Après Paris et Lyon, la Ville de Marseille souhaite mettre en place l’encadrement des loyers. Elle a formulé sa demande à la Métropole « trop tard », selon l’opposition, qui juge, par ailleurs, comme les professionnels de l’immobilier, ce dispositif inefficace. La municipalité a décidé de s’adresser directement au ministère du Logement, au prétexte que la Métropole n’a pas de Programme local de l’habitat (PLH).
C’est sous le signe de la solidarité que la majorité municipale souhaitait placer cette séance du conseil municipal. Compte tenu du contexte, un certain nombre de rapports concernaient l’urgence sanitaire et sociale. Au-delà de ces délibérations, une série d’actions sur le logement ont été débattues, dont celle relative à l’encadrement des loyers. La Ville de Marseille souhaite candidater à ce dispositif initié dans le cadre de la loi Alur (2014) puis Élan (2018), à titre expérimental.
L’encadrement des loyers, déjà en vigueur à Paris et Lille, vise à empêcher les loyers excessifs dans les villes les plus tendues. La mesure impose que les loyers demandés dans une ville ne soient ni supérieurs ni inférieurs à une fourchette de prix. Une proposition qui figure dans le programme de campagne du Printemps Marseillais.
Une manière pour la Ville de « lutter contre les inégalités » et démontrer la « pertinence » de ce dispositif « pour répondre aux difficultés d’accès aux logements à Marseille en fonction des caractéristiques du marché locatif privé et des perspectives d’évolution du territoire ».
Pour l’adjoint en charge de la politique du logement et la lutte contre l’habitat indigne, Patrick Amico, le dispositif « peut être mis en place lorsqu’on constate sur certains sites des dérives importantes de loyer ». Ce jour, lors du conseil municipal, l’élu donne pour exemple : « les petits loyers de logements en centre-ville s’étendent entre 12 et 15,60 euros du m2 en 2019. Aujourd’hui, ceux qui ont bénéficié d’un permis de louer sont à 16 euros du m2, ce qui veut dire que sur un petit logement de type studio, en centre-ville, ça se loue à 500 euros hors charges ».
En ce sens, la municipalité a sollicité la Métropole Aix-Marseille Provence, afin de proposer le dossier aux services de l’État. « Ça fonctionne très bien à Paris et c’est une proposition de notre programme de campagne, soulignait Joël Canicave, président de groupe, lors de la visio-conférence préparatoire du conseil. Ce sujet n’a pas vocation à être conflictuel. C’est la Métropole qui détient la clé. Elle fera la réponse qui lui appartient ».
« Tout sauf une bonne idée »
Sauf que les intercommunalités avaient jusqu’au 23 novembre, donc ce soir, pour déposer la candidature au ministère du Logement. Bordeaux, Lyon ou encore Montpellier l’ont déjà fait.
C’est ce qu’à fait valoir Lionel Royer-Perreaut, maire LR des 9-10e, en amont du conseil municipal, pointant l’absence de concertation dans ce dossier. « Cette demande nous est faite cinq jours avant la fin de l’inscription au dispositif. On nous fait voter une délibération de cette nature sans échange officiel entre la maire et la présidente de la Métropole ».
Pour le conseiller d’opposition et président de la Soleam, l’encadrement des loyers est « tout sauf une bonne idée. Ça rigidifie la mobilité résidentielle dans une ville. Ça ne peut satisfaire aux enjeux de ce territoire et notamment l’hyper-centre ». C’est, selon lui, ce qui a conduit « à la paupérisation de la rue de la République », par exemple, ou encore à des conséquences « sur le parcours résidentiel ».
La Métropole s’oppose à l’encadrement des loyers
La Métropole n’a pas formulé de refus officiel, mais Lionel Royer-Perreaut, vice-président au logement au conseil de territoire Marseille-Provence assure que la réponse à la demande de la Ville est négative. Il avance également que si le Printemps Marseillais n’était pas dans une « simple posture », la requête aurait pu être exprimée « longtemps avant la date limite ».
Rien d’écrit donc. Ni même de confirmation orale de cette fin de non recevoir au sein de l’hémicycle ce lundi 23 novembre. Toutefois, Patrick Amico nous confirme que « Martine Vassal l’a dit de vive voix à Michèle Rubirola ».
Une réponse qui ne semble pas arrêter la Ville de Marseille qui a tout de même décidé de « manifester son désir d’avoir le permis de louer à Marseille », directement auprès du ministère du Logement, « car la Métropole ne dispose pas de PLH (programme local d’habitat) », justifie Patrick Amico.
Emmanuelle Wargon à Marseille le 25 novembre
Un projet qui avait pourtant bel et bien été lancé à l’échelle des 92 communes du territoire. Décrit comme la colonne vertébrale de la politique du logement et de l’habitat, il devait en fixer les grands axes stratégiques, assortis d’actions concrètes afin de répondre aux besoins spécifiques des différentes catégories de population, des plus fragiles aux plus aisées. « Ceci passe notamment par la restauration de la chaîne du logement, le développement de l’offre en matière de logements sociaux et la résorption de l’habitat indigne ou dégradé ». Son élaboration a, entre autres, été freinée à l’heure de la confusion sur la fusion Département-Métropole.
En marge du conseil municipal, Patrick Amico confirme que cette demande a été faite à la ministre Emmanuelle Wargon. « On verra bien comment le ministère va réagir », confie-t-il. La majorité pourra faire valoir ses arguments auprès de la ministre déléguée au Logement en déplacement à Marseille, dans deux jours, dans le cadre du projet partenarial d’aménagement (PPA) du centre-ville de Marseille.
Dans une série de tweet, en date du 22 novembre, Cécile Duflot tente de venir au secours de Marseille en défendant le bien-fondé de l’encadrement des loyers, mesure phare de la loi Alur, écrite par ses équipes en 2014. « L’encadrement est le paracétamol qui permet de faire baisser la fièvre pendant que l’on traite les racines du problème. Mais il est désormais certain que laisser la fixation libre des loyers ne résout en rien la crise. Ça l’aggrave ! » écrit-elle dans un post.
Une mesure inadaptée selon l’Unis
Une pilule pourtant bien amère pour les professionnels de l’immobilier, qui jugent cette « mesure non-adaptée » au parc immobilier de la cité phocéenne. Si le but de l’encadrement des loyers est d’empêcher les propriétaires de pratiquer des prix trop prohibitifs et permettre que l’évolution des loyers soit cohérente avec l’évolution du coût de la vie, l’Unis Marseille Provence Corse dénonce d’autres effets indirects : « Cette mesure risque d’ajouter de nouvelles contraintes sur l’habitation. Elle s’accompagne d’une augmentation artificielle des prix des loyers au détriment des locataires, alors que nous voyons que le marché s’autorégule très bien de lui-même sur Marseille, sans pour autant qu’il y ait un dérapage sur les prix », témoigne Jean Berhoz, président de l’Unis.
Pour l’organisation, cette expérimentation pourrait favoriser des systèmes de location de courte durée de type Airbnb (qui ne sont pas impactés par l’encadrement des loyers) voire même inciter des propriétaires à vendre leur bien. « Au final, le danger est donc d’aggraver la pénurie de logements mis en locations dans une ville qui est particulièrement touchée par la raréfaction de l’offre de logement », qui estime que les premiers pénalisés seraient les ménages modestes et les étudiants.
Les propositions pour la ville de Marseille
Dans un courrier adressé à Patrick Amico, l’Unis propose à la Ville différentes pistes : l’obligation de réaliser un état des lieux normé pour chaque bien mis à la location qui ne touche pas au prix du loyer, mais à l’état du logement, la priorité pour Jean Berthoz.
Réalisé par un professionnel, le diagnostic pourrait être publié en Préfecture s’il n’est pas conforme aux critères imposés lors de la location d’un bien. « In fine, cela permettrait de cartographier de manière très précise l’état des biens à Marseille et de fournir les données qui manquent cruellement ». Autre proposition : faire en sorte que les propriétaires soient obligés de passer par des professionnels, seul moyen de contrôler le marché, en faisant respecter les réglementations en vigueur.
Dans les villes où il entrera en vigueur, l’encadrement des loyers est au stade d’expérimentation jusqu’au 23 novembre 2023. Les villes retardataires devront attendre jusqu’à cette date pour formuler une nouvelle demande. Le gouvernement va examiner d’ici là son efficacité, afin de déterminer s’il convient ou non de conserver ce dispositif.