et faire en sorte qu’ils ne se perdent pas dans un dédale sans fin ».
L’institution accompagne via son dispositif « Mon projet d’entreprise » ou encore grâce au Fonds d’investissement pour les entreprises de la Région (Fier). Afin de renforcer son action, une élue déléguée à l’ESS a été nommée. En 2021, la Région a porté la subvention octroyée annuellement à la Chambre régionale des entreprises de l’ESS à 600 millions d’euros (contre 250 millions auparavant). Une aide qui devrait doubler pour 2022.
« Un secteur d’innovation extrêmement fécond »
Le soutien passe par différents outils à l’instar du fonds d’investissement créé avec la Banque des Territoires. Son objectif est de proposer une chaîne de solutions pour les entreprises à impact, à différentes phases de l’existence des entreprises. En amont, au moment de sa structuration avec le dispositif local d’accompagnement (DLA) co-piloté avec l’État, et très en aval lorsque les entreprises basculent dans un modèle économique standard, elle intervient en qualité « d’investisseur avisé ».
« C’est-à-dire, avec un objectif de rentabilité, des exigences en termes de gestion, d’organisation… La particularité c’est que l’on investit des champs que l’on n’avait pas l’habitude d’investiguer comme l’inclusion numérique, la transition alimentaire. Des choses qui émergent et sur lesquelles l’ESS joue un rôle d’éclaireur d’une certaine manière et où l’économie de marché n’est pas encore. C’est vraiment un secteur d’innovation extrêmement fécond », analyse Alexis Rouque, directeur de la Banque des Territoires Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Démontrer la pertinence du modèle économique
Si l’ESS doit « s’inscrire dans les dispositifs existants », Denis Philippe plaide pour que la Cress ne soit pas tributaire de la puissance publique. « Mon objectif c’est d’aller chercher le doublement des aides, avec mes partenaires, car il y a toujours un risque d’être dépendant de l’État, de la Région, même si nous avons de très bonnes relations ». Il entend toutefois s’appuyer sur l’expertise régionale, qui a démontré son aptitude à aller chercher des fonds européens, pour mobiliser des crédits pour l’ESS. « Et nous avons aussi une capacité à nous organiser par nous-mêmes », reprend Denis Philippe, qui œuvre dans ce sens.
C’est la raison pour laquelle, grâce aux 5 banques coopératives adhérentes (la Caisse d’Epargne Cepac, le Crédit Agricole, la Banque populaire Méditerranée…), la Cress va créer un pool bancaire : « les banques vont mettre ensemble au pot commun avec France Active et nous allons aussi accompagner des entreprises », poursuit-il. Les banques pourront apporter des réponses financières.
Il entend aussi se tourner vers de grands acteurs de l’ESS « qui ont les moyens et qui ont envie de faire pot commun pour aider de plus petites structures à se créer et se développer. Nous avons un mode d’entreprenariat différent, faisons la démonstration que nous sommes des entrepreneurs. Plus nous aurons des entreprises de l’ESS installées, plus nous pourrons démontrer la pertinence du modèle économique ».
L’ESS, un levier d’attractivité des territoires
D’autant que ces entreprises contribuent « au soutien de l’attractivité des territoires et au développement d’autres secteurs économiques », note Jean-Philippe Berlemont, directeur de la Dreets Paca et représentant de l’État. « Imaginez un territoire sans tissu associatif, sans service de proximité, sans service de soins, autant d’activités fortement portées par l’économie sociale et solidaire », sans laquelle « le reste de l’économie ne fonctionne pas. C’est pourquoi, l’ESS est doublement précieuse ».
Elle met également en évidence la question du « sens » prégnante depuis le début de la crise sanitaire et plus particulièrement chez les jeunes. « Il y a de vraies tensions de recrutement dans tous les domaines, pour différentes raisons, la formation, les compétences, les salaires… Mais il y a aussi des personnes qui souhaitent exercer leur activité dans une entreprise qui fait sens, conforme à leurs valeurs personnelles, et dans lesquelles leur voix compte. C’est ce qu’apporte le mode de fonctionnement de l’économie sociale et solidaire ».
Une future Maison de l’ESS à Marseille
La Cress a mis cette année le curseur sur la thématique des transitions écologiques et sociales en région Sud. Un champ piloté par Anne-Claire Bel, vice-présidente déléguée de la Chambre et directrice régionale des Compagnons Bâtisseurs de Provence, qui abordera cette question par la problématique de l’habitat indigne.
Prochain grand rendez-vous de l’économie sociale et solidaire, le salon de « l’économie d’avenir », le 3 novembre 2022 au Palais du Pharo, axé sur les achats socialement et écologiquement responsables, l’économie circulaire ou encore la RSE. Au programme, conférences, ateliers, place des affaires, trophées de l’ESS…
À plus long terme, la création d’une véritable « Maison de l’ESS » est toujours d’actualité. « C’est un projet de longue haleine, mais beaucoup de structures sont intéressées. Il faut le faire », confie Denis Philippe, déterminé, même s’il risque de ne pas sortir sous son mandat. Deux options : trouver d’anciens locaux à aménager ou créer un nouveau bâtiment. Une destination : « On veut la faire à Marseille. S’il y a une Maison de l’ESS qui met en visibilité ses acteurs, avec idéalement des magasins, une crèche… Ça va de pair avec la reconnaissance de l’ESS ».