Jean-Claude Gaudin, emblématique maire de Marseille, ténor de la droite locale à la carrière d’envergure nationale, a marqué l’histoire de la cité phocéenne durant un quart de siècle de bien des manières. Il s’est éteint ce 20 mai à l’âge de 84 ans. Retour sur son parcours politique.
Il avait le verbe haut, le don d’envoyer ses opposants dans les cordes, voire au tapis avec cette voix tonitruante sans pareil, qui avait résonné dans bien des hémicycles, du municipal marseillais à celui du Sénat.
Gérard Larcher, son président, disait de lui : « Celui qui n’a pas traversé Marseille dans la voiture de Jean-Claude Gaudin, vitres baissées, entendant les passants lancer : « Bonjour, monsieur le maire ! », n’a pas connu le lien entre un maire et sa cité, ce lien charnel, viscéral ».
Élu sans discontinuer de 1995 à 2020 à la tête de la cité phocéenne, Jean-Claude Gaudin, mort le 20 mai à l’âge de 84 ans, dans sa résidence secondaire de Saint-Zacharie (Var), aura incontestablement marqué de sa personnalité l’histoire de sa ville. Jamais à court d’anecdotes, l’ancien professeur avait un goût prononcé pour les histoires et une mémoire des scores électoraux infaillible.
Beaucoup disaient d’ailleurs que sa faconde et son accent provençal en faisaient le « Marcel Pagnol de la politique ». Caricature, à l’instar de bien d’autres clichés s’agissant de Marseille, qu’il assumait volontiers, les écrits de l’auteur l’ayant accompagné depuis ses plus jeunes années.
Une famille populaire
Jean-Claude Gaudin est né le 8 octobre 1939 dans le quartier de Mazargues, dans le sud de Marseille. Fils unique, il est issu d’un milieu populaire. Son père, artisan maçon, était aussi adhérent du Mouvement républicain populaire (MRP), parti démocrate-chrétien. Sa mère, ouvrière dans les corderies.
Il garda toute sa vie cette modeste bâtisse familiale, nichée dans ce noyau villageois du 9e arrondissement, dans laquelle les poutres sont apparentes, décorées de souvenirs personnels, de petits soldats napoléoniens, de santons de crèche… qui côtoient des affiches électorales et des tableaux figuratifs, de natures mortes et de paysages, notamment celui de la calanque de Sormiou, où il passait ses étés.
Jean-Claude Gaudin se passionna très tôt pour la politique. Son histoire personnelle, ses racines familiales, ses croyances religieuses, comme sa culture et ses convictions l’ont poussé vers le centre et la droite. « Ce choix n’est que l’expression de qui je suis », écrivit-il dans ses mémoires intitulées « Maintenant, je vais tout vous raconter »… parues aux éditions Albin Michel en mars 2021, dans lesquelles il égrène les moments clés de son histoire politique.
Un demi-siècle de carrière politique
L’événement qui restera à jamais gravé dans sa mémoire comme le plus important de sa vie, ce sont ses premiers pas en politique. On l’oublie parfois, mais c’est en 1965 que Jean-Claude Gaudin, alors âgé de 25 ans, fut élu pour la première fois sur une liste d’union rassemblant des socialistes, des centristes et des indépendants, dirigée par le socialiste Gaston Defferre, son mentor, dont le jeune Gaudin admirait sa manière de gouverner.
« Je suis le benjamin, je suis à côté du doyen et Gaston Defferre. Et je les vois tous, les hommes et les femmes politiques de la ville. Les communistes, avec François Billoux, madame Estachi, les socialistes avec Defferre, avec Jean Masse, la droite qui m’avait adopté, les bourgeois, les industriels, les grands médecins, les grands avocats… C’est ça, le plus beau jour de ma vie politique », nous confia-t-il, à la table d’un restaurant marseillais, dans l’entre-deux-tours de l’élection municipale de 2020.
Un souvenir impérissable, le début de son apprentissage et d’une très longue carrière politique. Sans fréquenter les bancs de l’ENA ou de grandes écoles, Jean-Claude Gaudin siégea plus de onze ans à l’Assemblée nationale, où il présida le groupe Union pour la démocratie française (UDF), avant d’entrer au Sénat, durant 28 ans. Il fit ses adieux émus jusqu’aux larmes au Palais du Luxembourg en juillet 2017, pour cause d’interdiction du cumul des mandats.
« Je peux dire, par dessus tout, @marseille c’est vous-même » 👏 Hommage de @gerard_larcher à @jcgaudin alors qu’il préside sa dernière séance. pic.twitter.com/VQRnYkEQSy
— Sénat (@Senat) July 25, 2017
Il a présidé aux destinées de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur douze années durant (1986-1998). Il l’emporte toutefois avec l’aide du Front national. Un choix stratégique au détriment des convictions, même s’il soulignait à l’époque : « Je suis élu avec les seules voix de mes amis ».
Acteur sur la scène nationale, Jean-Claude Gaudin a également embrassé la fonction de ministre de l’Aménagement du territoire, de la ville et de l’intégration dans le second gouvernement d’Alain Juppé près de deux ans (novembre 1995-septembre 1997). Et surtout, il a occupé le bureau du maire de Marseille, face à la Bonne-Mère, un quart de siècle. Poste qu’il convoitait depuis douze ans après deux échecs en 1983 et 1989. La droite décroche la deuxième ville de France en 1995, un mois après l’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République.
Au total plus d’un demi-siècle de carrière ! « Tout se conquiert avec beaucoup de passion et d’engagement, une pointe d’inconscience et un peu de chance, mais celle-ci ne tient pas au hasard. Rien ne me prédestinait à parcourir ce chemin », disait-il.
« Jean-Claude Gaudin paraissait insubmersible »
À Marseille, le Mazarguais a fait bâtir trois hémicycles : pour le conseil régional, la métropole et le conseil municipal, où les séances avaient parfois des allures de commedia dell’arte. En témoignent les débats animés avec l’opposition et les nombreuses passes d’armes entre le maire (LR) de Marseille et l’ancien conseiller municipal socialiste Benoît Payan, aujourd’hui DVG, qui a pris place dans son fauteuil en décembre 2020, après la démission de l’écologiste Michèle Rubirola.
« J’ai la singularité d’avoir été son adversaire politique, et aujourd’hui je suis son successeur. J’ai eu la chance de faire mes armes face à lui et je garde de lui une leçon importante : celle de toujours conserver l’unité de la Ville, a déclaré Benoît Payan. Je garde de lui une phrase importante qui nous faisait dire que « la politique est dans tout. Mais que la politique n’est pas tout ».
Malgré leurs divergences politiques, les deux hommes ont toujours conservé des relations cordiales. « Jean-Claude Gaudin paraissait insubmersible. Son départ me peine infiniment (…) Il manquera à cette ville. Sa trace restera », a d’ailleurs réagi Benoît Payan, rendant hommage à Jean-Claude Gaudin, catholique convaincu, qu’il avait convié à la visite du Pape, en septembre dernier.
De mentor à meilleur ennemi
Lui qui aimait les joutes verbales, gardait aussi à l’esprit ses combats contre Defferre, et son duel mémorable en 1983, ses batailles contre Tapie, Le Pen… Il aimait aussi rappeler son action pour la création de la Métropole, dont il a été élu président en 2015, au terme d’une séance chaotique au palais du Pharo. La majorité des maires s’était élevée contre la création de cette « monstropole », comme la qualifiait Maryse Joissains, maire LR d’Aix-en-Provence, qui a perdu son « meilleur ennemi ».
L’intercommunalité est aujourd’hui dirigée par Martine Vassal (DVD), qu’il a contribué à installer dans ce fauteuil. Pour l’ancienne LR, Jean-Claude a été « un père », a-t-elle écrit dans son message sur X, lui rendant hommage. « Il était protecteur. Il était devenu pour moi un phare, suffisamment robuste pour encaisser les coups de mer, et un repère indispensable dans les tempêtes ».
Lui dira que sur le plan politique « elle lui doit beaucoup », même si dès le démarrage de la campagne de 2020, la candidate souhaitait se démarquer de la majorité sortante, le statut d’héritière ne lui convenant pas. « J’ai toujours considéré qu’en démocratie la notion d’héritier ou de dauphin n’est pas recevable. Face au suffrage universel, les électeurs seuls choisissent », martelait-il à ce titre à qui voulait l’entendre.
Renaud Muselier, dauphin déchu, fut l’un des rares à droite à oser attaquer ouvertement Jean-Claude Gaudin, le taxant en janvier 2018 d’être un « mauvais maire pour Marseille », fustigeant sa gestion. Ensemble, ils avaient pourtant conquis et dirigé Marseille. Mais quand l’actuel président (Renaissance ex-LR) de la Région Sud, comprit que Jean-Claude Gaudin ne lui céderait jamais son fauteuil de maire, le duo explosa.
Il n’en reste pas moins que l’élu a affiché en ce jour de Pentecôte son profond respect pour « un grand maire (…) Il a servi cette ville et a su l’incarner, avec un talent exceptionnel. (…) L’histoire rappellera à quel point c’était un grand homme politique français, comme il n’en existe plus ».
L’ogre politique était aussi partisan de la suppression de la loi PLM (Paris-Lyon-Marseille) pour entrer dans le droit commun de toutes les villes de France, « puisqu’à plusieurs reprises, celui qui a eu le plus de voix n’a pas été maire, ça m’est arrivé à moi en 1983 ; à Philippe Seguin à Paris, mais que l’on garde les maires de secteur pour la proximité », nous disait-il sur ce sujet en 2020.
« J’ai souvent essayé de convaincre les Parisiens, mes soi-disant amis politiques. Ils m’ont regardé avec mépris : « qu’est-ce que ce trou du c** à Marseille, vient nous donner des leçons à Paris, qu’il reste dans sa bouillabaisse ». Voilà le style de ce que nous avons entendu ». Quatre ans plus tard, un projet de réforme de cette loi est actuellement en cours.
Marseille fracturée
Réélu en 2001, en 2008 et en 2014, Jean-Claude Gaudin a contribué à transformer une partie du visage de Marseille, laissant une autre à l’abandon. Le premier projet pour entamer la mutation urbaine fut Euroméditerranée, présenté en 1995, lors de son premier mandat. Le pendant marseillais de la Défense à Paris, avec des bureaux, des logements et des commerces.
Au total, des centaines de millions d’euros d’investissement et l’ambition de créer 37 000 emplois. C’est sous sa majorité qu’est également réalisée la piétonnisation du Vieux-Port. Le chômage baisse de 22 % à moins de 12 % grâce notamment à la création des zones franches (zone d’activités de Saumaty).
En 2001, alors qu’il était candidat à sa succession, 71 % des Marseillais se disaient satisfaits de leur maire. Son ambition était désormais de faire de Marseille la capitale euro-méditerranéenne, en développant les transports et la culture. En 2013, Marseille devient capitale européenne de la Culture et voit la réalisation du Mucem.
20 ans plus tard – sauf extension du métro vers la Fourragère et Gèze et du tramway vers Arenc et Castellane – le volet mobilité est toujours à la peine notamment vers les quartiers Nord , mais néanmoins en marche, grâce aux investissements du plan Marseille en grand, lancé par Emmanuel Macron en 2021, sous l’impulsion de Benoît Payan.
Si l’ancien ministre a œuvré en qualité de jeune élu à l’urbanisation à marche forcée du nord de la ville pour accueillir les rapatriés d’Algérie, ces grands ensembles se sont transformés, sous ses propres mandats, en véritables ghettos sociaux. « Témoins d’une fracture géographique que la politique municipale de Jean-Claude Gaudin, favorisant ses terres d’élections, plus aisées et moins cosmopolites, dans le sud de Marseille, aura fortement contribué à creuser », précise Le Monde.
Cette fracture entre quartiers nord et sud, l’endettement croissant de la ville, un chômage supérieur à la moyenne nationale, l’insalubrité de certaines écoles et des logements indignes… lui sont régulièrement reprochés de son vivant.
La fin de règne
Après avoir régné sur Marseille pendant un quart de siècle, le maire annonce en 2017 qu’il ne se présentera pas. Une décision qu’il a mûrie depuis 2014 alors qu’une première alerte médicale le fait hésiter à briguer un quatrième mandat :
« Je connais le bonheur et le poids de cette mission aussi exaltante que dévorante. J’en sais le prix (…) J’ai ressenti l’angoisse des choix aux conséquences douloureuses pour certains, contraignantes pour tous. J’ai vécu l’adhésion des uns et l’éloignement des autres. J’ai cherché ce savant équilibre entre le devoir d’audace et l’exigence de raison, en respectant cet impératif qui consiste à privilégier l’intérêt collectif tel qu’on peut le pressentir », écrivit-il dans ses mémoires.
La fin de son règne est endeuillée par le drame de l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne, en novembre 2018, causant la mort de huit personnes. Une tragédie dont le maire ne s’était jamais remis, politiquement et personnellement même si beaucoup de Marseillais lui reprochent encore de n’avoir « versé aucune larme, ni jamais reçu les familles des victimes ». L’édile était alors très critiqué pour son inaction.
Alors que le procès des effondrements de la rue d’Aubagne s’ouvrira le 7 novembre prochain, six ans quasiment jour pour jour après le drame, Jean-Claude Gaudin ne figurait pas parmi les prévenus.
La justice se rappellera néanmoins à son bon souvenir. Jean-Claude Gaudin sera condamné pour « détournement de fonds publics par négligence », en mars 2022, après une enquête du Parquet national financier sur des pratiques généralisées d’heures supplémentaires payées sans travail effectif au sein d’une quinzaine de services municipaux. Il se verra infliger une peine de six mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende. Reconnaissant sa culpabilité, il expliquera ne pas s’être « intéressé assez au fonctionnement interne des choses », rappelle Le Monde.
L’effondrement de la rue d’Aubagne a soulevé une vague d’indignation contre la droite locale. Divisée pour les élections municipales, elle perd les clés de la Mairie, au profit d’une coalition de gauche, le Printemps marseillais, à l’été 2020.
Après quatre mandats, les élections municipales de juin 2020 signent la fin de l’ère Gaudin. À 80 ans, pour la première fois depuis des décennies, Jean-Claude Gaudin glissait un autre bulletin que celui à son nom. Il remit l’écharpe tricolore à Michèle Rubirola sans laisser d’héritier.
Les obsèques à la cathédrale de la Major
Avec la mort de Jean-Claude Gaudin, c’est une pan de l’histoire de Marseille qui disparaît. Ses obsèques publiques auront lieu jeudi 23 mai à la cathédrale de la Major, en présence de nombreuses personnalités. Emmanuel Macron pourrait être présent.
« Il était Marseille faite homme. De sa ville, sa passion, il avait l’accent, la fièvre, la fraternité. Pour elle, cet enfant de Mazargues s’était hissé aux plus hauts postes de la République qu’il a servie. Je pense à ses proches et aux Marseillais », a écrit le chef de l’État, sur X, quelques minutes après l’annonce de sa disparition. Un hommage républicain lui sera également rendu à l’Hôtel de Ville, ce mardi 21 mai, à 17 heures.
Jean-Claude Gaudin n’est plus. Il était Marseille faite homme. De sa ville, sa passion, il avait l’accent, la fièvre, la fraternité. Pour elle, cet enfant de Mazargues s’était hissé aux plus hauts postes de la République qu’il a servie. Je pense à ses proches et aux Marseillais.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) May 20, 2024
En 2020, à quelques jours de tirer sa révérence politique, et alors qu’il prenait la direction de Saint-Marcel-de-Félines pour les obsèques de Pascal Clément, député et ami de longue date, il nous confiait songeur : « J’en aurais fait des éloges funèbres, je ne sais pas qui fera le mien… »