À l’occasion de la sortie de notre magazine, nous vous proposons un regard sur la question des « néo-Marseillais », notamment ceux venus de Paris. L’hypothèse d’une arrivée massive date de plusieurs décennies, mais peine encore à faire ses preuves.

Premier week-end d’avril. Le soleil est enfin de retour à Marseille, après une période de mauvais temps historique. Loin de s’en réjouir, Marion, marseillaise jusqu’au bout des ongles rallongés et savamment vernis, pique une crise : « Pu….! J’ai pas pu foutre un pied à la mer, c’est blindé. J’en peux plus là, ils peuvent pas retourner à Paris Plages tous ces bobos ? »

Avec un certain art de la synthèse, elle résume un discours qui semble s’intensifier à Marseille : les Parisiens envahissent la ville. Ou plus largement, des bourgeois, intellos, étudiants ou artistes, débarquent en masse depuis quelques années.

En plus de la surfréquentation des plages, des calanques, des parcs, des restaurants… ce sont eux qui font grimper le prix de l’immobilier et imposent leur style de vie, leurs friperies, leurs pâtisseries artisanales ou vegan, et leurs brasseries aux airs de Montmartre… au détriment de « l’identité marseillaise ».

parisiens, Décryptage : Marseille est-elle envahie par les « néos » et les Parisiens ?, Made in Marseille
La plage des Catalans.

Comme le café La Muse, à Notre-Dame-du-Mont, dans le triangle branché comprenant le Cours Ju et la Plaine. Ici, les tables rondes en marbre, chaises en osier, menu « quali » et bières IPA ont remplacé les pastis à 1,5 euro de l’ancienne brasserie Le Marseillais.

Tout un symbole pour certains, même si le maître des lieux est bel et bien local. « Il s’adapte à la nouvelle clientèle », estime Guillaume (prénom modifié), vêtu d’un bleu de chine. Ce samedi 26 avril au matin, à l’entrée du Jardin des vestiges, il est venu avec ses amis du centre-ville, tous nés ici, pour manifester devant la « cérémonie d’accueil des nouveaux Marseillais » qu’organise la mairie.

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Manifestation devant la cérémonie d’accueil des nouveaux Marseillais, le 26 avril 2024.

Sur une banderole : « Marseille n’est pas une ville pour touristes ». Sur un drapeau : « Refugees welcome ». Le millier de personnes accueillies ne semblent ni touristes, ni réfugiés. Mais « notre message c’est : ‘bienvenue, régalez-vous, mais venez vraiment vivre ici, adaptez-vous’ », explique Guillaume dans un discours qui reste nuancé, ouvert, et se veut loin d’un chauvinisme fermé.

Lui et ses amis pointent toutefois « le rouleau compresseur de Parisiens qui achètent au prix fort, délogent des locaux, pour manger des brunchs au soleil ».

Portraits de familles lors de la cérémonie d’accueil des nouveaux Marseillais :

Un sentiment décrit depuis les années 1980

« Néo-Marseillais », « arrivants » ou encore « venants ». Le sujet crispe et fait parler. Notamment dans la presse. En 2021, Le Monde dressait le portrait des “schlags”, ces artistes et étudiants principalement venus de Paris. Précaires mais dotés d’un fort capital culturel, ils débarqueraient en masse dans les quartiers modestes du centre-ville, aux loyers abordables, pour y vivre « du chill et du RSA », tout en s’appropriant gaiement les codes des classes populaires locales.

Mais plus de 40 ans auparavant, en 1980, dans ce même journal, on pouvait lire des propos étrangement ressemblants concernant des quartiers de Paris, Lyon ou celui du Panier à Marseille. Le terme d’alors était « zonard » et non « schlag ». Pour le reste : « Leurs vêtements proviennent de pays lointains ou du marché aux puces […] Leurs points communs : des études supérieures, une sensibilité de gauche ».

La journaliste décrivait aussi la mutation des commerces qu’ils provoquaient : « des boutiques de fripes, des brocantes rétro, des pâtisseries traditionnelles »… Une mélodie qui résonne encore aujourd’hui.

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Le cafe La Muse

Par la suite, dans les années 90/2000, le sujet a fait « la Une des dossiers que Télérama ou Libération consacrent aux nouveaux Marseillais ». C’est ce qu’on lit dans Gouverner Marseille (La Découverte, 2006), écrit par le journaliste Michel Samson, et le sociologue-anthropologue Michel Peraldi.

Pour ce dernier, « on entend ça depuis les années 80/90. L’arrivée du TGV a particulièrement généré des fantasmes. Négatifs ou positifs. On a fait l’hypothèse d’un apport massif de Parisiens. Cette rumeur urbaine n’a jamais vraiment été contredite ». Mais lui, ne s’en prive pas.

« Impossible de parler d’arrivée significative de néo-Marseillais »

« Le mouvement de migration des Parisiens sur Marseille est minime. C’est ‘peanuts’ à l’échelle de la commune », lance le sociologue. « Plus globalement, depuis trois décennies, le renouvellement démographique de la ville est stable et faible, contrairement à d’autres, comme Montpellier ou Narbonne ».

Le démographe Émile Duflot semble aller dans son sens. Il écrit une thèse sur les mutations des quartiers populaires du centre-ville. « Entre 2015 et 2022, la part annuelle de nouveaux Marseillais est passée de 2,8% à 3,1% de la population totale de la ville. Ce n’est pas vraiment significatif pour une telle commune ».

Concernant l’origine des néo-marseillais, « pour la majorité, ils viennent des Bouches-du-Rhône, ou du Var ». Et de la capitale ? « Un dixième environ, en 2022, contre un vingtième en 2015. Presque deux fois plus qu’avant, donc ». La représentation de Parisiens « chez les nouveaux arrivants » a donc augmenté. « Mais ça reste moins de 3 000 personnes, sur une ville qui frôle désormais les 900 000 habitants ».

Les néos venus de Paris représentent donc 0,3% de la population marseillaise en 2022. Peut-être l’envahissement de Marseille se profile-t-il à l’avenir ? Mais aujourd’hui, « selon mes chiffres, ça me semble impossible de parler d’arrivée significative de néo-Marseillais ».

Concentration, tourisme low-cost, étudiants… Un sentiment justifié

Alors, le démographe et le sociologue tentent d’expliquer pourquoi des Marseillais mettent la transformation de leur ville sur le compte d’un afflux de « venants ». Pour Émile Duflot, « leur concentration dans certains secteurs peut expliquer ce sentiment. Les arrivants atteignent 6% dans certains petits quartiers du centre-ville. Mais ça reste marginal ».

Pour Michel Peraldi, « le vrai changement dans la population marseillaise ces 15 dernières années, c’est la jeunesse. Marseille, où les retraités sont sur-représentés, est devenue une ville étudiante, comme Aix. Surtout le centre, c’est désormais 20% à 25% des habitants de la rue d’Aubagne. Les jeunes sortent, vivent, font du bruit. On les remarque plus dans l’espace public que les retraités. Mais, ils sont pauvres et on ne peut pas leur imputer une quelconque gentrification », glisse-t-il.

Avant d’évoquer le boom du « tourisme séquentiel populaire ». Avions low-cost, Airbnb, croisières… « Des foules débarquent en masse à Marseille le temps d’un week-end. Le sentiment d’invasion est réel, car ça se voit, ça se ressent ».

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Le Cours Ju.

Enfin, concernant les Parisiens, il invoque un phénomène sociologique dit « de typification ». « Lorsqu’à partir d’une expérience vécue, on crée une généralité. Un soir, dans un café du Cours Ju, j’entends un accent et un propos que j’attribue à un non-Marseillais. J’estime alors qu’ils envahissent le quartier ».

Ainsi, ni le sociologue ni le démographe ne remettent en doute le sentiment d’une mutation de Marseille, dont les néos peuvent être un facteur parmi beaucoup d’autres. « On peut faire dire beaucoup de choses différentes aux chiffres », relativise Émile Duflot. « Mais la réponse est souvent plus complexe et nuancée ». Une nuance qui cohabite souvent mal avec les clichés sur Marseille.


Cet article est à retrouver dans notre magazine gratuit spécial 10 ans

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