Dans les quartiers Nord, le Carburateur est devenu un lieu incontournable de la création d’entreprises. Désigné par l’État parmi les « Carrefours de l’entrepreneuriat » en février dernier, le lieu va booster ses actions sur le territoire.
« Ce qu’on aime bien ici, c’est que c’est un lieu ouvert. On peut venir prendre un café ou un thé en attendant le rendez-vous. Ça nous rappelle les auberges de jeunesse dans le Nord de l’Europe. On est un peu comme à la maison. C’est hyper important ».
Ce n’est pas la première fois que ce couple de créateurs d’entreprise pousse la porte du Carburateur. C’est au sein de cette structure, située dans les quartiers Nord (15e) et dédiée à l’entrepreneuriat, que ces Marseillais ont pu être guidés dans leur future activité.
Ce jour-là, ils s’adressent à Muriel Bernard-Reymond, sans savoir qu’il s’agit de la directrice des lieux. « Pétard. Si j’avais voulu mettre ce dialogue en scène devant un journaliste, je n’aurais pas pu faire mieux », lâche-t-elle, en rigolant. Car en partageant leurs impressions, les futurs patrons livrent tout l’esprit du « Carbu’ ». « C’est ça ! Des rencontres, parfois improbables, des gens qui n’ont pas toujours l’habitude de se parler et qui finalement s’apportent des choses », explique Muriel, installée à la grande table de la cuisine, tout en savourant son petit carré de chocolat. « Mon péché gourmand », avoue-t-elle.
Un bâtiment imaginé autour d’un projet à deux volets
La cuisine représente le point névralgique du Carburateur. « On s’est dit qu’il fallait beaucoup de communication, créer des espaces ouverts comme la cuisine et surtout ouverts sur les autres », poursuit-elle.
Il y a six ans maintenant, le bâtiment a été imaginé autour d’un projet, et non le contraire, et bâti sur deux volets : l’accueil du public en création d’entreprises « pour être un pôle ressources et lui fournir tout ce dont il a besoin, ainsi qu’un réseau ; et une autre dimension, avec l’accueil, l’accompagnement et l’hébergement de jeunes entreprises qui démarrent, avec, là aussi, l’aspect réseau pour lancer son business et au passage un peu d’apports d’affaires », explique la directrice du site.
Derrière les murs de cette structure en béton, habillée de quelques armatures métalliques, de vastes espaces de vie côtoient ainsi des ateliers. Le grand hall d’accueil s’ouvre sur des bureaux pour recevoir le public, tandis que l’étage fait davantage office de pépinière d’entreprises. « Et les petites portes que vous voyez, ce sont des boxes de productions. Au départ, on pensait qu’on aurait beaucoup de BTP, parce que ce sont des activités très présentes sur ce territoire, en plus de la mécanique, de la peinture automobile… C’est pourquoi, on a fait ces petits ateliers destinés à faire de la production, du stockage… Finalement, ce n’est pas tout à fait ça qu’on accueille », sourit-elle.
Un mix d’énergies et une dynamique fédératrice
Agro-alimentaire, textile, maroquinerie, digital… différents secteurs d’activités sont représentés. À titre d’exemple, Amandine Quezel et Amaurey De Veyrac, co-fondateurs de StoqueMarket, ont créé une plateforme en ligne simple et intuitive pour les professionnels de la restauration afin de découvrir, commander, payer et se faire livrer des produits. Le coordinateur national chez Banlieues Santé, Yassine Ennomany y a posé ses valises. Stratégique pour être en lien direct avec le terrain.
C’est depuis le Carburateur que la première ligne de vêtements éco-responsables post cancer du sein de Véronique Gonzalez, « Les Minettes en Goguettes », a été créée. Crukles y remet au goût du jour la technique de la fermentation des légumes ; avec KroKola, Amélie Coulombe s’est lancée dans l’éducation du goût à destination des plus jeunes, en réinventant les codes du chocolat, bio et équitable ; So Potato, produit et distribue des frites fraîches à destination des professionnels de la restauration…
C’est d’ailleurs dans la cuisine que tous les résidents ont fêté la sélection de William Lellouche, le roi de la harissa made in Marseille au programme French Tech Tremplin. Les vestiges de la soirée trônent encore sur la table. Les fameuses noix de cajou pimentées, dans un immense pot bien entamé, font de l’œil au public de passage. C’est l’illustration d’un lieu où l’on crée du lien, où chacun peut avancer sur son projet, tout en étant accompagné sans être isolé.
Les résidents profitent ainsi d’une dynamique entrepreneuriale durant trois ans et de l’expertise de 7 structures locales : BGE Accès Conseil, le Consens, Couveuse interface, France Active, IMM, Petra Patrimonia et Positive Planète.
« J’étais sûre qu’on ne se trompait pas dans le constat de départ »
Depuis 2016, le Carburateur a permis la création d’un peu moins d’une centaine de start-up. « À ce jour, nous n’avons que 5 dépôts de bilan », reprend Muriel, convaincue dès l’origine du bien-fondé de ce projet. « J’étais sûre qu’on ne se trompait pas dans le constat de départ et que la recette que l’on avait imaginée était susceptible de fonctionner autour de ce mélange de porteurs de projets, d’entrepreneurs du nord, mais aussi d’ailleurs, poursuit cette ancienne salariée de la Maison de l’emploi. On savait qu’on avait ici un très fort taux de création d’activités, mais en même temps d’échecs. Il fallait apporter cette offre d’accompagnement, de financement, mais aussi d’hébergement sur ce territoire où il y a un enjeu social colossal à relever ».
Si « jouer collectif », lui semble désormais un terme galvaudé, il n’en reste pas moins que c’est grâce à « cette envie de faire avancer le territoire » des institutions et du monde économique qu’aujourd’hui la structure est devenue un lieu incontournable de l’entrepreneuriat. « Tous les partenaires étaient autour de la table. Ça a démarré très vite, avec le soutien des collectivités et des acteurs économiques, comme la CMA CGM qui, dès le début, nous a offert un vrai coup de projecteur », se souvient-elle.
D’ailleurs dans l’un des deux silos de la société Oxatis, acquise par l’armateur en 2020, situés près du Carburateur, l’aide aux créateurs d’entreprises se poursuit. « On s’est un peu improvisés Yes We Camp », plaisante Muriel, sans prétention aucune. Car le lieu de 2000 m² héberge temporairement des petites boîtes en démarrage contre un loyer très compétitif. « Des bureaux vides, des entrepreneurs en recherche pour se lancer, mais limités économiquement. Pour nous l’équation était vite faite ».
Muscler son action en faveur des jeunes
Ancré à Marseille, le Carburateur a été désigné par l’État, en février dernier « Carrefours de l’entrepreneuriat ». De grands lieux dédiés, où les jeunes qui ont des projets seront « gratuitement formés, conseillés, mentorés par des dirigeants d’entreprises, des associations et accompagnés par des services publics », expliquait Emmanuel Macron, depuis les jardins du Pharo, lors de la présentation du plan « Marseille en Grand ». « Ça va nous permettre de muscler notre action avec plus de moyens et d’intervenants », explique Muriel.
Dans cette perspective, trois nouveaux recrutements sont prévus pour booster et enrichir la programmation avec des actions plus tournées vers la jeunesse. « C’est aussi un moyen d’assurer un suivi des créateurs d’entreprises que l’on a orientés, et cela va également créer un gros appel d’air, car une grosse opération de sourcing sur le terrain va être menée auprès de différents publics qui ne seraient peut-être pas venus vers nous avant ».
D’autres « Carbu’ » en perspective
Parallèlement, une réflexion sur la création d’autres structures comme celle-ci est en cours, principalement « dans les quartiers qui en ont le plus besoin », souhaite la directrice. Il y a six ans, autour d’une table avec sa secrétaire et un stagiaire, ils ont transformé le nom très institutionnel de « pôle de l’entrepreneuriat de la Cabucelle » qui s’affiche sur la façade, en Carburateur. « Ça mélange de l’air et de l’énergie, ça permet de démarrer, autour de nous il y a pas mal de casses autos, ça collait bien », sourit Muriel, qui n’a jamais aimé prendre la lumière.
Au-delà de ne pas être « son truc », finalement elle estime qu’elle « n’a pas besoin de parler, parce que ça roule. On a tout le temps du monde, les résidents et l’équipe sont contents. Eux, tous ensemble, ça vaut toutes les voix », confie cette femme qui préfère rester dans l’ombre pour faire rayonner les autres. « Je me sens plutôt au service des gens et du territoire. J’aime bien faire carburer les gens. Ça me remplit donc ça me fait avancer ».