Aujourd’hui, 90% du commerce mondial transite par la mer sur des cargos à moteurs. Pour décarboner cette industrie polluante, certains remettent la voile au goût du jour. Le pari ne semble pas si fou, alors qu’un porte-conteneurs de près de 100 mètres va bientôt relier Marseille à Madagascar, à la force du vent.

28 janvier 2025, six heures du matin. Un mistral glaçant fait tomber le thermomètre à 5 degrés sur la baie de Marseille. La nuit règne encore et de petites lumières flottent entre l’archipel du Frioul et le château d’If. Ce sont les lampes frontales de l’équipage du Barbaranova, en pleine manœuvre.

Ce voilier de 18 mètres d’acier a connu des expéditions polaires dans une vie antérieure. Mais son capitaine, Alexandre Ragot Lamarche, a besoin d’un café pour affronter le froid après une courte nuit. Devant lui, le soleil commence à dessiner la silhouette de la cité phocéenne après une traversée de 500 kilomètres depuis la Corse. « À l’aller, on a eu la pluie, au retour, une mer croisée…», sourit le navigateur, le visage marqué par la fatigue. « Mais dans tous les cas on a eu du vent, donc on est contents ! »

En effet, la coopérative Bourlingue & Pacotille, qui affrète le bateau, mise tout sur l’énergie éolienne pour transporter des marchandises. Aujourd’hui, 3,5 tonnes d’avocats, d’oranges et de pomelos sont entassés dans la cale du voilier. « D’habitude, on fait environ 90% des trajets à la voile. Là, on a fait 99,9% », se réjouit Alexandre. Avant de démarrer le moteur à contre-cœur au pied du Mucem, pour la manœuvre délicate d’accostage.

À peine le Barbaranova amarré, une chaîne humaine de coopérateurs décharge les caisses de fruits et légumes sur le quai. Des vélos cargos de l’entreprise de cyclologistique Agilenville prennent le relais pour distribuer la cargaison aux épiceries de Marseille. « C’est un passager en plus, qui demande beaucoup d’attention », raconte le capitaine, heureux de constater que ni la houle, ni l’humidité n’ont endommagé les produits frais.

vent, À Marseille, la décarbonation du transport maritime passe par la voile, Made in Marseille
Au pied du Mucem, le Barbaranova décharge sa cargaison de produits frais venus de Corse.

Une petite voile dans un océan de moteurs

« Ils proviennent de chez Vivien, un petit paysan bio sur la côte Est de la Corse », explique le co-fondateur de Bourlingue & Pacotille, Nicolas Rousson. Sur cette exploitation, les avocatiers ont une soixantaine d’années. Leurs racines profondes ne nécessitent « pas d’arrosage, aucune irrigation ». Une donnée importante alors que ce fruitier a très mauvaise réputation écologique.

Dans le circuit classique, la production d’un kilo d’avocat consomme plus de 1 000 litres d’eau et émet deux kilos de CO2. Ici, ce bilan tend vers zéro. « On a créé un réseau solidaire de producteurs méditerranéens en agriculture paysanne », raconte fièrement Nicolas Rousson. Apiculteurs, viticulteurs, maraîchers ou céréaliers, de la Tunisie à la Sardaigne en passant par la Sicile et la Corse… « Ils sont tous engagés et sont devenus coopérateurs dans l’aventure ».

Thibault Nacam, co-directeur de la coopérative, estime qu’avec l’achat de ce navire, premier de leur flotte, « on vise 30 tonnes de marchandises par an, avec un voyage chaque mois ». Une goutte d’eau dans le transport maritime, qui se fait quasi-exclusivement à bord d’immenses cargos à moteur, représentant 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Dur de rivaliser pour les concurrents à voile.

« Les navires motorisés bénéficient de détaxe sur le carburant. Et des liaisons comme la Corse sont subventionnées pour des questions de continuité territoriale. Sans compter les économies d’échelle des porte-conteneurs gigantesques. Au final, malgré beaucoup de bénévolat, on revient toujours plus cher », explique Thibault.

vent, À Marseille, la décarbonation du transport maritime passe par la voile, Made in Marseille

Une solution “simple” pour la transition du transport maritime

Mais d’autres ont déjà commencé à voir les choses en grand, pour concurrencer le transport maritime avec le vent. Comme la nouvelle compagnie militante Windcoop. Cette société coopérative d’intérêt collectif (Scic) a investi près de 30 millions d’euros pour construire un trois-mâts futuriste de 91 mètres de long. Avec ses 1050 m2 de voiles rigides, des « ailes », il pourra charger jusqu’à 210 conteneurs de 20 pieds (EVP), soit environ 2 500 tonnes de marchandises.

D’ici 2027, le cargo à voile assurera la liaison entre Marseille et Madagascar pour ramener épices, cacao, vanille, café et textiles. « En réduisant de 65% en moyenne les émissions de CO2 comparé au transport classique », avance Nils Joyeux, co-fondateur de Windcoop. « L’industrie du shipping va devoir opérer une transition, ils n’ont pas le choix ».

En effet, l’Organisation maritime internationale (OMI) a approuvé la réglementation « zéro émission nette », avec un objectif de neutralité carbone en 2050. Elle prévoit une réduction de 20% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et de 70% au moins en 2040. « Si on veut décarboner efficacement la propulsion d’un bateau, à court terme, le vent, c’est la seule chose qui le permette, de manière finalement assez simple ». Pour lui, le cap est clair.

Bouton retour en haut de la page