MerTerre, 1 Déchet Par Jour, Sauvage, Clean My Calanques… Les associations de ramassage de déchets sont en plein boom depuis dix ans à Marseille. Derrière ces événements festifs et des vidéos qui buzzent sur les réseaux sociaux, se cache une lutte au long cours pour protéger la Méditerranée.
On reconnaît au premier coup d’œil cette espèce bien connue du littoral marseillais : une paire de gants, un grand sac, parfois une longue pince. Elle se repère le plus souvent dans les calanques ou sur les plages mais peut s’aventurer sur les places et dans les parcs du centre-ville. Depuis une dizaine d’années, la prolifération des ramasseurs de déchets est exponentielle dans la cité phocéenne. Ils se multiplient par le bouche-à-oreille, les réseaux sociaux, et se réunissent lors de grands ramassages collectifs.
« Dans les années 1990, des associations et citoyens organisaient déjà des nettoyages d’espaces naturels », retrace Isabelle Poitou. « À partir des années 2000, ils ont uni leurs efforts, pour renforcer le message et faciliter la logistique ». Ainsi naissait l’opération Calanques Propres, qui fêtait son vingt-deuxième anniversaire en mai 2025, avec plus de 60 structures et 1 500 participants pour nettoyer les côtes de Provence.
Isabelle coordonne le dispositif depuis près de 20 ans avec l’association qu’elle a créée : MerTerre. Biologiste marine, elle a écrit une thèse en 2000 sur les déchets du littoral provençal, puis a dédié sa vie à lutter contre ce fléau.

« Le mal de mer » en dit long sur notre société
On la retrouve pour l’opération ‘Calanques Propres 2025’ dans l’anse de la Maronaise à l’extrême sud de Marseille. Avec le même contenu dans son sac depuis des décennies. « Les Capri-Sun, c’est un déchet plus récent ». Mais pour le reste, « le mégot jeté par terre, l’emballage de friandises tombé dans la bouche d’égout, les déchets qui débordent des poubelles, des canettes, ou bouteilles en plastique… tous ces produits du quotidien sont mal jetés ou sortent des circuits de collecte et se retrouvent un jour en mer ».
Notamment en Méditerranée, la plus polluée au monde. Près de 230 000 tonnes de déchets s’y déversent chaque année. Ils sont régurgités sur le littoral. « Le mal de mer », image Isabelle Poitou. « La Méditerranée vomit ces déchets sur les côtes. Elle nous rend ce qu’elle ne peut pas digérer ».
Malgré les ramassages réguliers, les déchets réapparaissent vite. Mais ces nettoyages visent surtout à catégoriser, quantifier et inventorier les détritus, avec une méthode mise au point par Isabelle. Elle permet de mieux comprendre les processus économiques et sociétaux qui aboutissent à leur rejet en milieu naturel.
La biologiste est devenue « ethnologue », et voit dans les déchets « nos modes de vie, de consommation, et ce qu’il faut changer. Cette connaissance scientifique du problème permet de guider des actions des pouvoirs publics ». Comme le plan de gestion des déchets élaboré avec le Parc national des Calanques et Citeo. Ou des partenariats avec les industriels locaux : Heineken, Cristalline, Coca-Cola ou Haribo.
Bien au-delà d’un buzz sur les réseaux sociaux
Si ce mouvement de lutte contre les déchets remonte aux années 2000, le véritable boom des associations de ramassages a eu lieu vers 2015, aidé par l’explosion des réseaux sociaux. Des novices qui ne connaissaient pas grand-chose à l’écologie sont apparus sur le devant de la scène environnementale marseillaise.
Comme l’association 1 Déchet Par Jour, propulsée par l’excentrique Eddy Platt. L’anglais ne s’est jamais privé de montrer son derrière pour attirer l’attention sur la pollution. Plus pudique, Manu Laurin, arrivé de Dijon, se souvient des « premiers buzz de vidéos tournées en solitaire lors de plongées ». Il a ensuite réalisé un exploit pour toucher le grand public : nager de Marseille à La Ciotat en nettoyant la mer. Avant d’organiser des concours de ramassage de déchets marins, auxquels il donne une seconde vie avec sa marque Sauvage Méditerranée. Puis, de lancer une monnaie et une banque axées sur la lutte contre la pollution.
Le local de l’étape, Éric Akopian, s’est lancé avec Clean My Calanques. « C’était la honte de voir des gens venus d’ailleurs se bouger pour améliorer notre ville ». En tant que Marseillais, « on a réussi à toucher les locaux et ceux qui s’en foutent de l’écologie ». Il débarque ainsi au Vélodrome avec son haut-parleur pour convertir la ferveur des supporters en grands nettoyages des abords du stade. Il recrute des rappeurs et des stars des réseaux sociaux pour attirer des foules de tous âges et horizons sociaux dans l’action écologique. « Mais surtout, sans jamais culpabiliser le public ». Une recette payante, à en juger par l’immense communauté de Clean My Calanques.
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D’influenceurs à experts
Quoi qu’il en soit, toutes ces associations témoignent du même cheminement au fil des ans. Des premiers buzz sur les réseaux sociaux, jusqu’à la construction d’une véritable expertise environnementale, et une professionnalisation de leur action pour devenir aujourd’hui des interlocuteurs incontournables des pouvoirs publics sur les déchets.
Les institutions finissent même par suivre l’exemple : la Région Sud a organisé la troisième édition de « Nettoyons le Sud », avec 25 000 bénévoles sur 400 communes pour ramasser 100 tonnes de déchets. La société civile sait faire bouger des lignes. Même si l’objectif à atteindre semble encore loin : qu’il n’y ait plus de déchets à ramasser dans la nature.