Dans le 15e arrondissement de Marseille, la Réserve des arts accueille des artistes en résidence et propose du matériel de création aux étudiants et professionnels à des prix solidaires : planches de bois, pièces de bijoux, cuir… Des matériaux récupérés dans des théâtres, des musées et des maisons de luxe, qui ne demandent qu’à entamer leur seconde vie.
A 10 minutes du métro Capitaine Gèze, sur un terrain industriel, la Réserve des arts a élu domicile dans un hangar de 850 m2. Planches de bois, barres de métal, tissus en tout genre, mannequins, pièces de bijoux… Depuis le mois de septembre, les étudiants, jeunes artistes et professionnels de la création peuvent venir se fournir en matières premières revalorisées.
Et non, cette moquette soigneusement enroulée ou ce beau tissu à motifs colorés que vous apercevez en entrant n’en sont pas à leur première vie : en effet, l’association récupère les matériaux d’entreprises culturelles de la région comme les théâtres, les musées, les maisons de luxe mais également les petites entreprises, désirant se débarrasser de leurs fins de stock ou leur surplus, sans pour autant les jeter.
Les matériaux donnés sont pesés, inventoriés, revalorisés (si besoin est) et proposés à des prix solidaires aux adhérents. « En fonction des arrivages, les lieux changent complètement, ainsi que les matériaux qu’on y trouve. Ce matin, par exemple, on a reçu des mannequins », nous explique Jeanne, stagiaire fraîchement arrivée, chargée des partenariats avec les écoles. Vous l’aurez compris, dans ce lieu, on ne passe pas la porte en demandant une planche d’un mètre par trois, pour en repartir quelques minutes plus tard, l’achat sous le bras. Avec un peu de chance, vous trouverez peut-être exactement ce que vous cherchez. Sinon, il vous faudra fouiller, construire avec ce que vous avez sous la main et, peut-être, trouver la perle rare.
La revalorisation au service de l’art
L’association est née en 2008 en Île-de-France, de la rencontre entre deux femmes, Sylvie Betard et Jeanne Granger, « elles travaillaient toutes les deux dans le secteur culturel et organisaient des événements autour de l’art et de l’écologie. Un jour, elles se sont dit « c’est bien de parler, mais à un moment il faut agir. Elles ont alors découvert l’enseigne Material for the Arts, un projet similaire à New-York, orienté autour de l’éducation et de la pédagogie », explique Louisane, responsable de l’antenne Sud.
La machine est lancée. En 2014, après l’ouverture de quelques boutiques dans Paris, la Réserve des arts acquiert un entrepôt de 3 000 m2, à Pantin. Sa mission : soutenir les acteurs du secteur culturel, étudiants et professionnels, dans leur travail de création.
A Pantin comme à Marseille, ce tiers-lieu a pour but de créer du lien entre les structures culturelles produisant des déchets et les artistes ayant besoin de matières premières, « avec, en plus, un côté écologique. Car leurs déchets sont des ressources qui, au lieu de partir à l’enfouissement ou à l’incinération, sont revalorisés », continue-t-elle.
Louisane, responsable de l’antenne Sud, est originaire de Hyères. Elle rejoint l’équipe en 2016, alors que la Réserve s’intéresse à une action d’essaimage, « ils souhaitaient répliquer leur modèle ailleurs. Dès le début j’ai souhaité en faire un à Marseille. La Région Sud est très riche en terme de festivals, tournages, etc. Elle a un tissu culturel très intéressant et il existe aussi un enjeu de relocalisation des entreprises et des industries », ajoute-t-elle.
Sensibiliser les professionnels de demain
A travers ce tiers-lieu, la Réserve espère pouvoir sensibiliser les étudiants en art, professionnels de demain, aux enjeux de gestion des déchets, aux notions d’éco-conception et d’économie circulaire. « On vient d’ailleurs d’établir un partenariat avec le lycée Denis Diderot », précise Jeanne. Cette sensibilisation passera par l’organisation de workshops et projets artistiques divers : « On a l’idée de faire un projet de signalétique, pour trouver plus facilement le local, rendre la façade plus visible. On aimerait aussi travailler autour de la matière et de la sérigraphie, avec la conception de bleus de travail version « La Réserve des arts » », énumère la responsable du lieu.
Robin, actuellement en service civique et chargé de la sensibilisation, réalisera, quant à lui, des affiches sur ces thèmes afin de les disposer dans les écoles. Les étudiants du lycée Diderot pourront également venir se fournir en matière première, selon les workshops organisés par leur établissement : « Une designer va bientôt venir les faire travailler sur les revêtements de sol type lino ainsi que le cuir, ils pourront venir se fournir en cuir ici », ajoute Louisane.
Retardée par la crise sanitaire, l’association prévoit de développer son aspect pédagogique avec la mise en place de nombreux autres partenariats, auprès d’établissements scolaires publics comme privés, spécialisés dans les métiers d’art, techniques et artisanaux.
« Un laboratoire de matières dans lequel regarder, piocher, s’inspirer »
Mais la Réserve se veut également être un lieu de partage, où les artistes peuvent passer du temps pour travailler sur leurs projet. Une pièce est d’ailleurs dédiée à cet effet : une table pour l’ébauche de croquis, des outils pour la création, « un canapé pour la sieste », plaisante Louisane. On y trouve également, suspendus au mur, des tableaux où renseigner à la craie les services dont l’on souhaiterait bénéficier : « Si vous cherchez quelqu’un capable de vous apprendre à broder, de réparer votre machine à coudre, n’importe quoi. Il vous suffit de l’écrire avec votre numéro de téléphone et d’attendre, explique-t-elle avant de remarquer un message en particulier : Bon, quelques uns cherchent aussi l’amour, apparemment… ».
Au fond du hangar, un espace délimité accueille la jeune entreprise PikiP, spécialisée dans la fabrication d’enceintes basse consommation, alimentées par des panneaux solaires. Anciens locataires de la Réserve à Pantin, ils ont suivi Louisane dans le Sud pour intégrer la branche marseillaise. Un retour aux sources pour Julien, co-fondateur et originaire d’Orgon.
A l’étage, après avoir monté un escalier en fer, trois ateliers accueillent des artistes en résidence pour une durée de trois mois. En contrepartie, il leur est demandé une permanence une fois par mois le samedi matin, « pour nous filer un coup de main », ajoute Louisane en ouvrant la première porte. La pièce, baignée de soleil, accueille une artiste originaire de Bari, en Italie. Dans la deuxième, des croquis et des petits morceaux de tissus colorés tapissent les murs.
Le dernier atelier accueille Mayssoun, 28 ans, une artiste plasticienne arrivée à Marseille il y a trois ans. Sa résidence à la Réserve lui offre l’opportunité de continuer ses recherches artistiques ainsi que de « se confronter à la matière, revisiter les matériaux. Ce lieu est un laboratoire de matières dans lequel regarder, piocher, s’inspirer », énumère-t-elle. Leur résidence se clôturera en mars, après quoi, de nouveaux artistes pourront postuler pour investir les lieux.
Une inauguration officielle prévue au printemps
L’ouverture de cette antenne Sud est portée par Euroméditerranée dans le cadre du projet d’urbanisme transitoire MOVE (Massalia Open Village Expérience) et de l’aménagement du projet urbain Les Fabriques. Il met, sur une période de 2 à 5 ans, des friches à disposition des associations et entreprises afin qu’elles développent leurs projets solidaires, économiques ou encore culturels. La Réserve des arts bénéficiera donc de ces locaux durant 3 ans, auprès d’enseignes engagées dans l’économie circulaire comme le Fablab géant Ici Marseille et les Alchimistes, spécialisés dans la collecte et la valorisation de biodéchets. A terme, elle devra être devenue indépendante, en mesure d’employer 10 salariés et de se relocaliser par ses propres moyens.
« Aujourd’hui, on est deux salariés, deux services civiques et une stagiaire. L’objectif est que, d’ici fin 2023, on soit capable de louer un espace de 2 000 m2 avec nos fonds propres. Actuellement, la branche à Pantin fournit une grosse partie de nos subventions mais elle a été très fortement touchée par la crise sanitaire. Pour pouvoir s’implanter de manière pérenne dans le Sud, on va avoir besoin de subventions publiques. il faut que les politiques locales s’emparent du sujet », nous confie Louisane.
D’ici là, la Réserve espère pouvoir inaugurer officiellement le lieu en mars prochain, si la situation sanitaire le permet. L’occasion également d’organiser la sortie de résidence de ses artistes. Une exposition de leurs travaux est prévue ainsi que l’opportunité de se rencontrer, partager autour de la culture et échanger avec les potentiels futurs résidents.