Dans le contexte de crise sanitaire, le recours au circuit court est plébiscité par les Français. Soutien aux producteurs locaux, traçabilité des produits, si les mesures de confinement ont permis un retour vers la proximité et la qualité, ces nouvelles manières de consommer pourraient-elle perdurer ?
Phanette Double a ressorti sa vieille camionnette. Depuis le début du confinement, c’est elle qui assure les livraisons. Pas le choix ! Son chauffeur a contracté le Covid-19, alors elle sillonne les routes du pays d’Aix jusqu’à Marseille pour livrer ses colis spéciaux. Le résultat d’une dynamique solidaire.
Phanette gère le domaine Beaupré, l’un des vignobles historiques des Coteaux d’Aix-en-Provence. Une affaire familiale depuis 1855. Restaurants et cavistes constituent l’essentiel de sa clientèle : 40% de chiffre d’affaires en moins, en ajoutant les 30% de l’export et 30% particuliers. Les pertes sont considérables, même s’il y a quelques jours, la vigneronne a réussi à envoyer quelques palettes « étonnamment » aux États-Unis et en Chine.
Malgré la situation, Phanette n’est pas femme à se laisser accabler. « Lorsqu’on est vigneron, on n’hésite pas à se remonter les manches. Un coup, c’est le gel ; un coup c’est la grêle ; un coup, un problème de personnel… On est habitué aux coups durs, même si, bien sûr, je n’aurais jamais imaginé que l’ensemble de la planète soit confinée. À mon niveau, j’ai juste décidé de prendre le taureau par les cornes », confie-t-elle, en gardant le sourire.
Création d’un circuit solidaire en soutien aux producteurs
Si elle a conscience « qu’il n’est pas essentiel de boire du vin durant cette période », elle reste convaincue qu’apporter un peu de détente et de plaisir en ces temps difficiles est une « noble mission. » Alors, dans un premier temps, elle a proposé aux cavistes « de les livrer sur des petites quantités » avec une offre promotionnelle.
Puis, c’est un véritable circuit solidaire qu’elle met en place avec des producteurs locaux. D’abord avec Mélanie Loiseau, (Le Pys qui chante) une productrice de beurre et de crème qui vendait exclusivement aux restaurants.
Grâce à ses contacts, Phanette se rapproche du magasin Carrément bio, à Saint-Cannat. « J’ai demandé s’ils étaient d’accord pour vendre ses fromages. De mon côté, je me disais que si je me déplace pour livrer six bouteilles de vin, c’est quand même dommage de ne pas en profiter pour apporter d’autres produits, et ça peut aider d’autres personnes. C’est ça qui est chouette, donc parallèlement on a réussi à constituer un panier avec leurs produits et nos vins, que nous pouvions livrer à domicile ».
Dans cette période où les habitudes sont bousculées, le partenariat est vite scellé. D’autres producteurs se greffent à la démarche, comme un maraîcher de Châteauneuf-les-Martigues dont l’activité est habituellement très reliée à celle des chefs. Fruits, légumes, fromage, viande, pain, farine, pâtes, conserves… Et bien sûr vins constituent l’essentiel des paniers.
Mais pas seulement, car la boutique du Château de Beaupré regorge de produits d’épicerie fine, à l’instar des bocaux concoctés par le chef étoilé Nicolas Bottero. « On propose aussi dans ces colis les petits produits locaux, comme des chocolats de la chocolaterie Taborcia, à Lambesc, des nougats de chez Fouque, des biscuits salés de « Marie Douceurs », à La Roque d’Anthéron… qui ont été dénichés par l’un de nos employés qui était allé à la rencontre des différents artisans ». Des petits plaisirs qui ont séduit à l’approche des fêtes de Pâques.
Une demande croissante
Dès le vendredi de la deuxième semaine de confinement, Phanette livre une quinzaine de personnes dans un rayon de 30 kilomètres autour du domaine. La demande va croissante, et le système fonctionne, permettant ainsi à différents producteurs de limiter les dégâts durant cette période.
La vigneronne s’est aussi mise en relation avec des chefs de l’association Gourméditerranée – qui durant cette période cuisine des repas pour le personnel soignant -, avec l’idée de leur offrir des bouteilles de rosé. Parallèlement à cette livraison spéciale, « comme je venais à Marseille, il était dommage de ne pas livrer nos paniers, j’ai donc prévenu ma clientèle de ce déplacement. Une fois l’information passée, le téléphone n’a pas arrêté de sonner. J’ai fait une vingtaine de livraisons à Marseille, en plus de la quinzaine dans le pays d’Aix ».
Ses bouteilles de rosé ont été finalement offertes aux bénévoles venus en renfort de Gourméditerranée. La semaine dernière, elle a effectué une nouvelle livraison, cette fois-ci à destination des équipes du professeur Raoult. « C’est vrai que le vin n’est pas un produit de première nécessité, mais ça reste un geste pour les remercier de ce qu’ils font au quotidien ». Le vin est venu agrémenter le « Bon panier ». Une initiative solidaire lancée Thierry Garcin et sa société Paume de Terre, la chef étoilée, Nadia Sammut et sa société Kom&Sal, Caroline Gloton de Le Change Lab et Sandrine Catoire, de Ma terre. Objectif : permettre aux particuliers d’acheter un panier en y ajoutant un message personnalisé, une photo ou un dessin, et qui sera ensuite livré aux personnels soignants dans les différents établissements du territoire.
Le succès du drive fermier
La crise a permis à certaines exploitations de se faire connaître par des habitants qui jusqu’ici n’avaient aucune idée qu’ils avaient des voisins producteurs fermiers.
C’est le cas de Chrislaine Alazard, qui fait de la vente directe d’agneau bio à la Roque d’Anthéron. « La commune nous a donné un coup de pouce en faisant de la communication. Nous avons eu des gens qui n’avaient jamais commandé avant et qui ne nous connaissaient pas. C’est impressionnant », confie Chrislaine.
Elle qui travaille essentiellement avec des comités d’entreprises a dû revoir son organisation et s’adapter au cas par cas. Les colis individuels et sur commande nécessitent plus de va-et-vient à l’abattoir et à l’atelier de découpe.
Grâce à la plateforme « Pertuis solidaire » mise en place pour assurer la solidarité entre citoyens, producteurs et consommateurs, elle a pu « proposer ses colis en drive, même si ç’a été difficile à gérer », notamment à l’approche des fêtes de Pâques, qui représentent une part importante de son chiffre d’affaires.
Les demandes ont été nombreuses de la part des Marseillais. « On aurait bien voulu pouvoir honorer ces demandes, mais nous n’avions pas de point de chute là-bas, et il nous fallait quand même des réponses rapides ».
Ces démarches solidaires se sont multipliées ces dernières semaines aux quatre coins du territoire. La fromagerie de l’Aupillon, entre Trets et Rousset, qui vend des produits de la ferme très demandés (fromages, yaourts au lait cru, lait frais de vache, beurre au lait cru entier fermier, faisselle, ricotta, fromage blanc…) a décidé de distribuer les produits d’autres producteurs locaux.
Dans la grande distribution, on compte également des initiatives solidaires telles que celles de Carrefour Contact à Martigues, qui s’est engagé à acheter la production locale et à la vendre sans marge. Le gérant du magasin, Alexandre Troupel, a mis en place un étalage pour mettre jusqu’à quatre références, et permet même aux producteurs de venir faire l’animation en magasin « et surtout garder le lien avec leur clientèle dans cette période difficile ».
Mamie Popote, la plateforme de plats à emporter qui a ouvert ses portes il y a six mois à Aubagne, aide aujourd’hui les producteurs locaux à écouler leurs stocks avec une distribution sur Marseille et environs. « Nous avions notre réseau de producteurs locaux qui malheureusement, avec le confinement, a été coupé de son circuit de distribution, explique le gérant Nicolas. Pour les aider, on vend directement chez nous leurs produits de saison, avec nos plats à emporter ».
Le boom des plateformes entre producteurs et consommateurs
Les plateformes d’intermédiation ont pour la plupart également modifié leurs conditions de vente depuis le confinement : livraisons à domicile, création de drive… Comme « La Ruche qui dit oui », où les commandes ont explosé. Le réseau national de communautés d’achat en direct aux producteurs locaux compte une quinzaine de ruches dans le département et propose depuis le début du confinement des services de livraisons à domicile. La plateforme a également lancé un appel aux bénévoles.
La plateforme Locavor s’inscrit aussi dans cette même démarche d’intermédiaire entre producteurs et consommateurs. Le site propose pas moins de 32 producteurs dans les Bouches-du-Rhône.
Localizz travaille en direct avec plus de 150 producteurs et agriculteurs privilégiant le circuit court et garantissant ainsi l’origine du lieu de production ou de transformation (100 % Paca). Depuis le confinement, Localizz a organisé un drive pour les particuliers.
Et après ?
Si partout en France, les ventes de produits alimentaires via des plateformes numériques connaissent une progression importante depuis le début du confinement, une question taraude : si la crise a permis un retour vers la proximité et la qualité, ces nouvelles manières de consommer pourraient-elle perdurer ?
Chez Mamie Popote déjà, les patrons entendent poursuivre à l’avenir leur partenariat désormais bien ancré, dans les habitudes. Chrislaine, elle, a bien vu les « habitudes des consommateurs changer », « mais je ne suis pas sûre que ça dure dans le temps. Là, je pense que c’est lié à la crainte de ne pas entrer dans les supermarchés, le fait de pouvoir venir chercher les colis en drive rassure », souligne Chrislaine. Ça serait bien que ça dure », espérant garder un peu de sa nouvelle clientèle, mais sans pour autant se bercer d’illusions. Toujours sur les routes, Phanette croit profondément au local.