C’est une belle success story à la française comme on en voit rarement. Celle d’une poignée de salariés qui reprennent leur usine vouée à la fermeture, pour continuer à produire en France. Cette histoire, c’est celle des Fralib et leur fabrication de thé made in France qui avait fait beaucoup de bruit lors de la campagne présidentielle de 2012. Trois ans plus tard, Made in Marseille vous propose de faire un retour sur une aventure hors du commun et un destin qui s’annonce glorieux, à quelques jours du retour dans les grandes surfaces de leurs productions.
1336 comme le nombre de jours de lutte entre les ex-fralib, aujourd’hui devenus Scop-TI, et leur ancien patron, la multinationale anglo-néerlandaise Unilever. Un nombre symbolique choisi comme nom de marque (à prononcer « treize, trente-six) et qui représente trois ans et demi de résistance de la part de 76 salariés qui ne voulaient pas perdre leur emploi. « Le pot de thé contre le pot de fer », comme le résumait Claude Hirsch dans le titre de son documentaire consacré à cette bataille. Et, pour une fois, c’est ce premier qui a réussi à faire plier le second.
Des ouvriers en colère partout en France
Il est faux de penser que l’histoire des ex-Fralib de Gémenos a commencé en septembre 2010 lorsque leur patron, Unilever, annonce son intention de fermer le site. En réalité, cela a débuté en 1989 quand la multinationale décide de transférer son usine située alors au 97 boulevard Camille Flammarion à Marseille sur la zone franche de Gémenos. Sa production de thés et infusions sous les marques Lipton et Eléphant est en progression chaque année et les lieux, en plein centre-ville, ne sont plus adaptés à une activité industrielle. À cette époque, certaines étapes de la production, comme la mise en boîte des sachets, se font encore à la main. Les femmes étant jugées plus habiles que leurs homologues masculins pour ce genre de tâches, l’usine de Marseille est donc composée à 80% d’ouvrières. « Le déménagement, bien qu’à seulement une trentaine de kilomètres, est mal vécu par les employés qui vivent aux abords de l’usine et qui n’ont pas forcément de véhicule pour se déplacer, ni les moyens de s’en acheter un », explique Olivier Leberquier, Directeur Général Délégué chez Scop-TI. Sur les 160 salariés marseillais, 70 partent pour Gémenos.
Dans les années 1990, Unilever dispose de trois usines en France. Deux qui produisent du thé et des infusions, Gémenos et le Havre, et une autre à Dissay (Poitou-Charentes) qui confectionne des soupes et des boissons chocolatées. Cette décennie marque la volonté de la multinationale de rationaliser ses équipements. En 1998, elle ferme l’usine du Havre et propose à tous les salariés un plan de reclassement… à Gémenos, à presque 1000 kilomètres. En 2000, rebelote à Dissay. Sauf qu’ici, un repreneur se voit « offrir » par Unilever le site et l’une de ses marques, Compagnie Coloniale, pour un franc symbolique à la condition de créer 80 postes sur les 102 de ses ex-salariés. Ironie de l’histoire : c’est un producteur de thé qui reprend l’usine de Poitou-Charentes alors que c’est celle du Havre, fermée deux ans plus tôt, qui était spécialisée dans le secteur du thé et des infusions.
Gémenos : « Le pot de thé contre le pot de fer »
Se retrouvent alors à Gémenos, des employés venus du Sud comme du Nord de la France. Unilever spécialise ce site sur la production de thés parfumés, thés verts et infusions. Quant au thé noir, il devient spécialité de l’usine du groupe basé à Bruxelles. C’est aussi à cette période que la multinationale abandonne les atouts majeurs du site de Gémenos. D’une part, les plantes aromatiques et médicinales régionales sont sacrifiées au profit d’importations venant d’Europe de l’Est et d’Amérique du Sud. D’autre part, l’aromatisation naturelle est remplacée par l’utilisation d’arômes chimiques.
Arrive ensuite septembre 2010 où Unilever annonce son intention de fermer le site de Gémenos. Ce n’est pas un problème de rentabilité qui est avancé, mais de surproduction. Car le géant a perdu 20% de parts de marché et produit toujours autant. Sur les quatre usines du groupe qui produisent les thés Lipton et Éléphant en Europe, Gémenos est la moins rentable et c’est donc elle qui doit fermer. Unilever propose un plan de 50 reclassements vers d’autres sites du groupe, en Belgique et en Pologne, à ses 182 employés.
« On a mené un combat contre Unilever et on l’a gagné », Olivier Leberquier
76 salariés de Gémenos décident alors de ne pas accepter. D’abord de perdre leur travail, conscients qu’il sera par la suite difficile d’en trouver un autre. Ensuite de devoir partir sur un autre site alors que leur usine est rentable. « Nous sommes allés jusqu’à produire 6000 tonnes de thés et infusions en une année à Gémenos. C’était trop, alors Unilever nous a cantonné à une production de 3000 tonnes par an et nous atteignions le point d’équilibre à 1000 tonnes produites », explique Oliver Leberquier. Entendez par là que, pendant 2/3 de l’année, la production de l’usine de Gémenos n’était que du bénéfice pour Unilever.
Commencent alors 1336 jours de lutte, ponctués par des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) attaqués et annulés par la justice, des occupations de l’usine par les salariés pour que le groupe ne déplace pas ses machines, des solutions alternatives à la fermeture présentées par ces mêmes employés. Ces derniers demandent le maintien de l’activité industrielle et de leurs emplois sur le site. Ils souhaitent conserver le matériel et la marque Éléphant pour continuer à produire des thés et infusions en sous-traitance d’Unilever. Mais le groupe refuse de céder sa marque. Il appose même son veto à d’éventuels repreneurs s’ils sont producteurs de thés, pour empêcher qu’un concurrent reprenne la production.
Une mobilisation régionale et politique
Dès le début de la lutte, les salariés de l’usine de Gémenos ont lancé des appels aux collectivités locales, au Conseil général et au Conseil régional. Pour cela, ils leur présentent un document de quatre pages pour expliquer la situation d’Unilever et leur solution alternative à la fermeture du site. « La région a décidé d’être porte-parole de tous ces acteurs et de prendre les choses en main en leur nom. Elle a ainsi débloqué, en 2011, une subvention de 25 000€ pour mettre en place une expertise et trouver une solution alternative à la fermeture de Gémenos », raconte Olivier Leberquier. Même les politiques semblent s’intéresser aux Fralib à l’instar de François Hollande qui les a soutenus dès sa campagne présidentielle en 2011.
En 2012, la métropole marseillaise rachète le site de Gémenos. Pour autant, la bataille juridique continue. Les trois premiers PSE proposés par Unilever sont tour à tour refusés par la justice. En mai 2014, Unilever accepte finalement la signature d’un protocole de fin de conflit avec ses anciens ses salariés, dont 58 se sont regroupés en Scop (Société coopérative et participative) en 2012. Le géant leur verse 19,1 millions d’euros pour monter leur projet de coopérative appelée Scop-TI. En réalité, « seulement » un peu moins de 3 millions d’euros reviennent à cette dernière. La majorité de la somme, soit environ 11 millions d’euros, sert à reverser les salaires non payés pendant la lutte et les cotisations sociales que le groupe avait également refusé de payer. Le reste correspond à la valeur de l’outil industriel qu’Unilever cède à ses ex-salariés.
15 mois après la résolution du conflit, les machines tournent de nouveau à Gémenos pour produire deux nouvelles marques de thés et infusions aux arômes naturels : 1336 et Scop-TI. Découvrez les dans l’article de Made in Marseille.
Par Agathe Perrier