En visite à Marseille, la ministre de la ville, Juliette Méadel, espère insuffler une nouvelle dynamique dans les quartiers prioritaires. Au-delà des coups de pression aux bailleurs sociaux, elle mise sur la santé mentale des jeunes, la place des femmes et des associations pour améliorer le cadre de vie. Interview.

« C’est la ville de mes ancêtres, comme le territoire de la Provence », pose Juliette Méadel à Marseille, dans un salon de la Préfecture des Bouches-du-Rhône. La ministre déléguée chargée de la ville est en visite ce jeudi 27 et vendredi 28 février. Mais au-delà de « l’attachement personnel, c’est une des villes qui compte les quartiers les plus pauvres de France ». Ceux qui tombent sous la responsabilité de son ministère.

Pannes récurrentes d’ascenseurs, trafics, ordures ménagères, insécurité, rats et cafards… Elle fait face à un tableau peu reluisant. « Voir la précarité de certains et la dégradation des conditions de vie quotidienne dans cette ville superbe, avec la plus belle rade du monde et une histoire plurimillénaire, c’est un crève-cœur », souffle-t-elle.

Passés les sentiments, la ministre veut faire la démonstration de son action. « J’ai un rendez-vous avec les Marseillais toutes les 5 semaines pour constater les progrès », lance-t-elle. En effet, elle était déjà présente fin janvier, un mois après sa nomination dans le gouvernement Bayrou.

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Et elle compte tenir ce rythme, maintenir la pression, « qui permet déjà de constater des avancées ». Elle fait référence à la crèche de l’Œuf, dans le quartier de la Busserine, fermée depuis 2020. « Je viens vérifier aujourd’hui que les travaux promis débutent enfin. Les habitants vont pouvoir faire garder leurs enfants à partir de juin », annonce Juliette Méadel.

Mais bien d’autres dossiers l’attendent, concernant les bailleurs sociaux, les élus locaux, le monde associatif et de la santé, qu’elle évoque avec Made in Marseille. Interview.

Made in Marseille : Quel est l’état des quartiers de la politique de la ville (QPV) à Marseille ?

Juliette Méadel : J’ai envoyé une circulaire dès le 13 février à tous les préfets leur demandant de me faire un bilan de la situation sur l’entretien des parties communes des logements sociaux. Je recevrai ces analyses complètes le 7 mars. Mais il y a déjà des premiers enseignements à Marseille.

C’est clairement la propreté qui ressort. Les ordures ménagères, les photos qu’on a vues, c’est pas possible. Il y a aussi des problèmes de trafic, de dégradations, de tags, de dépôts de ferraille.

Les causes sont multiples : la vétusté du bâti, les incivilités, le trafic. Et aussi parfois les bailleurs qui ne font pas le travail.

Justement, vous avez rencontré les bailleurs et menacez de supprimer l’abattement de 30 % sur la taxe foncière des propriétés bâties (TFPB) dont il bénéficient. Un coup de pression ?

Leurs conditions ne sont pas faciles, il ont envie de bien faire, dans une logique partenariale, avancer ensemble, on est une équipe. On lance une méthode pour améliorer les conditions de vie dans les quartiers.

On s’est mis d’accord pour que dans des délais brefs, chacun respecte ses obligations, l’État, les élus locaux, et les bailleurs. Pour ces derniers, c’est l’entretien, la propreté, des parkings bien tenus, des boites aux lettres qui ferment, des ascenseurs qui fonctionnent…

S’il n’y a pas de résultats, il y aura des sanctions

L’exonération de 30% de la TFPB dont ils bénéficient sert à financer le « sur-entretien » des immeubles. Par rapport au budget de 609 millions d’euros pour la politique de la ville, cet abattement représente 315 millions d’euros. Il faut que cet argent public soit bien utilisé, et le bâti bien entretenu. Sinon, l’État et les mairies feront ce travail et ne rembourseront pas l’abattement.

S’il n’y a pas de résultats, il y aura des sanctions [à partir de janvier 2026, ndlr]. Ils ont près d’un an pour redresser le tir, et je reviendrai toutes les 5 semaines.

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Les bailleurs sociaux et les élus locaux lors de la réunion qui s’est tenue jeudi 27 février en préfecture avec la ministre de la ville

Sur le sujet des problèmes récurrents d’ascenseurs, où en est le projet de loi présenté par le député PS marseillais, Laurent Lhardit, et que prévoit-il ?

Le gouvernement a soutenu cette proposition de loi (portée par Philippe Brun, PS). Elle prévoit notamment des sanctions financières pour les ascensoristes quand il ne sont pas assez réactifs pour réparer, une fois que la panne est déclarée.

Les bailleurs doivent être plus rapides dans la constatation de la panne, avec un délais de 48h, et les ascensoristes dans la réparation.

Le texte a été adopté par l’Assemblée nationale et attend maintenant d’être voté par le Sénat. Nous sommes en démocratie, il y a une séparation des pouvoirs. On essaie de faire en sorte que le Sénat étudie le texte.

Dans les quartiers de la politique de la ville, la santé mentale aussi est en train de devenir une question de premier plan ?

La santé mentale des enfants et des jeunes est un sujet très sérieux qui demande la mobilisation de tous. La souffrance psychique n’est pas due au hasard, mais à l’environnement. Il faut donc aider à bien grandir dans un environnement digne, une école à la hauteur, des cités éducatives, que je développe à Marseille.

La souffrance psychique n’est pas due au hasard, mais à l’environnement.

Mais aussi des solutions d’accueil de santé psychique, j’en parlerai plus lors de ma prochaine visite. Je travaille dessus avec L’Agence régionale de santé (ARS) pour améliorer cet accueil. Comme au centre de santé des Flamants (14e) avec une expérimentation très efficace sur la santé psychique des enfants et jeunes à Marseille. On va travailler avec des spécialistes, des pédopsychiatres, des généralistes…

Vous rendez également visite au tissu associatif très dynamique dans les quartiers de Marseille. Il comble les carences des pouvoirs publics ?

Je mets un point d’honneur à ce que les responsables politiques travaillent avec les assos car elles ont les solutions. Elles répondent à des objectifs différents des pouvoirs publics et doivent être associées à la décision politique.

Quand je vais voir une association, je sais que ces gens savent de quoi ils parlent parce qu’ils sont sur le terrain et qu’ils font. C’est ce qu’on appelle l’innovation sociale. Pour moi elles sont le pilier de notre société. Quand elles s’inscrivent dans les valeurs de la République, l’égalité, la liberté,  je les soutiens, les encourage, les aide et les finance.

Les femmes sont les piliers des quartiers […] Il faut leur donner plus de pouvoir

Comme l’association de femmes, Schebba, à la Busserine (14e). Les femmes sont les piliers des quartiers. Elles transmettent, éduquent, et il faut les aider à remplir cette mission. 95% des familles monoparentales concernent des femmes.

Il faut leur donner plus de pouvoir, et ça passe par plus d’autonomie économique. Donc l’emploi. Et pour le garder, il faut que toute femme de quartier puisse faire garder son enfant dans des crèches. C’est le b.a.-ba.

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Marseille compte de multiples opérations de rénovation urbaine, avec l’ANRU, qui vous concernent directement. L’état des finances du pays impacte-t-il ces projets ?

On a sauvé les financements de l’ANRU dans la loi de finances 2025 avec la ministre du logement (Valérie Létard), à hauteur de 50 millions d’euros pour toute la France.

Ça peut sembler faible comme budget au niveau national, et même pour les opérations marseillaises.

Nous poursuivrons les projets évidemment, dans contexte financier pas tout rose. On a presque équilibré le financement ANRU par rapport à 2024. On va faire avec. Je ne peux rien dire de mieux. C’est 110 % du PIB, la dette. Tout le monde fait des efforts.

Je n’ai pas de craintes sur la poursuite des projets. Mais du point de vue de la politique de la ville et du logement, on fait des efforts comme tous les ministères.

Avec ces changements de gouvernement, on n’entend plus parler du plan Marseille en Grand, qui a perdu la ministre dédiée, puis le préfet qui avait repris les rênes. Où en est-il et quel rôle jouez-vous ?

Marseille en grand concerne la politique de la ville en grande partie. C’est en totale cohérence avec mes missions. François Rebsamen (ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation) reprend la main car il pilote tous les ministères concernés (ville, transports, logement).

Il va très prochainement réinstaller le comité de pilotage du plan, comme l’avait fait le préfet, avec Philippe Tabarot (transports), Valérie Létard (logement) et moi-même. Avec une dynamique nouvelle et un nouveau gouvernement.

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