Au travers de discussions captées ici et là dans la cité phocéenne, de passes d’armes entres candidats, sur fond de semaine d’hommages aux disparus du 5 novembre, l’élection dite « historique » prend un tour chaotique. Quand « l’indigne » sonne à tous les étages, la politique a du mal à prendre de la hauteur. Chronique politique #8

« Marseille, c’est la troisième ville de France je crois ? Non, deuxième ! Apparemment, ici, le maire ne se représente pas, et ça va être folklo’ comme à Paris. Il paraît que c’est déjà du grand n’importe quoi d’ailleurs ! ».

Lundi 28 octobre. 19 heures. Vieux-Port. Ces touristes attentent le bus 83. Deux viennent de Rennes, un autre d’Ardèche. Tous les trois ont profité du soleil marseillais, et de la pluie, de ses rues pittoresques, de ses quartiers populaires, admiré la grande roue qui trône sur le Vieux-Port… emprunté les transports en commun « parfois avec difficultés ».

Ils se sont promenés, mais pas « vraiment » au coeur de Noailles, même si l’un d’eux aurait voulu voir le lieu où un an auparavant, deux immeubles se sont effondrés, à 9h05, tuant huit personnes. « J’ai vu ça à la télé, ça m’a paru surréaliste », lâche l’un d’eux.

Le maire (LR) de Marseille, non plus, ne s’est pas risqué à apparaître au pied du trou béant, ce 5 novembre. Un an jour pour jour, après le drame de la rue d’Aubagne. À l’Hôtel de ville, cerclé de barrières, qui laissent circonspects bien des passants et autres touristes chinois, les drapeaux ont été mis en berne. « Je porte le deuil malgré les invectives publiques (…) Je cherche surtout l’apaisement, j’ai tout supporté, je vous ai dit ma compassion, mais je ne pense pas que ma présence soit souhaitée », déclarait Jean-Claude Gaudin, lundi, à l’occasion d’une conférence de presse; rétrospective des actions menées ces derniers mois, en matière de lutte contre l’habitat indigne.

« Tout le monde se fait la guerre »

Indigne. Un mot qui claque dans le ciel marseillais, bien au-delà de cette tragédie, et que d’autres n’hésitent pas à employer pour qualifier un début de campagne pour les municipales de 2020 « chaotique, indigne, dans la deuxième ville de France », peste un commerçant du quartier. « Tout le monde se fait la guerre », entre partis politiques et au sein d’un même clan, « pendant qu’on assiste à des scènes de guerre, dignes d’un pays sous-développé », renchérit un jeune homme, cigarette à la main, attablé à la terrasse d’un café.

Il n’en dira pas plus. Ni même son nom. Juste un cri du cœur, alors que d’autres crient leur colère, et que l’heure n’est pourtant qu’au recueillement. Comme ce jour, face à Samia Ghali. La sénatrice des Bouches-du-Rhône, aux côtés du collectif « Marseille en colère », a été prise à partie par plusieurs participants à l’hommage, l’exhortant à « dégager ».

La fondatrice du micro-parti « Marseille avant tout », qui compte près de 4000 membres n’a pas tourné les talons immédiatement, parce qu’elle y voit d’abord « un coup politique », puis parce qu’elle se prépare à « être la candidate des Marseillais », confiait-elle, cette semaine, au Figaro.

« Un spectacle affligeant »

Dans son sillage, l’élu socialiste Patrick Mennucci, n’a pas non plus échappé aux huées, jusqu’au tacle de Martine Vassal dans Libération. En déclarant découvrir « l’ampleur » de la situation [des habitats insalubres], la candidate (LR) avance : « C’était peut-être le rôle Patrick Mennuci quand il était maire de secteur jusqu’en 2014 ». Attaque à laquelle le principal intéressé a répliqué d’abord sur les réseaux sociaux, usant même du terme « abject », pour qualifier la présidente de la Métropole Aix-Marseille Provence et du Département des Bouches-du-Rhône.

Des images, des mots, un « spectacle affligeant », pour nombre de spectateurs extérieurs. « Et un hommage gâché par la politique », déplorait Saïda, dont Shérif, un membre de sa famille est mort dans l’éboulement. Et ce sms sur mon téléphone : « Dis-moi, ça fight, à Marseille, ils vont bientôt se taper dessus !!! ». Une consœur de Bretagne. Un émoticône fera l’affaire en guise de réponse.

« Ni oubli, ni pardon » 

Pendant ce temps, face à ce « Ni oubli, ni pardon », scandé rue d’Aubagne, le sénateur (LR) Bruno Gilles, lui, fait une nouvelle fois son mea-culpa. Le candidat, seul élu de la majorité municipal à avoir présenté ses excuses dans l’hémicycle, réitère : « Notre responsabilité morale à tous réside dans les reconnaissances des erreurs, individuelles ou collectives. En ce sens, je renouvelle les excuses que j’avais adressées aux familles des victimes ». En tant que parlementaire, il a porté une loi contre l’habitat insalubre, voté à l’unanimité au Sénat.

Entre campagne plus sobre de son côté, suspendue deux jours pour sa rivale, Bruno Gilles était monté au créneau quelques jours auparavant sur la question de la sécurité. Le candidat remet en cause le projet de Martine Vassal de création d’une école nationale d’état-major « en marge des priorités des Marseillais », estime-t-il. « Un projet déconnecté qui ne répond pas aux besoins réels pour la sécurité quotidienne des Marseillais ».

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Un duel fratricide qui ne fait que commencer, chacun refusant de céder sa place à l’autre, et qui s’affiche sur les panneaux d’expression libre. Alors quand le bus N°6 direction Bois Lemaître passe devant le visage placardé des candidats souriants, les voyageurs les plus avertis ne se privent pas pour commenter, chauffeur y compris : « Tu vois pas que ça va partir en cou*** cette histoire. Sont pas foutus de se mettre d’accord ceux-là, regardez-les là ». Pas tendres.

Et le rendez-vous avec le nouveau patron des Républicains, Christian Jacob, ne devrait pas changer la donne, malgré la présence à la table des négociations de Jean-Claude Gaudin et Renaud Muselier, nouveau président des régions de France. Bruno Gilles n’espère rien, quant à Martine Vassal, elle, aborde cette échéance « avec sérénité », nous confiait-elle, il y a quelques jours. Hasard du calendrier ou non ? Cette petite réunion entre amis tombe un (mercredi) 13. On se souvient que les deux prétendants se sont déclaré candidats à la mairie de Marseille, un fameux 13 septembre… à un an d’intervalle.

Supporters or not supporters du Vélodrome

C’est sur un autre terrain, que Martine Vassal s’est attirée les foudres de Benoît Payan. Cette-fois à propos de l’avenir du stade Orange-Vélodrome. « Il y a des lieux symboliques qui nous unissent, qui touchent au cœur chaque Marseillais et le stade Vélodrome en est un » a déclaré la candidate, lors du coup d’envoi de la course Marseille-Cassis, donné au sein de l’enceinte mythique.

Le président du groupe socialiste au conseil municipal, membre du Printemps Marseillais, n’a pas tardé à réagir : « Si Martine Vassal a raison de rappeler que le stade Vélodrome est un des symboles de la ville, cela ne doit pas nous exonérer d’une réflexion intelligente, moderne et efficace de l’argent public ! (…) Oui, il faut vendre le Stade Vélodrome ».

Concernant l’avenir du stade, ce qui est sûr, c’est que dès demain, l’Orange Vélodrome, offrira une nouvelle expérience aux supporters de l’OM, grâce à une première antenne 5 G, immersion avec vidéo à 360°, qualité 8 K !

Loin de ces considérations économiques, politiques, et technologiques, les supporters (Ultras 84 et MTP) ont eu à cœur d’exprimer avant tout leur solidarité envers Noailles, via des tifos dont ils ont le secret.

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Et quoiqu’il en soit, la réalité virtuelle ne contribuera pas à offrir une vision du paysage politique plus claire…

« Le spectacle offert (…) n’est pas digne des enjeux… »

En parlant d’y voir plus clair justement, les marcheurs font profil bas, le temps de laisser Jean-Marc Borello poursuivre sa consultation. La veille de sa nomination, le Président de la République a accusé réception d’un courrier de Jean-Philippe Agresti, doyen de la fac de droit d’Aix-Marseille, qui poursuit sa réflexion pour porter sa candidature à la mairie de Marseille.

Une lettre longue de trois pages qui débute en ces termes : « le spectacle offert pour le choix du ou de la candidate de la majorité présidentielle aux prochaines municipales n’est pas digne des enjeux et défis qui devront être relevés par la nouvelle équipe municipale. De la même manière la guerre fratricide qui oppose les deux candidats LR et les vrais faux départs d’une union de la gauche et des verts qui ne cessent de se désunir démontrent l’absence de prise de conscience réelle des difficultés de notre ville ».

Le choix d’un(e) candidat(e) issu de la société civile, volonté affichée par la majorité présidentielle, loin des [femmes et hommes] « politiques professionnels », présageait pour lui une campagne « basée sur un projet indépendant des contingences politiques politiciennes et rassembleur ».

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C’est ce qu’il continue à défendre, décrivant dans sa tribune quel projet il voit pour Marseille, à construire « méthodiquement, patiemment, passionnément un dessin pour la cité phocéenne et faire de Marseille une ville pour tous, avant d’essayer de se construire un destin personnel ». Pour lui, le choix de s’engager pour Marseille « ne peut pas être un choix de carrière. Il ne peut être qu’un choix de vie, un choix de ville » et son destin ne peut non plus se jouer « depuis Paris », ni autour de « dîners en ville ».

C’est peut-être ce qui a poussé Emmanuel Macron à envoyer un émissaire, avec lequel les députés comptent bien échanger, sans quoi, le mécontentement se fera sentir. Jean-Philippe Agresti rencontrera prochainement Jean-Marc Borello. En attendant, il a tenu une réunion lundi soir, et multiplie les rencontres locales notamment avec les marcheurs de la première heure, ainsi qu’avec quelques membres du Modem.

Déception, tristesse et supplications

Ici la consultation, ailleurs la fin des négociations. Le Pacte démocratique a décidé de rompre les discussions engagées avec le Printemps Marseillais, éloignant un peu plus la perspective d’un large rassemblement des forces de gauche. Une décision actée en assemblée générale en début de semaine.

Le Pacte n’accepte plus une union des gauches, sans la participation des habitants. « Pour nous, la fin du système qui mène à l’effondrement de notre ville passe par l’appropriation des enjeux politiques par les habitants eux-mêmes. (…) La crise sociale et humanitaire que connaît Marseille ne se résorbe pas contrairement aux dires de notre édile sur le départ. Les mouvements citoyens et la gauche peuvent et doivent porter un nouvel espoir d’unité et de victoire dont le Pacte souhaite être un moteur, dans la continuité de l’expertise et des mobilisations citoyennes qui ont tenu Marseille debout depuis des décennies ».

Cette décision a causé une profonde déception, et même de la « tristesse » chez les Marseillais, qui avaient espoir dans ce grand rassemblement. Certains vont jusqu’à « supplier », sur les réseaux sociaux pour la reprise du dialogue, « pour trouver des solutions », quand d’autres soulignent « que cette nouvelle division n’est vraiment pas à la hauteur des enjeux pour Marseille et les Marseillais qui n’ont que faire des étendards et des petites étiquettes ».

Certains ont même retiré leur signature du Pacte. De son côté le Printemps marseillais qui estime que le Pacte a claqué la porte, continue de la garder ouverte pour tenter de trouver un terrain d’entente.

Une « Grande marche» dans la « dignité »

Jean-Luc Mélenchon devrait d’ailleurs faire un point d’étape ce samedi. Le leader de la France insoumise et député de la 4e circonscription des Bouches-du-Rhône, participera à la « Grande marche – Un an après » en souvenir des huit marseillais disparus dans les décombres. L’occasion de nouvelles tensions ?

Le seul souhait de celles et ceux qui participeront aujourd’hui reste avant tout de commémorer pour ne jamais oublier ce 5 novembre 2018, « dans la dignité ». Les Marseillais seront une nouvelle fois dans la rue. William Shakespeare a écrit « un roi ne rend jamais le dernier soupir que dans le gémissement de tout un peuple ». À Marseille, il y a longtemps que les gémissements ont laissé place aux hurlements !

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