Les associations déploient une énergie hors-norme alors que la crise du Covid-19 menace les personnes précaires et vivant dans la rue. Réquisitions d’hôtels et d’équipements publics, elles proposent des solutions d’urgence pour mettre les sans-abri en sécurité. Elles ont désormais le soutien de l’État.
La situation des plus précaires est très tendue en cette période d’épidémie de Covid-19, malgré l’engagement décuplé des travailleurs sociaux, associatifs et bénévoles, comme nous vous l’expliquons ici.
Mercredi soir, des associations et citoyens engagés ont lancé une pétition en ligne à l’adresse du Président de la République. Elle porte en premier lieu sur la réquisition des hôtels vides afin d’héberger des sans-abris (tribune à retrouver ci-dessous). Une solution pour réduire la concentration extrême dans les centres d’hébergement d’urgence, et offrir aux plus précaires une solution de confinement acceptable.
Le collectif du 5 Novembre alerte aussi sur la question des délogés à Marseille
Bientôt des centres de quarantaine et des réquisitions d’hôtels
Ce jeudi matin, le ministre chargé de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, a répondu par une série de mesures. 50 millions d’euros débloqués « pour le moment », des réquisitions d’hôtels et d’équipements publics, ainsi que la création de 80 centres de « desserrement » en France. Ces sites de quarantaine avec chambres isolées permettront de confiner les sans-abris contaminés par le Covid-19. « Aujourd’hui, nous dénombrons 10 cas en France », a-t-il précisé.

Julien Denormandie
À Marseille, la Préfecture annonce qu’un centre de 78 places ouvrira en début de semaine prochaine pour les personnes atteintes du Covid-19 sans gravité.
Elle s’appuie sur le Service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) pour trouver des places en hôtel aux sans-abris non contaminés afin de réduire la concentration dans les centres d’hébergement d’urgence. Cinq hôtels on répondu présent dans les Bouches-du-Rhône, pour une centaine de chambres. Les associations en attendent 200 places à Marseille. Aucune réquisition n’est envisagée pour le moment.
Résidences étudiantes ou internats, les équipements de l’enseignement sont vides depuis le début de la crise, et pourraient être utiles. À Toulouse, certains ont déjà été réquisitionnés.
La Région Sud, qui gère les lycées, semble prête à mettre à disposition ses internats : « Si l’État, dont c’est la compétence, sollicite la Région sur la question de l’hébergement et du confinement des personnes sans domicile fixe, et que la Région peut y être utile, elle est prête à apporter son soutien immédiat ».
Les associations ont pris les devants
Les mesures se sont faites attendre, malgré l’extrême urgence décrite par les travailleurs médico-sociaux. Aurélie Tinland est psychiatre au sein de l’équipe Marss de l’APHM. Elle coordonne des maraudes au service des sans-abris : « Nous avons utilisé des aides déjà existantes pour “déconcentrer” les 80 femmes hébergées au centre de Saint-Louis. 60 d’entre-elles ont été relogées des aparthotels, 20 sont restées sur place, mais avec plus d’espace ».
Point de tension extrême dans cette crise sanitaire, l’Unité d’hébergement d’urgence (UHU) de la Madrague. Elle accueille 280 personnes en espaces collectifs. « La priorité évidente est de séparer les hébergés. Nous avons déjà eu trois ou quatre cas suspects cette semaine », raconte Pascal Fraichard, le directeur régional du groupe SOS qui gère le site.
« Dès la confirmation des fonds débloqués par l’État, nous avons commencé nous-mêmes à chercher des hôtels pour accueillir les sans-abris ». L’objectif de l’association : réduire à 85 les personnes hébergées au centre de la Madrague d’ici une semaine. « Ça fait 200 personnes à reloger ».
Les travailleurs sociaux mobilisés malgré les risques
« Ce qui met notre personnel en grande tension, c’est aussi le manque de matériel sanitaire », raconte Pascal Fraichard. Masques, gants, gel hydroalcoolique, les associations n’ont pour l’instant rien reçu. « Mais l’État nous a promis des masques dans les prochains jours ». La Préfecture confirme que le matériel sanitaire de prévention devrait être livré sous peu.
Une partie « à risque » des travailleurs du groupe SOS ne peut pas travailler dans ces conditions. « Nous avons dû faire appel à des intérimaires du médico-social pour les remplacer. Pour le moment, nous parvenons à maintenir toute notre activité sans avoir à faire appel à des bénévoles supplémentaires ».
Du côté des maraudes dans la rue, « nous faisons des rotations d’équipes », explique Aurélie Tinland. « Si un groupe est touché par le Covid-19, les autres peuvent prendre le relais ». Des bénévoles sont également venus en renfort.
Cette semaine, à Marseille, la question des sans-abris est devenue une problématique majeure de l’épidémie de coronavirus. Tout le monde espère que les mesures de l’État, combinées à l’énergie exceptionnelle déployée par les associations sur le terrain, permettra d’éviter une crise sanitaire d’ampleur chez les plus démunis.

Maraude de la Croix-Rouge à Marseille
« M. Le Président : réquisitionnons les hôtels vides »
M. le Président, vous avez appelé dans vos discours à protéger les plus démunis et les plus vulnérables, face à la crise sanitaire que nous traversons.
Nous vous prenons au mot et souhaitons attirer votre attention sur la situation urgente qui concerne l’ensemble des personnes sans abri. Leur mode de vie ne leur permet pas de se conformer aux décrets promulgués, de réduire leurs déplacements, ni de se confiner – puisque dans le meilleur des cas ils sont hébergés dans des lieux collectifs -, ni même de se laver les mains, tant l’accès à l’eau est un problème dans la rue.
La promiscuité entre personnes de la rue, – promiscuité en partie organisée par un système d’hébergement, de distribution alimentaire, et d’accueil collectifs saturés -, ainsi qu’une grande mobilité du fait de l’éclatement et de l’éloignement des services d’aide, expose tout particulièrement cette population à la diffusion du virus. Leurs conditions de santé dégradées en font des personnes vulnérables : toutes les données scientifiques montrent qu’elles ont plus de maladies chroniques, que ces maladies sont plus graves, mais moins traitées1. On rappelle que l’âge moyen
au décès des SDF est plus proche de 50 ans que de 80 ans en population générale2. Il s’agit donc de profils à haut risque.
En l’absence de solutions rapides, la population des personnes de la rue peut constituer un foyer épidémique, de propagation rapide, et entraîner de nombreux cas graves pour nos services en tension.
M. le Président, aujourd’hui le temps presse. Nous avons besoin de loger rapidement les personnes de la rue. Les services s’activent aujourd’hui surtout pour ceux qui tomberaient malades, et une partie des plus vulnérables. Nous sommes inquiets d’abandonner le reste de cette population à l’« immunité de troupeau », et pour nos équipes qui sont en première ligne pour les accompagner.
Nous avons commencé à travailler avec les services déconcentrés, mais nous avons besoin d’aller beaucoup plus vite. La crise sans précédent que nous connaissons aujourd’hui a prouvé que chaque jour comptait pour éviter le pire. Les personnes de la rue ont besoin d’un lieu où se retirer, se confiner, se protéger. Nous en appelons à la responsabilité de l’Etat pour organiser et multiplier les réquisitions : de biens inoccupés, de chambres d’hôtels vides du fait de l’arrêt du tourisme. Nous avons aussi besoin de tentes pour nous adresser à toutes et tous.
Les personnes de la rue ont aussi besoin de se nourrir. De nombreuses personnes n’ont pas mangé depuis plusieurs jours. Nous en appelons à la responsabilité de l’Etat pour organiser et faciliter la préparation et livraison de repas dans ce contexte exceptionnel.
Enfin, tout comme le personnel médical, les équipes qui s’occupent des personnes de la rue ont besoin de se protéger. Nous en appelons à la responsabilité de l’Etat nous avons besoin de masques, de gants, de gel et de savon. Nos personnels et bénévoles, en première ligne sur le terrain, ne bénéficient pas de ce matériel pour respecter les consignes basiques d’hygiène.
M. le Président, vous avez identifié les partenariats nécessaires, au travers d’une alliance entre l’Etat avec les grandes associations, les collectivités territoriales et leurs services. Les associations ont des propositions, et feront tout ce qui est en leur pouvoir. Nous comptons aussi sur toutes les initiatives citoyennes qui, nous l’espérons, vont continuer à se multiplier pour contribuer à cet élan de solidarité. Mais pour déployer une réponse à la hauteur de l’enjeu, nous l’affirmons : nous ne pourrons nous passer d’un État interventionniste car les réquisitions nous paraissent indispensables, d’un État organisateur en première ligne de la coordination locale, mais aussi d’un Etat incitatif, avec de l’aide matérielle et humaine.
Depuis quelques jours, chacun-e d’entre nous a pu éprouver concrètement le fait que la santé est un bien public commun. Comme a pu le dire à propos du coronavirus le psychiatre italien Raffaelle Morelli : la seule manière de nous en sortir est de faire communauté, de sentir qu’on fait partie de quelque chose de plus grand, dont il faut prendre soin, et qui peut prendre soin de nous. Notre sort dépend de celui des autres, de tous ceux qui nous entourent.
La solidarité doit s’organiser autour des personnes de la rue. L’état d’urgence le permet. A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles.
Un collectif d’acteurs solidaires et soignants.