Découverte de légumes de saison, fabrication de pâtes, réalisation de salades maison… L’école comestible a pour objectif de faire entrer l’éducation alimentaire dans les classes. Les élèves de CM2 de l’école Air Bel participent à des ateliers éducatifs et interactifs sur le temps scolaire. Une première à Marseille.
Sur le tableau noir en lettres capitales ces deux mots bien en évidence : « L’École comestible ». Ce jour-là, entre les maths et le français, les élèves de l’école Air Bel découvrent un cours des plus originaux, où ils partent à la découverte des légumes de saison et des goûts dont ils n’ont parfois pas l’habitude. Mais surtout, pendant plus d’une heure, ustensiles en main, ils deviennent de véritables petits cuisiniers en herbe.
C’est une première dans la cité phocéenne. La première branche en Provence. L’association « L’école comestible » intervient depuis 2019 dans les écoles élémentaires et maternelles, principalement en Île-de-France, afin de proposer des contenus éducatifs et interactifs. L’ambition est de faire de l’éducation alimentaire une matière à part entière du programme scolaire, avec des potagers, des ateliers culinaires et exploratoires, animés par des maraîchers, épiciers et des chefs engagés dans une cuisine durable, saine et accessible.
La « révolution délicieuse »
L’École comestible s’inspire de The Edible Schoolyard Projet (littéralement « la cour d’école comestible »), né aux États-Unis en 2015. Un projet de potager pédagogique avec cuisine attenante au sein d’une école californienne, lancé par la cheffe Alice Waters. Vice-présidente du mouvement international Slow Food, elle est connue pour son engagement militant en faveur d’une alimentation bio et locale ; mais aussi pour son restaurant devenu emblématique « Chez Panisse » à Berkeley en Californie, créé en hommage à Marcel Pagnol, en 1971. The Edible Schoolyard Projet a permis le lancement de programmes similaires dans plus de 5 000 écoles aux quatre coins du globe.
Une « révolution délicieuse », à laquelle Camille Labro a voulu prendre part, en créant L’école comestible en France. « Ça marche très fort, lâche avec enthousiasme la journaliste culinaire et autrice. Nous sommes dans notre troisième année. Je savais que cela avait un potentiel magnifique, mais je n’avais pas en tête que ça pouvait prendre une telle ampleur et fédérer autant », nous confie la présidente-fondatrice, qui n’a plus une minute.
Et pour cause. Sur l’année scolaire 2020-2021, malgré la crise sanitaire, l’association a sensibilisé 1 000 élèves au travers de 235 ateliers ludiques et pratiques, organisés sur le temps scolaire. Résultat ? « 1 enfant sur 2 nous dit au début qu’ils n’aiment pas les légumes, c’est un grand classique. À la fin de l’atelier, 99 % goûtent et 50 % disent qu’ils aiment. On est vraiment super gagnants au niveau du ressenti des enfants. Et c’est marrant aussi de voir la réaction des parents lorsqu’ils viennent et voient leurs gamins dévorer des salades de fenouils ou manger du rutabaga tout cru… Le secret, c’est que les enfants réalisent eux-mêmes leur préparation, et bien souvent, par pure fierté, ils vont goûter », poursuit Camille Labro.
La première branche marseillaise
Cette démarche à la fois écologique, humaine et vertueuse est plébiscitée à l’occasion de la dernière édition du festival « Agir pour le vivant » à Arles, à l’initiative de l’ancienne ministre de la Culture, Françoise Nyssen [devenue marraine de l’école comestible, aux côtés d’Alice Waters, ndlr]. Un événement auquel assiste Stéphanie Croce. Immédiatement séduite, cette Marseillaise, adepte du manger sain et des recettes de grands-mères, nourrit l’envie de répliquer l’expérience dans la deuxième ville de France.
Pour elle qui évolue dans le monde du digital, c’est un « un vrai boulot de cheffe de projet » qui débute alors. Elle structure son équipe autour d’un noyau dur : Lison Postel, qui travaille sur les questions du Programme alimentaire territorial Aix-Marseille PAT de la Métropole, Emilie Laystary, journaliste culinaire et société à Libération, et Matthieu Gamet, co-fondateur de la célèbre marque Kult. Tous sont bénévoles. A leurs côtés, le Collectif Hors Champs et l’épicerie Provisions.
C’est à l’école d’Air Bel dans les quartiers Nord que la première graine est plantée, grâce à l’enthousiasme et la motivation de Chloé, maîtresse de CM1. « Notre cible, ce sont des écoles dans des quartiers défavorisés. Surtout que l’on travaille vraiment sur la pédagogie inversée, c’est-à-dire que ce sont les enfants qui vont ramener ce qu’ils auront fait en classe à la maison, et expliquent à leurs parents », souligne Stéphanie Croce. Par ailleurs, cette école fait sens en raison de ses projets pédagogiques déjà menés notamment avec la ferme le Talus. « On est vraiment de la terre à l’assiette, et c’est vraiment ce qu’on recherche ».
Ateliers de découvertes sensorielles, culturelles et culinaires
À l’école comestible, le premier atelier est toujours consacré à la découverte de cagettes de saison et animé par un maraîcher. Que des légumes au menu ! « Le but est d’avoir beaucoup d’interactions avec les enfants durant la première demi-heure. Le maraîcher présente son métier, les produits qu’il a apportés, puis l’heure suivante, par groupes, ils vont réaliser une salade, créer leur petite sauce. On leur aura expliqué la base d’une bonne vinaigrette, détaille la présidente de L’école comestible Marseille. Un temps est consacré à la dégustation. C’est très important. Chacun goûte ce qu’a fait l’autre, compare. Et on ne reconnaît plus les enfants », confirme-t-elle.
Le goût est à l’honneur avec l’atelier découverte des goûts primaires. « C’est important d’apprendre le goût des bonnes choses. Nous sommes dans le pays de la gastronomie et nous-mêmes nous ne savons pas toujours saisir les différentes amertumes, poursuit Stéphanie. Vinaigre, miel, citron, mélasse de grenade… par le biais du jeu, ils découvrent ces saveurs. « C’est la base de l’apprentissage avant de pouvoir cuisiner et aimer ce qu’il y a dans son assiette ».
Les élèves ont également pu s’initier à la fabrication de pâtes artisanales avec une cheffe. Le petit plus ? C’est à la maison, en famille, qu’ils ont pu mettre la touche finale à leur plat. De quoi susciter, pourquoi pas, quelques vocations. En plus de la classe de CM2, les CM1 profitent ce semestre de cet apprentissage, avant la grande sortie prévue dans quelques semaines.
La première graine d’un rayonnement régional
Convaincu par cet enseignement, le Fonds Épicurien, dont la vocation est de soutenir des initiatives autour de l’alimentation durable pour tous, a décidé de contribuer à cette aventure. « Nous avons eu tout de suite le coup de foudre pour cette démarche qui consiste à vraiment entrer dans l’école sur le temps scolaire. Mis à part de la sensibilisation, nous n’avions rien fait jusqu’ici à destination des enfants, de la jeune classe de mangeurs. Il fallait démarrer quelque chose, c’est exactement ce qu’on recherchait », confie Tatiana de Williencourt, présidente du Fonds Épicurien.
Ce coup de pouce permet à la branche marseillaise de rémunérer une coordinatrice en la personne de Saskia Poretta. Co-fondatrice de l’Ecole comestible marseillaise, elle a oeuvré activement pour l’implantation à l’école Air Bel. « Il fallait une personne chargée d’organiser, mettre en relation, aller chercher des intervenants que ce soit des chefs ou des maraîchers, s’occuper de la communication avec les parents et l’équipe enseignante. C’est essentiel », ajoute Stéphanie Croce. D’ailleurs, pour renforcer son implantation et faire rayonner le projet sur l’ensemble du territoire, l’École comestible marseillaise recherche d’autres coordinateurs et compte sur d’autres passionnés bénévoles.
Un programme porté dans d’autres écoles dès la rentrée 2022
D’ores et déjà, grâce à d’autres financements, comme celui de la Fondation d’entreprise Barjane, dès la rentrée prochaine, L’école comestible va germer dans d’autres communes de la métropole. Dans trois classes à Rousset, grâce à la maraîchère Julie Levard, intervenue lors du premier atelier à Air Bel et dans une école de Fuveau. Le programme devrait aussi être porté au sein de l’école Alphonse-Daudet à Aix-en-Provence. « Notre volonté c’est de faire plein de branches sur le territoire, de différentes tailles. Ça peut être assez pluriforme d’ailleurs », ajoute Camille Labro.
Depuis cette année, l’Éducation nationale se penche avec intérêt sur son programme. « L’ambition globale reste que l’éducation alimentaire puisse faire partie des programmes scolaires, mais comme nous on l’entend, avec des valeurs durables, écologiques… Aujourd’hui, il n’y a rien entre notre nourriture, la nature et notre culture alors que c’est fondamental. Le jour où l’alimentation rentrera dans les programmes scolaires avec ces thématiques que l’on défend, là on aura gagné », insiste la fondatrice, fière de voir l’École comestible commencer sa floraison en Provence.