En 2021, la Ville de Marseille lançait un plan de gestion pour rendre au parc Longchamp son statut « remarquable » et offrir des usages plus contemporains. Nassera Benmarnia, adjointe en charge du retour de la nature en ville, nous livrait ses ambitions pour ce site emblématique. A relire…
C’est l’un des poumons verts de la cité phocéenne, l’un des rares présents dans le centre-ville de Marseille. Protégé au titre des monuments historiques, le parc Longchamp s’étend sur 12 hectares de jardins. Un palais néoclassique trône, érigé au XIXe siècle par l’architecte Henri-Jacques Espérandieu pour célébrer l’arrivée des eaux de la Durance. Il abrite le Musée des Beaux-Arts et le Muséum d’Histoire naturelle. Symbole du faste et de la modernité, le monument est inauguré en 1869.
A l’arrière du château, de vastes pelouses, un jardin à la française avec des arbres presque bicentenaires, à l’image de majestueux magnolias, de marronniers blancs ou encore de micocouliers de Virginie. Jadis, on y trouvait aussi un jardin zoologique, reflet des passions du Second Empire pour l’exotisme. Victime de désaffection du public, il a fermé ses portes en 1987 et laissé place à des animaux en résine.
Promenade en familles, pique-nique, lieu de pratique sportive notamment pour les jogging matinaux, monument incontournable touristique… De par ses caractéristiques, le parc Longchamp est l’un des sites les fréquentés de Marseille. Il est même « sur-occupé aujourd’hui », juge Nassera Benmarnia, « et vieillissant ».
Depuis le 4 juillet 2020, elle est un peu la main verte de la nouvelle municipalité. Elle est adjointe au maire de Marseille en charge des espaces verts, des parcs et jardins et du retour de la nature en ville. Après avoir perdue cette délégation suite à sa candidature dissidente aux élections départementales de 2021, retrouvée par la suite, l’élue entend planter les jalons d’une politique vertueuse.
Derrière cette délégation qui fleure bon, il y a pourtant « tout à faire » dit-elle, pour que la nature devienne « un enjeu central » dans la fabrication de la ville de demain.
« Sa réhabilitation doit être étudiée dans son ensemble »
Parmi ses premières grandes décisions, elle a décidé de lancer un plan de gestion sur le parc Longchamp. « Comme on a construit de nouveaux programmes de logement sans penser aux espaces verts, le parc est forcément très fréquenté surtout le dimanche. Sa réhabilitation doit être étudiée dans son ensemble, et ne plus seulement passer d’une urgence à l’autre : un coup des sanitaires, un coup l’électricité, et dépenser les deniers publics de cette manière… Il est important de lui redonner son statut de jardin remarquable qu’il a perdu dans le cadre d’une réflexion globale », confie l’élue.
Ce document-cadre comprend un état des lieux détaillé qui établira un diagnostic du jardin dans ses diverses composantes : contexte culturel, environnemental, approche historique (archives, cartes et cadastres, textes, plans…), analyse paysagère ou encore une étude du végétal. La biodiversité du parc Longchamp souvent méconnue par les usagers est pourtant riche. Sa découverte constitue d’ailleurs le principal sujet du musée d’Histoire naturelle.
« Livrer aux citoyens des espaces publics pour une utilisation saine »
« Ce plan de gestion est mené par des experts, des architectes des Bâtiments de France, des paysagistes… ils vont revenir sur le fonctionnement du parc depuis sa création jusqu’à la manière dont nous pourrons le (re)livrer en bon état et avec des usages plus contemporains correspondant à nos besoins quotidiens dans le respect du patrimoine », poursuit Nassera Benmarnia, insistant sur le fait qu’il s’agit d’un site classé et « qu’on ne peut pas y faire n’importe quoi ».
L’état des lieux prend aussi en compte les coûts humains, matériels et financiers ; évalue l’impact de la gestion sur l’environnement et propose des solutions pour l’améliorer. Il étudie les usages anciens et actuels afin de définir un mode de gestion adapté. L’occasion d’entamer une réflexion sur la reconversion de certaines parties ou vestiges du parc, comme la volière, les espaces par le passé réservés au zoo, exploiter le site d’une autre manière… « On doit livrer aux citoyens des espaces publics pour une utilisation saine. Plus le parc, et les parcs de manière générale, répondront aux attentes des usagers, au plus ils seront enclins à les respecter », estime l’élue.
Elle note toutefois que l’existence d’un parc à chien au sein du parc Longchamp n’empêche pas les débordements. « Les animaux accompagnent beaucoup le quotidien des Marseillais. Il y a aussi cette dimension à prendre en compte ».
« Ma conception, c’est de faire ensemble »
Compte tenu des finances de la Ville de Marseille, le plan de gestion est aussi un levier de financement. Dans le cadre de la politique de protection, de conservation et de restauration du patrimoine monumental, la direction régionale des affaires culturelles (Drac) peut subventionner des projets liés à l’étude, à l’entretien, à la réparation et à la restauration d’immeubles protégés (classés ou inscrits) au titre des monuments historiques n’appartenant pas à l’État.
Pour l’adjointe, les conclusions de cette étude de fond représentent aussi le socle d’un travail qu’elle mène avec le maire de secteur Didier Jau, et qu’elle souhaite ouvrir aux citoyens ; plus globalement sur tous les sujets concernant sa délégation. « Ma conception, c’est de faire ensemble. Aucun changement durable dans la ville ne se fera sans l’implication des citoyens. Bien sûr que nous allons utiliser tous les leviers qui existent chez nous, mais il faut utiliser toute cette énergie citoyenne ».
Une école pédagogique au parc Longchamp ?
Elle a d’ailleurs constitué des groupes de travail sur le retour de la nature en ville composés de citoyens qui « ont développé une véritable expertise. J’ai rencontré des habitants à l’avant-garde sur ces questions-là parce qu’ils vivent mal leur ville telle qu’elle leur est mise à disposition ». Ils sont aussi force de propositions pour verdir la cité phocéenne.
Des plus farfelues aux plus abouties, l’élue dit prendre le temps d’étudier les projets, comme celui du collectif « Jardin école Longchamp », composé d’enseignants et de parents d’élèves. Ils souhaitent transformer une parcelle inoccupée du parc Longchamp en école pédagogique pour les classes marseillaises. « C’est un projet très intéressant », juge l’élue. Leur « classe verte annuelle » pourrait bien voir le jour plus haut vers le boulevard Camille Flammarion, sur l’une des deux friches de 1000 m2 existantes. Le sujet pourra être évoqué à l’occasion de la concertation publique qui devrait être lancé au mois de décembre.
« La nature n’est pas une variable d’ajustement »
L’élue, qui a également lancé un plan de gestion sur le parc Borély, plante les jalons d’une politique verte(ueuse). « La nature n’est pas une variable d’ajustement, ni un caprice idéologique contrairement à ce vers quoi on tend à nous enfermer. Ce n’est pas juste un effet de mode, ça s’intègre dans d’une vision pédagogique et de préservation. Une vision politique ».
« (Re)naturer » la cité phocéenne passe pour l’adjointe par la végétalisation des espaces publics, « entretenir autrement le patrimoine vert déjà existant, l’améliorer et l’augmenter. On en a dans les écoles, les crèches, dans certains équipements… Les avantages de la renaturation sont nombreux, d’abord parce que ça améliore notre qualité de vie au quotidien, ça améliore la qualité des sols, ça nous permet de lutter contre le CO2, ça crée des îlots de fraîcheur indéniables… Dans cette ville soumise à de gros problèmes de pollution et très bétonnée, il était urgent que l’on prenne ça en main ».
Réappropriation de l’espace public
Elle souhaite qu’au sein de nouveaux équipements publics et les futurs programmes immobiliers soient créés des îlots de fraîcheur. La charte de la construction sur laquelle travaille son homologue à l’urbanisme Mathilde Chaboche, peut permettre d’introduire une clause de (re)végétalisation plus contraignante afin de sanctuariser des surfaces. « L’objectif n’est pas d’interdire, mais d’encadrer, se fixer des exigences pour renaturer sur du long terme ». Et pour ce volet végétal, elle aimerait là-aussi impliquer les habitants « dans une perspective de construction pérenne, car on gère du vivant ».
Créations de jardins partagés, de potagers collectifs, éducation au respect de l’environnement, développement du visa-vert sont autant de sujets sur lesquels l’élue travaille. « Partager des moments de jardinage, produire en commun, faire participer les habitants est également une manière de créer du lien, favoriser les échanges, créer de la convivialité. On voit bien avec la crise que nous traversons que c’est un élément du vivre-ensemble. Et je pense que tout ça va contribuer au fait que notre appropriation de l’espace public va changer ».