La crise de la Covid-19 a eu un impact fort sur la condition économique des personnes en situation de précarité. SDF, étudiants, familles… Les plus démunis sont de plus en plus nombreux à demander de l’aide auprès des associations locales, victimes d’une nouvelle forme de distanciation sociale. Reportage.
Les Réformés, 7h. A quelques pas de la sortie de métro, un rassemblement désormais habituel à Marseille se tient, sous les effluves du café chaud et des croissants tout juste sortis du four. Du mardi au vendredi, Thierry et David, compagnons d’Emmaüs Pointe-Rouge, accueillent depuis leur camion les sans domicile fixe et leur offrent le petit-déjeuner.
Un moment de partage et de cohésion aujourd’hui vécu par de nouveaux bénéficiaires. Et pour cause, avec la situation de crise actuelle, nombreuses sont les familles marseillaises à demander secours aux associations locales, dans l’espoir de pouvoir joindre les deux bouts.
« Nous avons constaté une hausse de fréquentation des personnes dans le besoin, nous explique Kamel Fassatoui, fondateur de la communauté Emmaüs Pointe Rouge. En effet, s’il n’y avait au départ que des personnes sans abri, aujourd’hui, certains viennent pour prendre un café, et cela n’est pas forcément bon signe, ça indique surtout qu’il y a plus de démunis. Ils économisent sur tout, y compris le petit-déjeuner ». Plus de cinquante croissants sont distribués quotidiennement, un nombre attestant de la forte demande.
De Marseille au Liban
Et un signal d’alarme que les compagnons et les bénévoles de l’association ont lancé dès le début du confinement, en multipliant leurs actions et les appels aux dons afin de venir en aide aux personnes en situation d’extrême précarité. Un élan solidaire entendu, relayé, considéré par les citoyens, et même renforcé pendant la saison estivale. « Nous avons connu une activité forte au mois d’août. Il y a eu énormément de dons, de clients, notamment étudiants. Il fallait être présents pour eux, les aider dans leurs aménagements et les aider à préparer la rentrée. Nous avons aussi participé à des actions en solidarité avec le Liban, aux côtés de la CMA CGM, en nous positionnant sur la collecte de fournitures pour les enfants ».
Publiée par Emmaus Marseille Pointe Rouge sur Mercredi 2 septembre 2020
La distanciation sociale, un pas de plus vers l’exclusion
Mais avec le rebond de l’épidémie, statué par de nouvelles mesures barrières à Marseille, la peur se fait d’autant plus ressentir. « Nous sentons que les sans domicile fixe sont totalement désorientées, même s’ils ne l’expriment pas clairement, souligne Kamel. Nous avons eu un devoir de transmission informationnelle quant aux gestes barrières, en leur expliquant pourquoi et comment se protéger. Et ils suivent nos conseils, même s’ils restent dans le flou. Ils ne savent pas vraiment ce qui se passe mais ressentent le stress général. Ce qui les frappe est le fait que les gens ont encore plus peur d’eux, notamment par rapport à l’hygiène, qu’ils sont réticents à donner de l’argent de la main à la main, ou de les approcher ».
Et si les instances politiques parlent de distanciation sociale, celle-ci est désormais vécue de plein fouet par une partie de la population. « Il faut dire ce qui est : pour les personnes qui vivent de la mendicité, les rapports humains sont une question de survie. Et ils ne peuvent plus vraiment compter sur ça ». Si ce n’est par le travail des quelque 110 compagnons et bénévoles de l’association.
Le vélo : l’objet le plus recherché à Emmaüs
D’autre part, de nouveaux modes de consommation sont aussi remarqués dans les locaux de l’association. Et le Graal en cette période de crise n’est autre que… Le vélo.
Une demande qui a, de prime abord, étonné Kamel. « On nous appelle pour savoir si nous en avons encore, c’est devenu l’objet le plus recherché à Emmaüs. Cela est certainement lié au fait que les personnes désertent les transports en commun pour éviter d’être dans des endroits confinés, par peur des contaminations. Et nous avons d’ailleurs remarqué que la sur-fréquentation à Emmaüs Pointe-Rouge était aussi due au fait que nous disposons d’espaces non-couverts, donc ils viennent sans trop d’appréhension ».
Un accompagnement mis à rude épreuve
Malgré les nombreuses initiatives solidaires portées au niveau local, les associations souffrent encore du manque de bénévoles, dont la plupart étaient des personnes relativement âgées et se sont retirées par précaution sanitaire. Les étudiants sont, quant à eux, les bienvenus pour prêter main forte. Et en ces temps de crise, la solidarité inter-associations reste primordiale pour continuer à accompagner les démunis.
La Fondation Abbé Pierre, offrant en temps habituel un accueil de jour aux personnes en situation de précarité et ayant pour principale mission le relogement, a dû s’adapter à la situation sur plusieurs niveaux. Florent Houdmon, directeur de l’agence régionale de la Fondation, perçoit une réelle tension liée à la crise de la Covid-19.
« Nous continuons à faire les petit-déjeuners, car nous avons la chance d’avoir un extérieur dans lequel les accueillir. Mais forcément, ce n’est plus comme avant, nous sommes limités en terme de place, ce qui crée des tensions entre les uns et les autres. Nous avons prêté main forte à d’autres associations, notamment en nous investissant dans les maraudes, les aides alimentaires. Mais la situation est extrêmement compliquée ; les sans-abri hébergés dans les hôtels, par exemple, ce n’est pas une solution viable pour eux, et il y a paradoxalement toujours autant de monde dans la rue ou dans les squats. Quand on voit la file de personnes qui attendent sous la pluie pour un simple petit-déjeuner, on se rend compte de l’étendue des besoins ».
Plus globalement, l’inquiétude de la Fondation se porte sur la grande précarité générale, en particulier des gens qui vivaient de l’économie informelle, avec des problèmes de régularité, qui ne peuvent plus travailler pour se nourrir. « Ça, c’est réel, il y a une forte augmentation des sollicitations auxquelles nous restons très vigilants. Nous ne pourrons voir les retombées que sur le long-terme. Mais déjà, au niveau politique, il y a une lueur d’espoir : le 5 août, date de naissance de l’abbé Pierre, la Maire de Marseille a abrogé l’arrêt anti-mendicité. C’est aussi symbolique de la volonté municipale de tenir ses promesses, c’est un geste que l’on salue ».
Des engagements faisant aussi suite aux dramatiques effondrements de la rue d’Aubagne, il y a bientôt deux ans de cela, dans la deuxième ville de France. « Marseille reste très pauvre, et il ne faut pas oublier que certains quartiers atteignent 70% de personnes vivant sous le seuil de pauvreté ».
Des douches au gymnase Ruffi pour les plus démunis
Au début de la crise sanitaire, Emmaüs inaugurait sa Lavo’mobile, une camionnette équipée de machines à laver. Mise à l’arrêt après le déconfinement, elle va d’ici peu reprendre la route. Un coup de pouce renforcé par un projet de convention avec la nouvelle municipalité, représentée dans cette action par Christine Juste, adjointe en charge de la santé, de la propreté de l’espace public, ainsi que Audrey Garino, en charge des affaires sociales, de la lutte contre la pauvreté et de l’égalité des chances.
A la demande de MSF (Médecins sans Frontière) nous mettons aujourd’hui notre lavo’mobile au service de jeunes mineurs non pris en charge par le département 13. Lavage et séchage réussis !
Publiée par Emmaus Marseille Pointe Rouge sur Jeudi 20 février 2020
La Ville de Marseille mettra ainsi à disposition des plus démunis, du lundi au vendredi, les douches et les toilettes du gymnase Ruffi (3e). Des produits d’hygiène leur seront aussi fournis sur place ainsi que des masques.
Des démarches que ne peut qu’apprécier la présidence fraîchement élue d’Emmaüs Pointe-Rouge, avec à sa tête, pour la pour la première fois une femme comme représentante de l’association, la journaliste Marie-Christine Lauriol, accompagnée dans cette tâche d’Olivier Giraud, avocat marseillais.
Autant de perspectives pour continuer à oeuvrer, chaque jour, auprès des personnes dans le besoin.