Depuis presque 50 ans, la Voilerie Phocéenne siège sur l’Anse du Pharo. Dernière fabricante de voiles artisanales à Marseille, ses employés utilisent des méthodes devenues rares en France. Découverte d’un savoir-faire oublié.
Dissimulée dans l’anse du Pharo, la Voilerie Phocéenne s’élève toujours fièrement, 48 ans après sa création. Dans un bâtiment datant de l’après-guerre, utilisé pour fabriquer des bateaux en bois, puis en plastique par le chantier Massilia, l’atelier qui s’y cache est le dernier fabricant de voiles artisanales à Marseille.
La Voilerie Phocéenne est fondée en 1972 par messieurs Ramel et Mezza. Cette collaboration ne dure pas longtemps puisqu’un an plus tard, elle est reprise par un passionné de bateaux, proche de la retraite. En 1979, Hervé Cordesse a 23 ans lorsqu’il reprend la barre de l’entreprise avec son ami Philippe Alessandrini, dans l’idée de « trouver une activité qui nous ressemble. On aimait la mer, on faisait du bateau depuis des lustres… et on a appris sur le tas, se rappelle Hervé avant d’ajouter : J‘ai perdu mon associé il y a 7 ans maintenant, mais j’ai continué ». A 64 ans, Hervé est toujours à la tête de son navire avec, à ses côtés, son fils Thibault, et ses employés Edouard, Perrine et Christophe.
Voiles et coups de craie à même le plancher
« Ici, les voiles sont dessinées, coupées et fabriquées à même le plancher. On trace un triangle à la craie blanche, à l’aide d’un décamètre et le ciseau suit cette marque, commence Thibault, en pointant dans la direction de son collègue occupé à coudre avec une grosse aiguille, assis en tailleur au milieu de la grande salle. Edouard est en train de terminer une voile un peu spéciale. Elle a été commandée par un client qui habite à Aix mais son bateau se trouve dans le cercle polaire. C’est un gros bateau fait pour les glaces donc sa voile est renforcée avec des morceaux de tissus sur les côtés ».
Autour de sa main, Edouard porte une « paumette » : « C’est une sorte de dé à coudre pour forcer l’aiguille avec la paume de la main. Avant, ils y calaient une pièce pour ne pas se faire mal », explique le fabricant autrefois travailleur dans le monde du spectacle, reconvertis depuis 3 ans.
Tout autour de cette bâche nacrée recouvrant une bonne partie du plancher, se trouvent plusieurs postes de couture installés dans des fosses. Perrine est installée dans l’une d’elles et n’a qu’à faire glisser une voile vers elle pour débuter sa couture.
Ces méthodes devenues rares dans le métier ont d’ailleurs valu à la Voilerie Phocéenne de recevoir, en 2010, le label EPV (Entreprise du Patrimoine Vivant). Il récompense les entreprises françaises reconnues comme ayant un savoir-faire artisanal et industriel d’excellence : « La coupe des voiles à plat, peu de voileries en France, voire dans le monde travaillent encore comme ça. C’est un savoir-faire qui s’est perdu, maintenant les voileries font couper leurs voiles par des sociétés spécialisées », explique Hervé Cordesse. Valable 5 ans, le label a été renouvelé une nouvelle fois en 2016.
Fabrication de gréement dans une ancienne scierie
A droite de la salle, après avoir descendu un escalier, se trouve l’atelier où les gréements sont fabriqués : « Le gréement, c’est ce qui tient le mât, les câbles doivent être remplacés tous les dix ans sinon ils risquent de casser, de tomber », ajoute Thibault.
La musique en fond et les nombreux outils et matériaux recouvrant la pièce donnent à cet étage un air de chaos habilement organisé. Ici, la voilerie a de quoi équiper des bateaux de 4 à 20 mètres. Et elle peut également réparer les mâts endommagés ou créer des pièces sur-mesure.
Un étage qui a une particularité : on peut facilement apercevoir les vestiges de l’ancienne vie du bâtiment, à l’époque où il était utilisé pour fabriquer des bateaux. Cet espace servait de scierie : « Partout où il y a des fenêtres, avant, ce n’était pas fermé. Il n’y avait que des volets en bois par où rentraient les troncs d’arbres. Au centre de la pièce, il y avait une machine qui montait presque jusqu’au plafond, avec une lame qui tournait en rond. Elle coupait les morceaux de bois et ils ressortaient de l’autre côté, avant d’être transformés en bateaux à l’étage », décrit Thibault.
Création d’un village d’entreprises nautiques sur l’anse du Pharo
Mais aujourd’hui, l’avenir de la Voilerie Phocéenne est incertain. En juin 2015, la Métropole Aix-Marseille Provence avait lancé la destruction des bâtiments adjacents à l’atelier ainsi que l’ensemble des rails de mise à l’eau et deux maisonnettes présentes sur le terrain. L’objectif : faire de cet espace un village d’entreprises nautiques, afin d’accueillir commerces et sociétés du secteur. Le chantier devrait être lancé fin 2021, début 2022 pour une durée de 18 à 24 mois.
« Nous avons une AOT (autorisation d’occupation temporaire) jusqu’en 2024. Après cela, seront-nous relogés dans le nouveau bâtiment ? Comme je leur ai dit, la voilerie dans le bâtiment actuel avec les frais que cela implique et le travail que l’on peut y faire, c’est viable. Dans un bâtiment neuf, plus cher, ce n’est pas sûr. J‘ai 64 ans. Je vais sur mes 65. Dans 3 ans et demi, soit je passe la main, soit on arrête », nous confie Hervé Cordesse.
Interrogé sur le sujet, Lionel Royer-Perreaut, président de la Soleam et maire du 9e-10e, soutient qu’« il n’y a pas d’enjeu de déplacement immédiat de la voilerie. Et nous sommes tout à fait disposés, et c’est d’ailleurs le but de l’opération, à ce qu’ils restent sur l’anse du Pharo. La Voilerie Phocéenne ne doit pas déménager ». Ce nouveau pôle nautique devrait voir le jour en 2025.