Créée par Pénélope Cadeau et Joanne Journée, Jourca est une marque de bijoux marseillaise et éthique engagée pour l’émancipation des femmes du monde entier. Sa première collection, réalisée avec une communauté Massaï de Tanzanie, vise à lutter contre les mutilations sexuelles féminines et les mariages précoces.
Collier finement ciselé aux allures d’amulette, boucles d’oreilles rappelant les boucliers de tribus africaines, perles délicates aux couleurs chaudes… Jourca est une marque de bijoux éthique, basée à Marseille, engagée dans la lutte pour l’émancipation des femmes du monde entier. Le projet, accompagné par l’incubateur Inter-Made (3e), a été imaginé par la designeuse Pénélope Cadeau et Joanne Journée.
Les deux femmes se rencontrent à Marseille, en septembre 2019, entre deux voyages. Pénélope, globe-trotteuse, revient tout juste d’un voyage immersif en Tanzanie, au pied du Kilimandjaro, en territoire Massaï. Joanne, Marseillaise d’adoption depuis 13 ans et ancienne responsable éditoriale au Mucem, parcourt, elle aussi, le monde avec son sac à dos. Elles se lient d’abord autour de leur amour de l’aventure et de la découverte puis commencent rapidement à ébaucher leur projet « sur un coin de table ».
Des histoires de femmes gravées dans l’or
Pour sa première collection, Jourca propose neuf modèles : six d’entre eux, inspirés de la culture des femmes Massaï de Tanzanie, sont dorés à l’or fin dans un petit atelier près de Saint-Etienne puis ciselés, soudés et assemblés à la main à côté de Marseille.
Les designs représentent la rencontre entre l’univers de mythes et légendes de Pénélope et celui de cette communauté : « Les bijoux regroupent tous les codes des guerriers Massaï, comme les boucliers, les scarifications… De mon côté, j’aime créer des mélanges d’animaux, des chimères, comme ces boucles d’oreilles représentant deux cygnes au bois de cerf, décrit-t-elle en manipulant le bijou qu’elle porte à l’oreille, c’est un univers mythologique qui m’est propre et qui rejoint très bien le leur ».
Les pièces dorées portent des noms comme « Aux armes ! » ou « Soror », « un appel à une forme de mobilisation, à notre échelle, dans notre quotidien. C’est un hommage au courage de ces femmes Massaï avec qui l’on travaille mais aussi à la rencontre entre toutes les figures féminines très différentes qui, a priori, n’étaient pas censées se rencontrer. Chaque bijou représente la symbiose, notre rencontre avec toutes les personnes qui ont participé au projet », continue Joanne.
La maîtrise de techniques ancestrales
Les trois modèles restants sont confectionnés en Tanzanie, où Pénélope pose ses valises pendant six semaines, deux fois par an. « Il faut 16 heures de bus » pour arriver à rejoindre les muses de sa collection : les femmes Massaï. « C’est un endroit perdu, qu’on ne peut pas vraiment qualifier de village, décrit Pénélope, à la manière d’un conte. Les femmes viennent nous rejoindre des villages alentours. On se rassemble, puis on s’assoit par terre, parce qu’elles fabriquent leurs bijoux de cette manière, assises devant leur maison tout en discutant ».
Héritières des techniques de fabrication de leurs mères, elles manient les perles et les aiguilles avec dextérité. Dans un souci d’authenticité et d’apprentissage, c’est donc assise auprès de ces femmes que la créatrice commence à confectionner ses bijoux, en observant leur savoir-faire : « Elles fabriquent elles-mêmes leurs outils à partir d’aiguilles, de morceaux de bois, de machettes rouillées… Toutes les parties en plastique des bijoux viennent de bidons d’huile à frire ou de produits ménagers qu’elles découpent elles-mêmes. Ensuite, on tisse les perles ensemble, toute la journée, elles m’apprennent leurs méthodes et je leur apprends les miennes », continue Pénélope.
Ces modèles-là, réalisés main dans la main avec les Massaï, portent le nom de figures mythologiques comme la déesse mère, Enk’Aï, et la déesse de la lune, Olapa, deux entités faisant partie intégrante du quotidien de ces femmes.
Lutte contre l’excision et les mariages précoces
Les Massaï avec qui Jourca travaille ont entre 40 et 60 ans mais il est parfois difficile de deviner leurs âges avec leurs visages marqués par le temps. Elles sont toutes d’anciennes exciseuses, suivant le programme de reconversion d’une ONG tanzanienne qui lutte contre les mutilations sexuelles féminines et les mariages précoces dans les communautés Massaï : « Il faut savoir que l’excision est interdite en Tanzanie depuis les années 90. Cette pratique est censée être condamnée mais elle reste une tradition ancestrale », poursuit Joanne.
Partenaire de Jourca depuis le lancement de la marque, cette entité vise à « sortir les femmes exciseuses de leur métier » par le biais d’un apprentissage des métiers artisanaux, notamment la création de bijoux : « Celles qui occupent cette fonction ont de fortes personnalités et une position importante dans leur communauté… Ce sont des leaders dans les familles Massaï », continue-t-elle avant que Pénélope ne rappelle que ces femmes ne sont pas exciseuses par conviction ou par choix, « elles doivent nourrir leur famille et c’est le seul moyen. Elles font cependant le choix de se reconvertir ».
Si l’excision est traditionnellement basée sur le troc, participer à ce programme leur permet de recevoir une rémunération deux fois supérieure au revenu tanzanien moyen, et donc de subvenir à leurs besoins financiers comme la scolarité des enfants ou encore les frais médicaux. En montrant à ce type de femmes qu’une alternative au métier d’exciseuse est possible, l’ONG espère également que leur statut leur permettra de retourner en tant qu’ambassadrices dans leur village et d’apprendre, à leur tour, ce qu’elles ont appris à la nouvelle génération.
« Mesurer l’impact social de nos actions »
Mais le projet de Jourca en faveur de l’émancipation des femmes n’en est qu’à ses prémisses : « Cette action avec les Massaï est un test, un projet pilote qui devrait durer trois ans. Durant ce temps, nous souhaitons mettre en place des outils pour mesurer l’impact social de notre action, voir s’il y a un changement sur les femmes avec lesquelles nous travaillons, ce que l’on peut améliorer », explique Joanne.
Le but : perfectionner un système de formation afin de pouvoir réitérer l’expérience avec d’autres groupes de femmes d’ethnies différentes « comme certaines communautés du Népal, du Moyen-Orient, d’Amérique latine et des pays d’Afrique, continue-t-elle. Notre cheval de bataille restera leur émancipation économique, la création, les rencontres et la préservation de leur savoir-faire traditionnel. Nous nous inscrirons toujours dans les actions d’une ONG allant dans ce sens »
Certaines pièces phares des collections Massaï resteront donc disponibles mais, dans les années à venir, Jourca souhaite explorer d’autres codes, cultures et designs.
« Parler d’elles, diffuser leur savoir-faire »
La première collection de la marque est d’ores et déjà disponible sur leur site internet et sera exposée au Noël des créateurs de FASK aux Docks Village (2e), du 15 au 31 décembre 2020. Si la situation sanitaire le permet, les deux entrepreneuses devraient retourner en Tanzanie en janvier 2021, afin de produire les bijoux Massaï de leur prochaine collection.
Déjà designée, cette dernière proposera, cette fois-ci, 13 pièces, disponibles en mars prochain. La production d’une partie des modèles est déjà lancée dans leurs ateliers français, il ne reste plus qu’à choisir leurs noms : « C’est un peu comme lorsqu’un enfant naît, plaisante Joanne, le prénom sera évident lorsque l’on tiendra le bijou dans notre main ».
Autre objectif : l’ouverture d’un showroom dans le centre-ville de Marseille d’ici septembre prochain : « Le problème de la boutique en ligne est que les gens ne peuvent pas toucher les bijoux, les essayer ou même nous rencontrer. Et une vraie boutique nous prendrait trop de temps, on préfère en passer dans notre développement, nos voyages… », confie Joanne.
Enfin, Jourca espère prochainement être en mesure d’augmenter le salaire reversé aux femmes Massaï : « Pour l’instant, c’est tout ce que nous pouvons nous permettre mais il existe une différence énorme entre notre niveau de vie et le leur. C’est pourquoi nous voulons devenir leur relais, parler d’elles, diffuser leur savoir-faire afin de contribuer à les faire vivre, exister », conclue-t-elle.