Paralysé depuis le début de la crise sanitaire, et malgré un climat d’incertitudes, l’aéroport Marseille-Provence travaille sur plusieurs scénarii pour relancer l’activité aérienne. État des lieux, mesures et perspectives.
Un trafic en recul de 54,6% en mars 2020 par rapport à 2019, avec la fermeture des frontières ; – 99% du trafic passager au mois d’avril, par rapport à la même période l’année dernière ; un accueil de 300 passagers par jour contre 30 000 habituellement ; 5 vols réguliers par jour seulement vers Paris-Charles-de-Gaulle et la Corse, pour une raison de continuité territoriale… En trois semaines seulement, l’aéroport Aix-Marseille Provence a connu un véritable effondrement de son activité.
Le fret qui a résisté au mois de mars (-25,8%) dégringole lui aussi (-50%) reflétant l’arrêt de l’économie, et ce même malgré les quatre vols charters en provenance de Shanghai, depuis le 10 avril, avec à leur bord plusieurs millions de masques.
Plus de 90% du chiffre d’affaires de l’aéroport dépend directement du trafic et de l’activité aérienne. Dans ce contexte de crise, l’entreprise AMP perd un peu plus de 13 millions d’euros par mois, sur près de 14 millions en temps normal. Malgré la réduction des dépenses d’exploitation et d’investissement – avec les 2/3 des infrastructures mises en sommeil – la plateforme puise chaque mois dans son fonds de roulement plus de 7 millions d’euros ; pour continuer à faire tourner l’équipement, assurer le paiement à 100% des collaborateurs (dont ¾ sont à l’arrêt) et la sécurisation des délais de paiement des 150 fournisseurs…
Emprunt et prêt garanti par l’Etat pour passer le cap 2020
Entre la protection de son modèle économique et la volonté de jouer une partition solidaire territoriale, « nous avons fait le choix de faire barrière, à l’effet domino d’effondrement des trésoreries des différents acteurs, en essayant, à notre niveau, d’amortir les effets de la crise pour l’ensemble des acteurs sur la plateforme marseillaise, alors que nous vivons, nous même, le même phénomène au travers de la baisse de notre activité », déclare Philippe Bernand, président du directoire d’AMP.
Au vu de ses besoins mensuels et pour se financer à court terme, l’aéroport a eu recours dès la deuxième quinzaine de mars à un emprunt de 25 millions « en anticipant de trois à six mois des lignes de crédits prévus pour financer notre plan d’investissement », explique Patrice Escorihuela, directeur administratif financier. À ce titre, la priorité sera donnée aux investissements de rénovation, de mises aux normes, d’optimisation opérationnelle et environnementale. (lire par ailleurs).
Dans un second temps, l’aéroport envisage d’avoir recours au prêt garanti par l’État, pour passer le cap de l’année 2020. « Il faudra trouver des solutions collectives, parce que lorsque l’activité aérienne et aéroportuaire va reprendre, les compagnies qui seront encore en mesure de transporter des passagers n’auront pas constitué, elles-mêmes, leur stock de trésoreries, et donc, elles ne paieront pas l’aéroport à 30 jours, comme nous le faisons nous avec nos fournisseurs », poursuit le directeur financier.
Les mesures en vue du retour de l’activité
Des complications s’annoncent donc à la reprise, pour laquelle aucune date n’a encore été annoncée. C’est dans ce climat d’incertitude que l’aéroport Marseille-Provence tente d’anticiper sa gestion financière et opérationnelle, en travaillant sur la mise en œuvre de plusieurs scénarii de sortie de crise. Ceux-ci dépendent des décisions gouvernementales et européennes. « Depuis l’annonce par le président de la République d’un déconfinement à partir du 11 mai, on est entré dans une nouvelle étape, on se met en perspective. La reprise ne sera possible que si l’on déploie un certain nombre de mesures sur l’aéroport », poursuit Denis Corsetti, directeur des opérations.
En se conformant à la réglementation de l’Agence régionale de santé, l’aéroport va mettre en œuvre une série de mesures, inspirées de la méthode asiatique, avec en ligne de mire « la sécurité avant tout » : marquage au sol pour assurer la distanciation sociale à 1,50 mètre dans les files d’attente, au niveau des postes d’enregistrement, des portes d’embarquement, de l’inspection/filtrage… En salle d’embarquement, un siège sur deux sera condamné « et l’on va aussi stopper un certain nombre de fonctions proposées habituellement à nos passagers, telles que les salons VIP, les zones de jeux pour enfants et les terrasses de restaurants », annonce Denis Corsetti.
Protection également pour les collaborateurs des compagnies aériennes, avec la mise en place de Plexiglas sur les banques d’enregistrement et les portes d’embarquements. « On va également équiper de visières les personnels qui réalisent l’inspection filtrage des passagers, et nous allons renforcer tout ce qui est mesure d’hygiène et de désinfection. Nous allons revoir les procédés et les produits ».
Pour prendre l’avion, il sera désormais obligatoire de porter un masque de protection, que le passager devra se procurer. Pour Philippe Bernand, « il est capital que les décisions européennes soient homogènes, car les décisions isolées et contradictoires auraient un effet de grippage du système, alors que l’on veut retrouver une fluidité encadrée. Cette fluidité, il faudra la trouver sur l’ensemble des modes de transports. Toute la chaîne doit faire l’objet de recommandations fiables ».
Des prudentes prévisions jusqu’à la fin de l’année
La plateforme marseillaise estime un retour à la normale, en fonction de l’évolution de l’épidémie, entre 12 à 18 mois, avec une reprise du trafic en trois temps : vols domestiques, intra-Schengen et l’international, « et l’effet d’entraînement de l’international sera déterminant », assure Philippe Bernand. AMP a ainsi réévalué ses projections jusqu’à la fin de l’année et « chaque nouvelle prévision nous fait revoir à la baisse la précédente », indique Julien Boullay, directeur commercial et marketing. Un exercice difficile en raison des nombreuses inconnues.
En se basant sur des hypothèses plutôt optimistes et sans intégrer la faillite potentielle de compagnies ariennes, l’entreprise table sur un trafic de 5,6 millions de passagers en fin d’année, soit une diminution de 46% par rapport à 2019. « Sur le mois de mai, on espère une reprise timide avec l’hypothèse que le déconfinement du 11mai pourra permettre, dans la deuxième quinzaine, la reprise de quelques vols domestiques, sans aucune garantie » avance avec prudence Julien Boullay.
Puis sur une reprise du trafic de façon très progressive « avec des prévisions aussi en recul : – 75% en juin, – 54% en juillet et – 43% en août ». Des incertitudes demeurent également sur les conditions de reprise du trafic international et sur les dates de réouverture de frontières aériennes. « On peut s’attendre aussi à une baisse de la fréquence vers les principaux hubs internationaux reliés à Marseille, généralement plébiscités pour des correspondances vers des destinations long-courriers. Il est probable que de grandes compagnies comme Air France, British Airways, Luftansa ajustent leur capacité à la demande ».
L’été devrait être quoiqu’il arrive « catastrophique », alors que cette saison permet d’ordinaire d’enregistrer des marges, permettant d’assurer un équilibre. « On peut s’attendre à des ajustements de programmes assez sévères cet hiver, des fermetures temporaires ou définitives de lignes, et dans le meilleur des cas des réductions de vols », analyse le directeur commercial. 2021 ne s’annonce pas sous de meilleurs auspices, avec 15 à 20% du trafic en moins.
« Cette crise va modifier de façon durable la façon dont on opère sur un aéroport »
Pour le président du directoire, la relance devra aussi passer par la connectivité aérienne du territoire. « C’est indispensable. Les aéroports régionaux sont essentiels au développement des territoires, mais dépendent de leur compétitivité européenne. Sans l’accompagnement de l’État français, cette compétitivité sera dégradée et les territoires français seront pénalisés ». L’aéroport mise aussi sur un « choc de confiance » pour le retour de ses clients.
En plus des mesures sanitaires, AMP mène une profonde réflexion sur son organisation, dans une volonté de responsabilité sociale et solidaire (RSE). « Cette crise va modifier de façon durable la façon dont on opère sur un aéroport », déclare Denis Corsetti. Le directeur des opérations évoque, par exemple, l’installation d’un espace dédié à l’information sanitaire à destination du public, le renforcement des procédures de paiement sans contact ou encore le développement du « self-processing » : « il faudra de plus en plus que le passager puisse faire chez lui un certain nombre de démarches ».
L’exploitation des aérogares sera aussi repensée avec, « peut-être, de nouveaux équipements plus adaptés », jusqu’au choix des matériaux. « La mondialisation s’est installée dans nos vies, avec une rapidité incroyable le transport aérien s’est démocratisé à une vitesse à peu près comparable, et les deux phénomènes sont liés et nous vivons sous le coup de cette crise sanitaire un moment nécessaire de construction, note le président du directoire. Prendre l’avion est un acte responsable, tant, sur le plan environnemental que sanitaire. Cela nécessitera de la rigueur dans les processus mis en place, mais aussi du sens civique et une appropriation des bonnes pratiques de la part des passagers. »