À Marseille, seul 1% du territoire est consacré à l’agriculture. Dans une ville loin d’être autosuffisante, de nouvelles formes de production émergent, en intérieur, sur les toits ou les trottoirs. Micro-pousses, champignons, ruches : sans bêches ni tracteurs, ces cultures “hors-champs” tentent de reconnecter la ville à son alimentation.
Miel de Marseille : des abeilles sur les toits
Quand Gérard Jourdan a posé ses premières ruches sur les toits marseillais, l’idée a fait sourire. Mais contre toute attente, ses abeilles citadines produisent un miel plus parfumé et abondant que celui de la campagne. “Ici, elles butinent une biodiversité étonnamment riche, loin des cultures intensives et des pesticides”, explique l’apiculteur. Dans un rayon de 3 kilomètres, les butineuses trouvent leur bonheur en piochant dans la myriade d’espèces de fleurs présentes dans les parcs, les jardins et même les ronds-points de la ville : romarin et acacia au printemps pour un miel doux, ailantes ou arbres de Judée en été, qui donnent une saveur plus corsée. Chaque ruche abrite environ 70 000 abeilles, capables de produire jusqu’à 45 kilos de miel par saison, malgré la menace des frelons asiatiques. Certaines d’entre elles profitent même d’emplacements de choix, avec une vue imprenable sur la ville, comme celles installées sur le toit de l’hôtel Beauvau qui surplombe le Vieux-Port. Ici, le miel est servi directement sur les cadres au petit-déjeuner. Labellisée Miel de Marseille, le reste de la production est vendu en circuit court par Gérard et son fils Sébastien à leur miellerie d’Auriol et sur les marchés des Réformés, des Chartreux et de Sébastopol.
Neopouss : quand 30 m² suffisent
C’est un petit local à quelques enjambées de La Plaine. Une lumière fluorescente baigne les étagères métalliques où s’alignent barquettes de cresson, roquette, chou rouge ou basilic pourpre. Laura Resteigne et Mathilde Potin cultivent 35 variétés de micro-pousses dans leur ferme verticale de 30 m², Neopouss. Conditions lumineuses, température et ventilation sont optimisées pour produire jusqu’à 1 800 barquettes de micro-pousses par semaine. “Entre le semi et la récolte, il faut compter une semaine pour le radis et jusqu’à deux mois pour le shiso”, explique Laura. Ces jeunes pousses, au stade intermédiaire entre germination et plante mature, offrent une explosion de saveurs mais aussi de nutriments. Le secret ? “Toute l’énergie dont la plante a besoin pour se développer est concentrée dans ces quelques centimètres.” Ainsi, les micro-pousses de coriandre renfermeraient 11 fois plus de vitamine C que leurs versions adultes, quand le chou rouge contiendrait jusqu’à 260 fois plus de bêta-carotène. Livrées à vélo-cargo à une soixantaine de restaurants, ces jeunes pousses ultra-fraîches séduisent les chefs par leur intensité aromatique et leur croquant. Le système d’irrigation de Neopouss économise 95 % d’eau par rapport à une culture en plein champ, et leur production n’engendre aucun déchet. “On voulait montrer…
Mycotopia : les champignons bio des quartiers Nord
Un peu plus au nord, dans un ancien entrepôt du 15ᵉ arrondissement, c’est une autre culture en intérieur qui fructifie. Mycotopia, fondée par Guislain Delcher, produit jusqu’à 1,5 tonne de champignons bio par mois. Pleurotes, shiitakés, et bientôt hydnes hérisson, poussent ici sur un substrat 100 % local à base de sciure de chêne, de paille de Camargue et de son de blé. Le tout dans les serres non climatisées de cette champignonnière urbaine où seul le taux d’humidité est contrôlé via des brumisateurs. Le mycélium, appareil végétatif invisible du champignon, est d’abord incubé deux semaines dans l’obscurité à 24°C. Dix jours après exposition à la lumière, les grappes jaillissent, prêtes à être cueillies. Restaurants, AMAP et marchés marseillais profitent aussitôt de ce produit délicat qui supporte mal la conservation. “C’est tout l’avantage d’être en ville : récoltés le matin, les champignons atterrissent le jour même dans les assiettes”, souligne Guislain. Pour ce passionné, le champignon, “organisme clé des écosystèmes”, mérite une place centrale dans l’agriculture urbaine de demain. Car même ses déchets ont leur utilité : le substrat usagé retourne nourrir les sols des maraîchers alentour.
Bigoud’ : cueillir la ville
Pas de serre, pas de ruche, pas même de balcon. Seuls suffisent un couteau de poche et un œil averti. Depuis 2015, le collectif Bigoud’ arpente les friches et les trottoirs marseillais en quête de fleurs sauvages comestibles. Ce trio de cueilleurs urbains connaît par cœur les “spots” où surgissent spontanément feuilles de mauve, fanes de fenouil, lilas d’Espagne et autres chrysanthèmes couronnés, prêts à être dégustés pour qui sait les identifier. Criste marine près du littoral, lantana sur les ronds-points, acacia au pied des immeubles… “Il y a un côté chasse au trésor : même en sachant ce qu’on va trouver, on est toujours surpris”, raconte Camille. Pendant huit ans, avec Caroline Decque, elle a livré à vélo une cinquantaine de restaurants marseillais avec plus de 100 espèces florales. Aujourd’hui, accompagnées du cuisinier Léo Marandet, elles appliquent diverses techniques de cuisine à leurs trouvailles : pickles, déshydratation, gélatine, macération… L’objectif : “aller au-delà des fleurs crues posées dans l’assiette, explique Caroline. On veut réussir à les cuisiner de manière plus subtile, pour proposer toute une gamme de goûts avec les plantes sauvages.” C’est pourquoi Bigoud’ se consacre aujourd’hui aux “festins” : une fois par mois, une trentaine de convives partent en cueillette avant de partager un banquet haut en couleur, de l’entrée au dessert. Au menu, des bouchées salées et sucrées qui rendent compte de la richesse gustative des végétaux. Le collectif mise aussi sur la transmission à travers ces banquets et leur livre Zones à cueillir, paru aux éditions Ulmer. En revendiquant la cueillette comme un geste culinaire, engagé et poétique, Bigoud’ rend sa place au sauvage dans la ville et dans nos assiettes.