À l’intérieur de la tête de la Bonne Mère, les tunnels secrets du fort Saint-Nicolas, la cathédrale souterraine du palais Longchamp, un bunker nazi géant reconverti en data center… À l’occasion de la publication de notre magazine, on vous emmène (re)découvrir les secrets de monuments incontournables de Marseille.
À Marseille, qui ne connaît pas Notre-Dame de la Garde, le palais Longchamp, le fort Saint-Nicolas ? Qui n’a jamais aperçu cet immense et étrange bunker qui trône au milieu du Grand port maritime ? Mais derrière ces monuments incontournables se cachent des secrets inaccessibles au grand public.
Des cathédrales souterraines gigantesques ou des data centers ultra-sécurisés, on vous emmène à la découverte de ces sites et de leur histoire.
Entrer dans la tête de la Bonne Mère pour observer Marseille dans ses yeux
Parmi tous les grands monuments, c’est le nez au milieu de la figure marseillaise : la Bonne Mère. Notre-Dame de la Garde domine la cité phocéenne depuis 1864. La statue de la Vierge à l’enfant est visible de tous les quartiers de la ville qu’elle contemple de son regard bienveillant. Mais que voit-elle, au juste, exactement ? On peut le savoir précisément.
En effet, la statue est creuse, et cache un escalier en colimaçon. Les marches mènent jusqu’à la tête qui abrite une petite plateforme où une personne peut se tenir debout et admirer la ville à travers les yeux ouverts de la Bonne Mère, percés dans le bronze. Chaque jour, Marseillais et touristes se rendent à la basilique pour se recueillir ou admirer l’édifice et son panorama unique. Mais parmi les 2,3 millions de visiteurs annuels, presque aucun n’a pu profiter de ce point de vue unique.
De tous les immeubles et monuments de la ville, la Bonne Mère les domine tous du haut de ses 154 mètres. L’aménagement de la statue a bien été pensé pour cette expérience unique : contempler Marseille dans les yeux de la Vierge. Mais l’étroitesse de la cavité et de l’escalier n’ont jamais permis d’ouvrir l’accès au grand public. Toutefois, des exceptions ont régulièrement été faites pour des particuliers, quelques paroisses, ou à l’occasion de certaines premières communions.
Made in Marseille a eu ce privilège, avec une autorisation exceptionnelle du recteur. Évidemment, les observateurs auront remarqué que la Bonne Mère a disparu depuis quelques mois dans le ciel marseillais. Pas de panique, ces échafaudages servent à lui refaire une beauté. 40 000 feuilles d’or neuves vont lui redonner son éclat d’antan d’ici décembre 2025.
À Longchamp, un palais peut en cacher un autre
Le point commun entre Notre-Dame de la Garde et le palais Longchamp ? Henri-Jacques Espérandieu. On doit à l’architecte nîmois ces monuments emblématiques de Marseille, sans oublier la cathédrale de la Major. Et comme pour la statue de la Bonne Mère, le palais Longchamp cache un secret inaccessible au grand public : une gigantesque cathédrale souterraine sur près d’un hectare, que soutiennent 1 200 colonnes en enfilade.
Ici, le secret a une justification historique. Il s’agit d’un immense réservoir d’eau de 30 000 mètres cubes. En effet, au 19ème siècle, la ville est en pleine expansion mais souffre d’un manque d’eau potable pour sa population croissante. Après des années de grands travaux, le canal de Marseille finit par acheminer l’or bleu de la Durance jusqu’au plateau Longchamp en 1849. En guise de château d’eau, on érige un palais magistral dédié aux arts et aux sciences, entouré de cascades.
En sous-sol, deux citernes monumentales permettent de distribuer l’eau. Et de la filtrer avec un sol conçu en strates successives de graviers et de différents sables. Inutilisés depuis 1969, les immenses réservoirs ont fait l’objet de divers projets ces dernières décennies. Une réplique de la grotte Cosquer, un aquarium… Dernièrement, la municipalité étudie la possibilité de les réhabiliter pour récupérer les eaux de pluies ou les reconnecter au canal afin d’alimenter la fontaine et arroser la végétation. Un projet complexe et coûteux, qui pourrait aussi tomber à l’eau.
Dans les entrailles du fort Saint-Nicolas, un labyrinthe militaire souterrain
Un autre des grands monuments incontournables de Marseille cache un secret bien gardé : le fort Saint-Nicolas qui surplombe magistralement le Vieux-Port. Louis XIV l’a fait construire au 17ème siècle, non pas pour protéger Marseille, mais pour mater l’esprit de rébellion de la ville. Le Roi Soleil n’imaginait pas que, des siècles plus tard, les Allemands prendraient possession du site militaire stratégique.
En y apportant toutefois une amélioration de taille. Autour de 1943, les occupants nazis ont creusé sous le fort, à même la roche, un réseau de galeries souterraines de plus de 1 500 m2, jusqu’au niveau de la mer. « Ils auraient entreposé des torpilles et explosifs. Peut-être aussi des sous-marins, mais cela reste à confirmer », nous confiait Pâquerette Demotes-Mainard. La directrice d’Acta Vista, structure qui rénove et exploite aujourd’hui la Citadelle, nous a emmenés dans ces boyaux labyrinthiques à l’occasion d’un reportage vidéo saisissant.
On y découvre un véritable village militaire troglodyte, avec ses appartements, ses douches et ses bureaux, à des dizaines de mètres de profondeur sous la roche. Car, après la guerre, ces galeries sont devenues le Centre de transmissions principal (CTP) de l’armée française, ou « les grandes oreilles de l’Armée ». Un réseau de communication ultra-sécurisé, qui aurait également permis de capter ou brouiller les écoutes en mer ou à terre.
Cette fonction aurait perduré jusqu’au début des années 2000 et l’abandon du site. Par la suite, des fêtards aventureux y ont organisé quelques rave-parties underground, dont les traces sont encore visibles. Aujourd’hui, l’accès aux tunnels avec ses deux portes blindées de 15 centimètres d’épaisseur a été sécurisé. Mais certains espèrent un jour réhabiliter le labyrinthe souterrain avec un nouveau projet.
Quand un bunker de sous-marins nazis devient un ordinateur géant
L’occupation de Marseille par les Allemands a duré de novembre 1942 au 23 août 1944. Soit moins de deux ans. Mais, comme en témoignent les galeries du fort Saint-Nicolas, cette période brève a laissé des marques durables sur la ville. Par exemple, la disparition d’un des plus vieux quartiers de la cité phocéenne, sur toute la rive Nord du Vieux-Port, autour de l’hôtel de Ville. Les nazis l’appelaient « la verrue de l‘Europe », pour sa dimension cosmopolite et sa réputation parfois malfamée.
Ils ont ainsi rasé 1 494 bâtiments sur 14 hectares, soit la plus importante destruction d’un ensemble urbain en France. Mais si les Allemands ont détruit, ils ont aussi construit. L’édifice le plus imposant légué par l’occupant se situe sur le Grand port maritime de Marseille. C’est l’un des rares qui a survécu aux bombardements de 1944. Il faut dire que ses murs peuvent atteindre 7 mètres d’épaisseur en béton armé et ses façades portent encore les éclats de balles et d’obus.
Il s’agit d’un gigantesque bunker de 252 mètres de long, dédié aux sous-marins de défense de la façade méditerranéenne. Si l’édifice est imposant, il a pourtant été construit en six mois, sans avoir eu le temps de servir la marine de guerre allemande.
Au contraire, le bâtiment a servi de prison pour les militaires nazis capturés à la libération de Marseille. Des peintures et fresques sur certains murs témoignent encore de cette captivité. « Des vues de Cassis, des croix gammées… On les a conservées et protégées mais elles ne sont plus accessibles », explique Fabrice Coquio, directeur de Digital Realty.
En 2018, le géant mondial des data centers a vu une opportunité foncière dans ce bâtiment abandonné depuis 70 ans. Et y a installé MRS3 [voir notre article], un gigantesque centre de stockage et d’échanges de données.
À la place des sous-marins, des alignements de machines informatiques surpuissantes ont pris place sur plus 7 100 m². « Nous n’avons pas touché à la structure du bâti, excepté l’ajout d’une enveloppe en acier corten, pour cacher les éléments techniques sur le toit et certaines façades ». C’est ainsi que le bunker de sous-marins nazi est devenu un ordinateur géant.