Durant la période de confinement, la major hollywoodienne a déployé sa chaîne Disney+ en Europe, en passant par Marseille. Rapidité, agilité, rentabilité… Plusieurs raisons expliquent ce choix. Un exemple qui conforte la position géo-stratégique de la cité phocéenne comme hub international d’échange de données.
Le 7 avril dernier, alors que la France était confinée, le géant américain lançait sa plateforme de vidéo à la demande, Disney+ en France, quinze jours après avoir débarqué dans les foyers de sept pays européens que sont le Royaume-Unis, l’Allemagne, l’Irlande, l’Italie, l’Espagne, l’Autriche et la Suisse. D’autres pays européens, dont les pays nordiques, la Belgique et le Portugal, suivront cet été.
Prévu en mars, Disney+ avait retardé son lancement en France à la demande du gouvernement pour ne pas encombrer les bandes passantes des opérateurs télécoms, ultra-sollicitées par le télétravail et les cours à distance. Avec cette nouvelle offre, le géant du divertissement s’est imposé dès les premières semaines comme un nouvel acteur de poids dans l’arène ultra-compétitive du streaming vidéo, aux côtés de Netflix, Amazon Prime ou Apple TV.
« Il y a une prise de conscience par les acteurs américains de l’importance de Marseille »
Pour déployer son catalogue de contenus à travers l’Europe, Disney+ a choisi la France. Plus précisément Marseille. Et pas par hasard. La France est le seul pays d’Europe à disposer de deux hubs majeurs d’interconnexion : un dans la capitale, l’autre dans la cité phocéenne. Ce qui lui confère une position stratégique.
Un atout géographique majeur au cœur du réseau mondial
L’hexagone constitue un atout géographique majeur, car le pays est idéalement situé avec ses façades atlantique, méditerranéenne et s’ouvrant sur la mer du Nord. Habituellement, s’il y a un tropisme des poids lourds étrangers à préférer Paris – 5e hub mondial d’échanges de contenus à l’heure actuelle – avant éventuellement de regarder vers Marseille. Un équilibre s’opère entre les deux métropoles.
« Il y a une prise de conscience par les acteurs américains de l’importance de Marseille, explique Fabrice Coquio, président d’Interxion France, groupe néerlandais, leader européen de la réalisation et de l’exploitation de data centers. « Au-delà de Disney, c’est révélateur de l’intérêt des sociétés de ce type d’utiliser le hub de Marseille pour déployer des services qui vont bien au-delà de la région de Marseille, de France. Là, toute l’Europe est “arrosée” par le service OTT (over the top) soit au-dessus du réseau, ndlr] de diffusion de contenus médias par Disney ».
La cité phocéenne est une véritable porte d’accès numérique entre l’Europe, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie. C’est également le centre d’interconnexion qui connaît la plus forte croissance en Europe ces dernières années.
Et pour cause. « Marseille est l’endroit le plus approprié pour faire atterrir les câbles sous-marins, venant d’Asie, d’Inde, d’Afrique et même des États-Unis, pour rediffuser ensuite vers les cœurs de la consommation européenne que sont essentiellement le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas. Marseille bénéficie de cet atout géographique et nous avons, ici, l’émanation même de ce qu’on appelle un hub qui permet de diffuser ces contenus », poursuit Fabrice Coquio.
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« Toutes les sociétés y compris Disney cherchent la même chose »
L’arrivée de Disney+ sur le territoire n’est donc pas une surprise pour lui, « Toutes les sociétés y compris Disney cherchent la même chose : l’évolutivité, l’agilité et tout ça à moindre coût ». Des avantages que Disney a trouvés à Marseille. Depuis 6 ans, Interxion s’est imposé comme un acteur incontournable. La première brique sur laquelle se posent tous les acteurs de réseaux télécoms (depuis les câbles sous-marins aux câbles de réseaux terrestres locaux), de plateformes du cloud, d’entreprises et de « digital media ». Avec le travail réalisé par les équipes d’Interxion, et grâce à ses clients, la société compte, depuis peu, 160 réseaux d’infrastructures connectés à Marseille.
En clair : « lorsque les clients, comme Disney, vont poser leurs équipements informatiques, ils vont pouvoir s’interconnecter avec des réseaux terrestres qui partent vers l’Italie, l‘Espagne, la France, la Suisse… quasiment tous les pays européens. L’autre intérêt, pour Disney c’est qu’il pourra ouvrir, demain, l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient. C’est comme un Roissy Charles-De-Gaulle, les clients savent très bien qu’ils pourront prendre d’autres avions pour aller au Japon, en Inde, en Afrique du sud ou en Algérie », reprend Fabrice Coquio, dont le leitmotiv reste « la donnée n’a de valeur que lorsqu’elle est échangée ».
Interxion réalise ainsi des milliers d’interconnexions pour le compte de ses clients. À Marseille, à date, il enregistre 7 000 interconnexions, c’est « autant que dans les sept data centers cumulés à Paris, alors que nous sommes leaders. C’est un volume très très important ». Cette « agilité » qui séduit les grands groupes est complétée par ce que Fabrice Coquio appelle l’évolutivité : « Depuis qu’on est arrivé à Marseille, notre métier c’est de pousser les murs », sourit le patron.
Après MRS 1, MRS 2 et MRS3, il vient de déposer le permis de construire pour la construction de MRS4. Le prochain bâtiment verra le jour sur le port de Marseille, Porte 4 [lire ici]. « Disney sait qu’avec Interxion, il a trouvé un partenaire pour demain. S’il doit continuer à mettre des machines pour déployer ses services il pourra le faire ».
« Dans ce métier-là de la transformation digitale, tout le monde a besoin de tout le monde »
À ces deux éléments majeurs vient s’ajouter le critère de rentabilité. Sur la partie réseaux télécoms et fournisseurs d’accès internet interconnectés, la mise en concurrence est de rigueur, entretenue par la neutralité des data centers.
Elle permet ainsi d’abaisser les coûts de diffusion. « Ce triptyque est valable pour tous les clients, qu’ils soient une start-up ou un opérateur international. Tout le monde vient finalement sur la place de marché créé par le data center. Dans ce métier-là de la transformation digitale tout le monde a besoin de tout le monde, d’où l’intérêt de trouver ces infrastructures au bon endroit, sans avoir à attendre ou à payer un coût exorbitant pour pouvoir se raccorder à quelque chose », assure Fabrice Coquio.
Les câbles dernière génération : « C’est un peu l’effet TGV »
Interxion a connecté un certain nombre de câbles très importants, dont le dernier en date, le câble chinois Peace qui sera en activité à la fin de l’année 2021. Tous sont de dernière génération, et sans commune mesure avec ceux qui étaient posés il y a à peine 5 ans. À titre d’exemple, le câble « ACE » qui irrigue toute la partie ouest de l’Afrique est d’une capacité de 1 térabit (Tb) ; le « AAE1 » qui relie Hong-kong à Marseille, en passant par Singapour, Oman, Djibouti et Alexandrie, en fonction depuis presque trois ans est de 40 Tb. Quant à Peace, qui arrivera depuis la Chine dans un an, sa puissance est de 320 Tb.
Les nouvelles technologies utilisées pour leur fabrication permettent ainsi de réduire le temps de latence qui se compte en millisecondes, pour aller d’un point A à un point B. « Le temps s’est considérablement abaissé, particulièrement pour les liaisons internationales et les 43 pays que nous pouvons toucher directement depuis Marseille. C’est un peu l’effet TGV. Par exemple, nous sommes passés en quelques années de 200-215 millisecondes pour aller à Singapour depuis Marseille, à maintenant 120 millisecondes ».
Le triangle Paris-Frankfort-Marseille
Paradoxalement, à quelques rares exceptions, les réseaux de fibre optique terrestres sur le territoire français datent de 15-20 ans. Si bien qu’il est plus rapide de relier Marseille-Le Caire que Marseille-Paris. « Mais il faut relativiser », note Fabrice Coquio.
En effet, de nombreux opérateurs, parmi lesquels Orange, Colt… ont entrepris la mise en place de « nouvelles routes » qui permettent de remonter vers Paris et Frankfort. « Sur la même route qui passe le long du Rhône ou à travers le Massif central, vous avez des câbles différents avec des performances différentes et donc des temps de latence différents. Plus ça va, et plus on voit des investissements massifs réalisés notamment entre Paris et Marseille et entre Frankfort et Marseille. Ce n’est pas forcément le cas, par exemple, entre Strasbourg et Paris, Bordeaux-Paris ou Bordeaux-Marseille. Mais on voit bien qu’il y a un axe extrêmement important qui est en train de se mettre en place. Une sorte de triangle entre Paris, Frankfort et Marseille ».
Marseille, 5e hub mondial de l’échange de données
La dernière étude de l’Institut TeleGéography, basé à New York a déterminé que le niveau d’échanges en térabits réalisés au sein des infrastructures d’Interxion, contribue à faire de Marseille le 9e hub mondial d’interconnexion de données, devant Hong-kong et juste derrière New York. « Et nous estimons qu’avec les capacités supplémentaires qui arrivent dans les deux prochaines années, à l’horizon 2022-2023, Marseille sera dans les 5 hubs mondiaux d’échange de données ».