L’exposition hommage « Indigne Toit » signée Anthony Micallef, a été inaugurée ce mercredi soir par la maire de Marseille, Michèle Rubirola. Un témoignage de la vie des délogés de la rue d’Aubagne, après le drame survenu le 5 novembre 2018, faisant 8 morts. Une cinquantaine de portraits, dont certains de 4 mètres de haut, accompagnés d’interviews écrites et sonores, habilleront l’Hôtel de Ville, jusqu’au 22 novembre.

9h05. 5 novembre 2018. Deux immeubles situés rue d’Aubagne dans le quartier de Noailles s’effondrent, fauchant huit vies, et engendrent « l’expulsion » de milliers de personnes de leur foyer, mettant au grand jour le mal-logement dans la deuxième ville de France. Anthony Micallef pose ses valises à Marseille quelques mois seulement avant ce drame. Au cœur de cette terrible actualité, marquée par des manifestations, la détresse et la colère, le photo-reporter indépendant se demande comment en être le témoin.

Spécialiste des longs formats, à l’instar de son reportage de deux ans passés aux côtés des militants du Front national, ou six mois dans un commissariat… Il attend le départ de toutes les télévisions et les médias nationaux pour faire « parler » son objectif. Fin décembre 2018, le néo-Marseillais se met à l’œuvre et découvre par la même occasion l’envers du décor. Marseille, derrière la carte postale. « À cette période-là, quand on était à Noailles, on voyait presque tous les jours des personnes avec leurs valises à la main quitter leur immeuble, sans savoir où aller », raconte Anthony.

, Indigne Toit : Une exposition hommage aux délogés de Noailles sur la mairie de Marseille, Made in Marseille
Anthony Micallef, photo-reporter indépendant, présente son travail lors de l’inauguration

« C’est vraiment un drame humanitaire »

Qui sont-ils ? Pourquoi doivent-ils quitter leur logement ? D’un point de vue journalistique, ces questions le guident et « photographiquement parlant », il s’interroge sur la manière de raconter le plus fidèlement cette histoire en images.

Ce qui devait être le projet de quelques semaines s’étend sur deux ans. Les premiers temps sont ponctués par une mission bien précise : retrouver les délogés contraints de « s’installer » à l’hôtel. « Je pensais que ça serait difficile de les faire témoigner, mais en fait ça a été plus difficile de les retrouver ».

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Julie pose devant son portrait géant, accroché sur l’Hôtel de Ville

Dépression, tension, perte de travail, divorce… Il assiste à des scènes de vie bouleversantes, dans des chambres de 8 à 12 m2, dans des logements dévastés. « C’est vraiment un drame humanitaire », lâche le journaliste, habitué à voyager.

Cameroun, Corée du Sud, Inde, Vietnam ou encore Iran… « J’ai vu pas mal de choses, et il n’y a pas qu’au Chili ou dans d’autres pays du monde qu’il y a des drames. Parfois ils ont lieu sous nos fenêtres », confie Anthony, qui aime l’idée d’un journalisme de proximité « qui raconte la rue ou l’immeuble en face. Là, l’idée, c’était de travailler sur ma ville. Paradoxalement, c’est beaucoup plus compliqué que d’aller photographier des gens en Nouvelle-Zélande ou au Kenya ».

Malgré tout, tous ont été « très volontaires » pour raconter leur histoire, « parce qu’ils avaient le sentiment d’avoir été « invisibilisés », d’avoir complètement disparu de leur quartier. Ils ont doublement souffert de la perte de leur logement et du fait que tout le monde s’en foute. Et d’ailleurs, au moment où l’on se parle, il y a encore plus de 400 délogés dans les hôtels ».

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Baya, 68 ans, dans la chambre d’hôtel de 8m2 qu’elle occupe depuis un an et demi. © Anthony Micallef

La naissance de l’exposition

L’exposition a été plusieurs fois publiée. Télérama et l’Humanité en font leur Une ; six pages de portfolio dans le journal La Vie, une série de clichés dans La Croix, et pourtant, quelque chose manque, comme un sentiment d’inachevé.

La vocation première de ces images, destinées à être vues du plus grand nombre, « passe inaperçue à Marseille ». Comme un devoir envers ces invisibles dont il a capté des tranches de vie douloureuses, et qui avaient à cœur de montrer, à tous, ce qu’ils vivent, Anthony Micallef sort de sa zone de confort en se lançant dans une série d’expositions. Un projet bénévole et entièrement autofinancé.

Pour sa grande première, une centaine de personnes se déplacent pour voir les « grands tirages » à la Brasserie communale, le 5 novembre 2019.

Le public est là, mais « plus je faisais d’expos, plus je prenais conscience que le public auquel j’aurais vraiment voulu montrer ces photos, ceux qui n’ont jamais entendu parler de délogement, ceux qui vivent dans des quartiers préservés ou encore même des personnes qui n’osent pas entrer dans une expo n’étaient pas là. Je me suis dit qu’il fallait un lieu où tout le monde puisse la voir ».

Deux solutions s’offrent à lui. « Soit prendre un pot de colle et afficher les images dans la rue », sourit-il, « soit faire un partenariat avec des personnes qui pourraient mettre à disposition des murs extérieurs ». Loin de la politique et du militantisme, le logement, grande priorité du Printemps marseillais, durant la campagne des municipales, fait écho à son travail. Forcément.

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Un bénévole du collectif 5 novembre avec un t-shirt « Ni oubli ni pardon » lors de la soirée de commémoration des effondrements du 5 novembre, sur la place Homère, rue d’Aubagne a Marseille.

« Un vrai travail documentaire »

Avec peu d’espoir, « que ça fonctionne, parce que ça peut être casse-gue*** », il y a trois semaines, il tape à la porte de la nouvelle municipalité, plongée dans les préparatifs des commémorations du 5 novembre. L’exposition suscite de l’intérêt. La démarche plaît.

« Un vrai travail documentaire », d’où sont tirés une cinquantaine de portraits, de 80 centimètres à 4 mètres de haut, accompagnés d’interviews écrites, habilleront ainsi les façades de l’Hôtel de Ville. « Les témoignages sous les photos sont essentiels, insiste le photographe. Des témoignages parfois très violents » avertit-il, « car je raconte les choses telles qu’elles ont été vécues. J’ouvre les guillemets et je fais parler les gens, et on ne peut pas vraiment imaginer ce qu’ils ont vécu. C’est inimaginable, et pourtant c’est autour de nous ».

Sur quelques photos, la lecture des textes a d’ailleurs toute son importance, pour comprendre la situation captée par son appareil. Des habitants photographiés dans des décors parfois apocalyptiques. « Au premier regard, on pense que l’on comprend, mais non ».

Et cette photo d’une corbeille de fruits pourris

Devant son objectif, des personnes, comme Chaïma, Dominique, Leïla… qui viennent de réintégrer leur logement. « Et c’est frappant. Les gens vous appellent en vous disant  » venez j’ai quelque chose à vous montrer ». Une fois sur place, elles me disent qu’après avoir  passé deux mois à l’hôtel, elles sont revenues parce qu’on leur a dit de le faire, mais que le propriétaire a fait croire qu’il avait fait les travaux », raconte le jeune homme.

Ou encore ce cliché de Virginie, au milieu de son salon complètement retourné, victime d’un cambriolage, lorsqu’elle a tout laissé derrière elle. Et cette photo d’une corbeille de fruits pourris, qui témoigne que leur « foyer ne sera plus jamais comme avant », qu’il a perdu son âme. Sa vie.

La voix des oubliés

Cette exposition forte en images l’est aussi en sons. Des QR Codes permettront d’écouter dans son smartphone la voix de ces oubliés qui racontent et se racontent. La photographie a été prétexte ici à libérer la parole, à « tisser du lien, et parler du sujet » : à savoir le mal-logement : « À Marseille, on dit toujours que les gens parlent fort, et parlent de tout, mais cette question-là reste tabou ».

« Indigne Toit » est un hommage. Le premier temps fort d’autres à venir en souvenir du 5 novembre 2018. Et symboliquement, cet Hôtel de Ville, un temps encerclé par des barrières, des protections contre les manifestations « ni oubli ni pardon », se retrouvera ce mercredi 28 octobre, illuminé des visages de ceux descendus dans la rue. Enfin visibles de tous.

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Le 2 février, des centaines de manifestants défilent jusqu’à la mairie de Marseille pour dénoncer le mal logement, les immeubles insalubres et l’attentisme de la mairie. © Anthony Micallef

> Retrouvez le projet dans son intégralité ici
> Du 28 octobre au 22 novembre, tous les Marseillais pourront ainsi découvrir librement 50 portraits de femmes et hommes délogés exposés sur l’Hôtel de Ville et la place Bargemon.

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