Chaque année en Provence-Alpes-Côte d’Azur, 1 500 hectares de terres agricoles sont « détournées » pour d’autres usages, comme le loisir, le stockage ou la résidence. À l’heure de la souveraineté alimentaire, les pouvoirs publics lancent un guide pour lutter contre ce phénomène.
On les appelle les « détournements d’usage » ou « consommation masquée » de zones agricoles. Derrière ces termes mystérieux, se cache un phénomène concret. Il s’agit d’acheter des terres agricoles, souvent à bon prix, pour des usages bien éloignés de la production alimentaire d’agriculteurs.
Pour y pratiquer le loisir, par exemple, comme la moto cross ou l’équitation. Certains y résident dans des mobiles home, caravanes, yourtes, un phénomène appelé « cabanisation ». D’autres, peu scrupuleux, transforment des parcelles en casse automobile, déchetterie ou zone de stockage pour le bâtiment.
Enfin, souvent en périphérie des grandes villes, comme le pourtour marseillais ou aixois, des propriétaires de résidences achètent les terrains agricoles voisins pour s’offrir un grand jardin, un espace de loisirs ou tout simplement la tranquillité.

1 500 hectares par an : « il faut stopper l’hémorragie »
À l’heure où la France cherche à retrouver une souveraineté alimentaire et renouveler les générations d’agriculteurs, « le foncier agricole est de plus en plus rare. C’est un vrai problème, il faut stopper l’hémorragie », alerte Laurent Vinciguerra.
Il est le directeur général délégué de la SAFER Paca. La société d’aménagement foncier et d’établissement rural a pour mission de gérer le foncier agricole et d’y implanter des exploitants. Et elle a décidé d’enquêter et de documenter cette consommation masquée.
Avec un littoral séduisant et de grandes villes bordées de campagnes, la région est particulièrement attractive pour le détournement d’usage de ses terres. Le phénomène serait responsable de la perte « d’environ 1 500 hectares de surfaces agricoles chaque année en Provence-Alpes-Côte d’Azur », estime-t-il.
Et de rappeler qu’en 50 ans, depuis les années 1970 et le début d’une urbanisation débridée, la région « a perdu la moitié de ses surfaces agricoles utiles. À l’échelle nationale c’est 30%. Nous sommes passés de 1,6 million d’hectares à 775 000 aujourd’hui », chiffre Laurent Vinciguerra.
Un guide pratique de lutte contre les détournements d’usage agricole
L’heure est donc à la reconquête des terres par les agriculteurs, plutôt qu’au détournement de leur usage. Mais ce phénomène reste « complexe. Car il joue sur de nombreuses zones grises juridiques et la difficulté de surveillance. Et puis c’est un cumul de petites parcelles par-ci, par-là. Ça passe donc souvent sous les radars », déplore le directeur général délégué de la SAFER Paca.
C’est pourquoi, avec la Chambre d’agriculture et le soutien de l’Europe et du Conseil régional, la Safer a publié un « guide pratique de lutte contre les détournements d’usage agricole ». Destiné aux maires et agents publics, il propose des recommandations « pour la mise en œuvre d’une stratégie communale globale et efficace ».
« Le meilleur moyen de protéger les terres agricoles est d’y installer des agriculteurs »
Derrière cette stratégie, se cachent de nombreuses problématiques. « Les documents d’urbanisme et de planification qui concernent les maires », rappelle Laurent Vinciguerra. « La justice et la police doivent également jouer leur rôle pour faire respecter la loi. Elle-même peut évoluer pour éviter les trous dans lesquels se faufilent certains propriétaires ».
Il s’agit au final de déployer « une action collective pour reconquérir le terrain perdu », décrit le directeur général délégué de la SAFER Paca. Pour lui, « le meilleur moyen de protéger les terres agricoles reste d’y installer des agriculteurs ! ».
À Marseille, le vallon des Hautes Douces, cas d’école de reconquête agricole
Pour cela, il espère intensifier une dynamique « proactive des pouvoirs publics dans laquelle la Safer a un rôle à jouer ». Un cas emblématique illustre ce travail de groupe à Marseille : le vallon des Hautes-Douces dans le quartier de la Treille (11e).
Morcelé en plusieurs parcelles, dont certaines urbanisables, ce terrain a failli être vendu par lots, faisant craindre l’impossibilité d’y développer une réelle activité agricole. C’était sans compter la Safer, en embuscade, qui a fait valoir son droit de préemption après 10 ans d’une lente maîtrise foncière du secteur, parcelle par parcelle.
Un patient jeu de « Monopoly, dont nous sommes fiers », vante Laurent Vinciguerra. Car il a abouti à la constitution d’un terrain agricole de près de 9 hectares, que la Ville a racheté pour y installer des paysans producteurs dans le but d’alimenter les cantines scolaires. Un appel à candidatures est en cours.