Euroméditerranée poursuit depuis 30 ans sa transformation des quartiers en friche le long du Port de Marseille. Habitants, employés et commerçants s’y installent en misant sur l’émergence d’une nouvelle centralité.
« C’est ici que bat le cœur du nouveau Marseille ». À quelques pas du métro Gèze, de grands panneaux publicitaires vantent le renouveau de l’arrière-port de la cité phocéenne. Si le secteur a bel et bien entamé sa mue, les grues sont encore nombreuses à battre la mesure autour des immeubles blancs, flambant neufs, qui se détachent sur le bleu du ciel. Sur les anciennes friches industrielles des Crottes, les projets immobiliers fleurissent. D’ici 2040, ce qui était autrefois un “no man’s land” sera devenu un morceau de ville.
Cette transformation est l’œuvre d’Euroméditerranée. Lancée en 1995, l’opération d’intérêt national a permis aux collectivités locales et à l’État de s’associer pour accélérer la reconversion des quartiers désaffectés du centre-nord. 310 hectares sont alors réaménagés, transfigurant la Porte d’Aix, avec le recul de l’autoroute A7. La façade littorale est quant à elle délivrée de la passerelle automobile qui l’encombrait à la Joliette.
Une rénovation qui entraîne dans son sillon la réalisation de bureaux, de logements et de grands projets, à l’image du Mucem, des Terrasses du Port et de la skyline d’Arenc. Après avoir perdu 50 000 emplois et plus de 100 000 habitants à la fin du 20ème siècle, Marseille commence à voir le bout du tunnel.

Le pari de la mutation
Il est décidé, dès 2007, de poursuivre la métamorphose au nord du périmètre initial. Baptisé “Euromed 2”, 170 hectares supplémentaires sont intégrés pour faire émerger un espace de vie sur des terrains abandonnés à l’entrée des quartiers Nord. Le métro s’arrête encore à Bougainville et le port obstrue la vue sur la mer. Le défi est de taille mais quelques constructeurs se lancent.
C’est ainsi que naît en 2018, sur le site d’une ancienne usine à gaz, “Smartseille”, le tout premier îlot démonstrateur. « On était là les premiers, se souvient Hervé Gatineau, directeur d’Eiffage Immobilier Sud-Est. On est arrivé au milieu de rien. On a fait office de pionniers. Mais à ce moment, ce qui nous porte, c’est la crédibilité d’Euroméditerranée qui est sous l’autorité de l’État. On est certain que ça va avancer. Et on peut s’appuyer sur la vitrine que représente Euromed 1 ». À travers son statut de quartier prioritaire de la politique de la ville, le secteur permet aux acheteurs d’un logement neuf de bénéficier d’une TVA réduite à 5,5%.
Un argument qui séduit les primo-accédants. « Aujourd’hui, à Smartseille, tous les bâtiments ou presque sont occupés, assure le promoteur. Les premiers logements étaient proposés à 3 000 euros du mètre carré. On a eu environ 50% d’investisseurs et 50% d’installations en résidence principale. Majoritairement des habitants qui venaient des arrondissements voisins. Mais aussi des gens qui travaillaient au nord de la ville et qui souhaitaient se rapprocher de l’hypercentre marseillais, tout en étant proche de l’autoroute. Ce qui est intéressant, c’est que la plupart étaient très sensibles à notre discours. On leur a dit ‘vous prenez le pari avec nous de la mutation du quartier’. Aujourd’hui, ils sont devenus les gardiens du dôme ».
« On se doutait que ça n’allait pas être le Prado »
Certains résidents, néanmoins, s’impatientent. Originaire de Normandie, Simon savait à quoi s’attendre. « Avec ma compagne, on arrive dans un quartier en réhabilitation. On se doutait que ça n’allait pas être le Prado. On a été attirés par les prix bas et l’école juste à côté. Mais on a besoin de services de proximité. La première maison médicale n’est pas accessible à pied. Et on aimerait avoir une bibliothèque ». Le néo-Marseillais a entendu parler d’un projet de médiathèque à Gèze et guette sa concrétisation.
« Quand les acquéreurs vont dans les baraques des opérateurs, on leur vend un quartier fini, note Laure-Agnès Caradec, qui préside Euroméditerranée. En réalité, les immeubles sont livrés dans un chantier. L’immeuble d’à côté est en construction, la voirie n’est pas terminée, les équipements publics ne sont pas encore là. Le sentiment de frustration est compréhensible ».
La transformation qui est promise aux résidents est en effet considérable, entre l’arrivée imminente du tramway, pilotée par la Métropole Aix-Marseille-Provence, qui connectera le quartier au centre- ville, la construction d’une nouvelle piscine municipale à Bougainville et la réalisation d’une coulée verte de 16 hectares sur l’ancienne gare de marchandises du Canet.
Pour en profiter, des milliers d’habitants et d’employés sont attendus dans le quartier. « Quand vous aurez l’ouverture du collège Loyola cette année et l’inauguration en 2026 du campus La Plateforme, où s’installeront 3 000 étudiants, le quartier va s’animer. Ça va pousser à la création de nouveaux lieux », projette la présidente de l’établissement public.
L’émergence d’une vie de quartier
En attendant, les opérateurs tentent d’insuffler un peu de vie au milieu des grues. La conciergerie de Smartseille « est devenue le bar du village, donne pour exemple Hervé Gatineau. L’endroit sert de point de rencontre. Les gens viennent réceptionner leurs colis, refaire leurs clés ou laisser leurs vêtements chez le teinturier. Une quarantaine de services sont proposés, ça marche très bien ».
La vie sociale se développe aussi sur les toits où des espaces partagés accueillent des ateliers tricot, jardinage et yoga. « C’est un lieu de convivialité et d’entraide. Les habitants s’en sont emparés », constate Safia Laghrour, salariée de l’association Chers Voisins, qui s’assure du bon fonctionnement du site.
Les commerces, c’est l’autre nerf de la guerre. « Quand il y a un ou deux immeubles de livrés, ça ne suffit pas pour faire fonctionner une boulangerie. Il faut une masse critique », pointe Laure-Agnès Caradec. À l’heure de la pause déjeuner, justement, les files d’attente commencent à s’allonger devant les quelques sandwicheries du quartier. Les food trucks complètent l’offre en proposant une cuisine sur le pouce aux salariés.
Le directeur immobilier d’Eiffage promet l’arrivée d’autres échoppes et d’une moyenne surface alimentaire. « Comme les habitants, il faut convaincre les commerçants de s’installer. Il y a 25 ans, les gens se plaignaient de la présence des biffins sur la place de la Joliette. Regardez aujourd’hui ce qu’est devenu le quartier ».
Au-delà des frontières d’Euroméditerranée
Sept ans après la livraison des premiers bâtiments sur Smartseille, Hervé Gatineau veut cependant corriger certaines erreurs passées. « Une des leçons que l’on retient, c’est l’usage du numérique. On a investi des moyens financiers colossaux pour proposer des services très poussés, comme des interphones ultra-connectés. Mais la construction, ce n’est pas le temps de l’innovation. Quand l’immeuble est livré, il y a déjà eu trois ans d’évolution et on est dépassé ».
Si la part de high-tech devrait donc être revue à la baisse dans les nouvelles opérations, la part de verdure, elle, va augmenter. « Sur les premières livraisons, on avait 20 à 22% de terres plantées, indique le directeur. Sur les prochaines, ce sera 25%. La qualité des aménagements extérieurs, c’est extrêmement important. La canopée végétale, c’est ce qui permet d’accepter la densité ».
Alors qu’un nouveau paysage urbain se dessine aux Crottes, se pose d’ores et déjà la question d’une nouvelle extension du périmètre aux quartiers paupérisés limitrophes, comme la Cabucelle. « Dans nos réflexions, on intègre tout ce qui est en bordure, indique la présidente d’Euroméditerranée. Des études sont actuellement menées le long du futur tramway nord qui doit s’étendre de Gèze à La Castellane, car il va être un élément essentiel de la restructuration des quartiers traversés ».
Une mission qui pourrait être confiée à l’établissement public ? « On peut être mandaté par les collectivités pour intervenir sur des projets précis ». Mais pour la transformation d’un quartier entier, il faudra de nouveau élargir l’opération d’intérêt national. La métamorphose du nord de Marseille ne fait que débuter.