Le restaurant Les Beaux Mets, au sein de la maison d’arrêt des Baumettes, ouvre ses portes au public aujourd’hui. En cuisine et en salle, des détenus dans le cadre d’un chantier d’insertion. Immersion.
Les tables sont dressées. Derrière le comptoir du bar, les premiers mocktails, baptisés l’« Aurore » et son soupçon d’anis, ou le « Vitaminé » avec sa pointe de gingembre, colorent les verres à pied. En cuisine, avant le coup de feu, les commis s’affairent aux derniers préparatifs, sous l’œil à la fois bienveillant et vigilant de la cheffe Sandrine Sollier et de sa seconde Taïs Clamens.
Au menu ce jour-là, trois entrées, trois plats et trois desserts. La seule lecture de la carte éveille déjà les papilles. Resto’ bistronomique oblige. Monochrome végétal aux couleurs de l’automne ou tartare de daurade. Assiette végétale du mois, crumble d’agneau accompagné d’un jus corsé au thym ou maquereau avec ses champignons et brisures de châtaignes. Pain perdu, tout choco ou pommes renversantes pour finir sur une note sucrée. Ici, les assiettes font la part belle aux produits frais, locaux et de saison, au végétarien et même au sans gluten, mais surtout aux saveurs méditerranéennes.
Comment venir déjeuner aux Beaux Mets ?
Les Beaux Mets. C’est le nom de ce nouveau restaurant situé dans le 9e arrondissement de Marseille, à deux pas de la Calanque de Morgiou. Une adresse pas comme les autres, car l’établissement se trouve à l’intérieur de la maison d’arrêt des Baumettes. Dès aujourd’hui, ouverture officielle, c’est plus qu’une expérience culinaire unique que pourront vivre tous les futurs clients, car les Beaux Mets est le premier restaurant d’application de France en prison ouvert au public.
Raison pour laquelle, il ne suffit pas de pousser simplement la porte pour venir y déjeuner, mais respecter un protocole strict. Condition sine qua non : réserver au moins 4 jours à l’avance en ligne via le site dédié. Un délai qui permet à l’administration pénitentiaire de faire les vérifications d’usage pour autoriser votre venue. Il convient de se présenter 30 minutes avant le début des deux services proposés : le premier à 12h30 et le second à 13h15.
Une fois sur place, les documents d’identité sont contrôlés dans un kiosque tout en bois, spécialement conçu pour accueillir les convives et aménagé avec des fauteuils. Aux murs, des photographies en noir et blanc des Baumettes à différentes époques. Ici, il faut se délester de ses effets personnels dans un casier prévu à cet effet : smartphone ou tout autre appareil électronique connecté, pièces de monnaie, clé USB… Seule la carte bancaire est autorisée.
Les surveillants vous escorteront ensuite vers les portiques de sécurité pour les dernières inspections d’usage. Avant de rejoindre les Beaux Mets, il faut traverser une cour intérieure où tout fait écho à l’univers carcéral.
« Une libération des saveurs »
C’est au deuxième étage d’un ancien bâtiment, vestige des Baumettes historiques, que le restaurant a vu le jour. Après plusieurs mois de travaux, l’ancien quartier des femmes s’est métamorphosé, et laisse place aujourd’hui à une cuisine flambant neuve et à une salle d’une capacité de 42 couverts.
Avant de confier le chantier à un opérateur privé, le plateau a été entièrement démoli avec l’aide de la population carcérale. Une phase supervisée par Thierry Lombardo, agent technique. 26 ans qu’il travaille dans cette prison, dont il a suivi les moindres transformations. Faire revivre les Baumettes historiques avec ce concept inédit, c’est pour lui « une libération des saveurs ».
Un avant-goût de liberté plane, en effet, aux Beaux Mets, à plus d’un titre. Tables de marbre blanc, parquet en chêne, chaises et banquettes couleur rouille… Le concept architectural signé Rougerie+Tangram avec Maï Atelier (architecture intérieure) vise à exprimer la transition entre un univers carcéral et la liberté, marquant la volonté de construire des passerelles entre le dedans et le dehors.
Aux fourneaux comme au service, des détenus condamnés à une courte peine ou en fin de peine font tourner le restaurant dans le cadre d’un chantier d’insertion, piloté par l’association Festin, dont le cœur d’activité est l’insertion socioprofessionnelle de personnes exclues ou éloignées de l’emploi par la gastronomie. Son expertise est reconnue sur le territoire, avec des initiatives à succès tels que la Table de Cana ou encore Des Étoiles et des Femmes.
L’association qui souhaitait « travailler avec un nouveau public et se lancer dans un nouveau défi », mène le projet des Beaux Mets en partenariat avec l’administration pénitentiaire, via sa Structure d’accompagnement vers la sortie (SAS). S’il en existe aujourd’hui plusieurs en France, en 2018, une structure pilote voit le jour à Marseille, pour mener une première expérimentation nationale [lire ici]. Objectif ? Éviter les sorties sèches, la sortie de détention n’ayant pas été préparée.
C’est dans cette perspective que s’inscrit le chantier d’insertion. « Le projet a énormément intéressé les personnes détenues, de par son originalité car c’est en lien avec le public », explique Aurore Coulom, directrice de la Structure d’accompagnement vers la sortie (SAS). La sélection s’est effectuée en fonction d’un certain nombre d’orientations fixées par l’administration pénitentiaire « en prenant en compte la globalité de la personne, son parcours, poursuit la directrice. Des rencontres ont eu lieu avec les personnels de l’association, avant une phase de sélection par une équipe pluridisciplinaire ».
L’insertion à la carte
13 stagiaires répartis en deux équipes ont ensuite signé un contrat d’emploi pénitentiaire pour s’engager sur une période de quatre mois minimum. « Un certain nombre ont candidaté avec une forte motivation pour participer au lancement de ce restaurant », assure Armand Hurault, directeur de l’association Festin.
C’est le cas de Reda*. « Je suis concentré. C’est une très bonne opportunité. J’apprends le métier, l’autonomie et à bien m’exprimer, c’est important », dit-il, trois assiettes à la main. Lorsque je suis ici, j’ai l’impression de ne plus être en prison ».
Même chose pour Badis* qui n’avait jamais évolué dans le milieu de la restauration : « J’aime vraiment bien. C’est parfois strict, mais on apprend beaucoup de choses. La posture par exemple, comment s’exprimer, parce qu’on reçoit un certain type de clientèle », raconte-t-il, fier de prendre les commandes. Appliqué, mais encore enfermé pour plusieurs mois, il prend « une bonne leçon de vie » et dit avoir pris conscience qu’il a fait « souffrir ses proches », livre ce féru des chiffres. De la comptabilité à la restauration, il n’y a peut-être qu’un plat pour le jeune homme de 19 ans, encadré par Marc Balthazard.
Le maître d’hôtel, qui a participé au lancement du restaurant solidaire Le République dans le centre-ville de Marseille, a fait le choix de transmettre ses savoirs et ses compétences, car tel est aussi le but visé. « C’est une bonne expérience et une très bonne surprise pour moi. Les jeunes sont très en demande. Entre eux, il y a aussi un vrai esprit d’équipe, de cohésion et de la solidarité », sourit-il, fier de son équipe, qu’il fait travailler selon une exigence de haut niveau de service.
D’autant qu’en prison aucune contrainte d’horaire, ni de distractions extérieures pour venir enrayer la formation. L’heure, c’est l’heure. « C’est finalement un peu une formation à la carte par rapport à l’apprentissage de la restauration traditionnelle, poursuit-il. On n’est pas là pour faire appliquer une peine, mais pour préparer à la sortie. C’est aussi l’image qu’ils ont d’eux-mêmes qui est valorisée, l’humain prend le pas », commente-t-il, satisfait des premiers retours « positifs et encourageants » durant la période de rodage.
Elle a permis aux brigades de prendre leurs marques et surtout confiance, mais aussi de tester les plats élaborés avec le chef doublement étoilé Michel Portos. Cette envie de collaborer se poursuivra après l’ouverture puisque la cheffe des Beaux Mets – qui a d’ailleurs travaillé au Petit Nice de Gérald Passedat – invitera, pour chaque nouvelle saison, un(e) chef(fe) à préparer un plat signature pour la carte et à dispenser une masterclass auprès des 13 commis.
Changer le regard sur le milieu carcéral
Si cette expérience casse leur quotidien à l’ombre, le but est de décrocher un emploi pérenne une fois leur peine purgée. Savoir-être, savoir-faire, « l’aide à l’insertion passe par l’apprentissage des codes du travail, de la voie hiérarchique », souligne la cheffe, qui a l’œil partout, conseille et oriente.
Insertion, lutte contre la récidive, les Beaux Mets ont aussi vocation à déconstruire l’image négative souvent accolée aux personnes détenues, faire changer le regard et les mentalités sur le monde carcéral et sur celles et ceux qui y travaillent au quotidien. « L’ouverture au public est un grand facilitateur d’insertion sociale », ajoute Christine Charbonnier, secrétaire générale à la direction interrégionale des services pénitentiaires de Marseille. L’état d’esprit dans lequel se placent les personnes détenues est déterminant pour leur projet professionnel, et la fierté de voir le public apprécier le repas qui leur est servi et cuisiné y participe grandement ».
Aujourd’hui, en ce 15 novembre 2022, c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre pour les Beaux Mets. « Ça a été une aventure d’ouvrir ce restaurant. Le temps a été notre allié pour ficeler le projet. C’est une autre aventure maintenant pour le faire fonctionner avec de nouveaux challenges, explique Armand Hurault, avec une grande excitation. Accélérer le service par exemple, pour aller toujours vers le mieux. La recherche du haut de gamme est l’élément clé dans ce projet. Mais il y a déjà de belles assiettes ». On vous le confirme !
Les Beaux sont ouverts exclusivement le midi du lundi au vendredi et propose deux services, un à 12h30 et le second à 13h15.
Réservations ici
*Les noms ont été modifiés pour respecter l’anonymat.