Golfs, espaces de loisirs, domaines agricoles… En Provence-Alpes-Côte d’Azur, un projet vise à réutiliser 10% des eaux usées traitées d’ici 2030, faisant de cette ressource sous-exploitée un atout durable.

En France, seulement 1% des eaux usées traitées sont réutilisées quand, en Espagne, cette part monte à 25%. À la suite d’un épisode de sécheresse historique en 2022, la Région Sud s’est positionnée comme le territoire pilote d’une expérimentation qui vise 10% de réutilisation des eaux usées d’ici 2030 en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

En mars 2023, la Région a commandé une étude au centre de recherches pluridisciplinaires Eccorev (Ecosystèmes continentaux et risques environnementaux) rattaché à Aix-Marseille Université et à la Société du canal de Provence (SCP), qui apporte son expertise sur les métiers de l’eau, allant du traitement à la distribution.

Si cette étude, chiffrée à 280 000 euros, doit s’achever en juin 2025, le groupe de six experts a déjà cartographié certaines possibilités sur le territoire : « Nous avons établi une méthode bien précise à la fois technologique, environnementale et économique », présente Nicolas Roche, directeur du centre Eccorev.

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Bénédicte Martin (Région Sud) et Benoît Moreau (Société du canal de Provence)

Définition de trois usages

L’équipe a d’abord rédigé l’inventaire de la législation en vigueur et son évolution dans les usages. « Depuis deux ans, la réglementation a bien évolué en faveur de la réutilisation », souligne Bénédicte Martin, vice-présidente de la Région, en charge de l’agriculture, de la viticulture, de la ruralité et du terroir.

Après l’annonce du « Plan Eau » par le président de la République, le 30 mars 2023 au lac de Serre-Ponçon, un décret a en effet été publié en août pour massifier la valorisation des eaux dites « non-conventionnelles » : eaux brutes (des cours d’eau, nappes phréatiques, eaux de pluie) et eaux usées et traitées.

Cette eau non potable sort des stations d’épuration, avant d’être soumise à un retraitement (filtres, produits pour encercler les polluants…) afin de servir à d’autres usages.

À partir de ce nouveau cadre réglementaire, les chercheurs ont défini trois usages pour la région : l’agriculture, les activités de loisirs telles que le golf – très gourmand en eau – et les activités urbaines comme le nettoyage de la voirie et l’arrosage des parcs et jardins.

Un potentiel de 10% de réutilisation des eaux usées

Le laboratoire a ensuite recensé les 700 stations d’épuration pour déterminer les volumes d’eaux traités, susceptibles d’être réutilisés au regard des besoins en proximité. À savoir que, pour réutiliser l’eau usée sur un terrain agricole ou un golf, il faut un débit suffisant et qu’une  station d’épuration soit assez proche pour acheminer l’eau.

Cette cartographie a permis d’identifier un objectif de 10% de réutilisation des eaux usées d’ici 2030 en Provence-Alpes-Côte d’Azur. « Il va donc falloir passer à l’échelle maintenant puisque nous avons actuellement très peu de projets qui fonctionnent », insiste Bénédicte Martin.

Le plus gros potentiel se situe sur les stations du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône. Les 10 plus grosses stations situées en bord de mer, là où la densité de la population est la plus forte, sont également à privilégier car aujourd’hui 99% de leurs eaux usées traitées sont directement rejetées à la mer.

Plus de 50% des golfs éligibles aux eaux usées traitées

En parallèle, le groupe d’étude a identifié des terrains agricoles proches de ces stations (environ 3-4 km) en confrontant leurs besoins et leurs types de cultures en partenariat avec la Chambre régionale de l’agriculture. « Un champs de maïs ou d’olivier n’aura pas les mêmes réglementations, ni les mêmes besoins en eau », précise Benoît Moreau, directeur commercial de la Société du canal de Provence.

Concernant les loisirs, la piste de la réutilisation pour fabriquer de la neige artificielle dans les Alpes a été écartée au regard du « maigre potentiel » des six stations d’épuration environnantes.

Cet état des lieux a toutefois montré que 39 terrains de golf sur 65 présentent un fort potentiel pour être arrosés avec des eaux usées traitées. À savoir que seul le golf de Sainte-Maxime utilise ce moyen d’arrosage, et ce, depuis 15 ans.

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Hippodrome de Borély à Marseille.

Une décision qui revient aux collectivités

À présent, le laboratoire et la SCP planchent sur le nettoyage des voiries, espaces verts, stades et hippodromes. Ce travail donnera lieu à la création de trois « living lab » : des groupes de travail multi-acteurs (élus, entreprises, associations, habitants) pour identifier les préoccupations, freins et solutions.

L’étude doit ainsi servir de socle pour les communes. Par exemple, la Métropole Aix-Marseille-Provence pourrait choisir d’enclencher une étude pour nettoyer la voirie ou arroser les parcs et jardins avec des eaux usées traitées provenant de la grande station d’épuration de Marseille (150L/jour par personne pour un million d’habitants).

Comme l’a fait la Métropole Nice-Côte d’Azur avec Suez en investissant dans un projet à 700 millions d’euros pour l’extension de la station d’épuration Haliotis 2. Ce nouvel équipement permettra d’éliminer les micro-plastiques dans les eaux usées et de les transformer en énergie. Au total, cinq millions de m3 d’eau par an devraient y être recyclés, soit la totalité des besoins en arrosage des espaces verts et de nettoyage des voiries de la Ville de Nice.

Des freins sociétaux, économiques et politiques

En revanche, pour chaque projet « il peut y avoir des freins », prévient Nicolas Roche. Ces obstacles peuvent d’abord venir des citoyens. Comme ce procédé est peu utilisé en France, les habitants expriment parfois une réticence aux différents retraitements de l’eau ou aux odeurs. Pourtant, Benoît Moreau assure que « ce sont surtout des filtres ou des membranes qui sont utilisées pour retirer le sable, stopper les virus ou les micro-plastiques ».

Ces freins peuvent aussi être économiques. « Qui paie le retraitement de l’eau ? À quel prix revendre le litre ? », demande Nicolas Roche. « Il faut trouver un modèle économique viable », concède à son tour Benoît Moreau.

L’enjeu est également politique, pour le chercheur, puisque la rénovation et la création de stations d’épuration doivent « s’inscrire dans une politique d’aménagement plus globale pour augmenter la réutilisation des eaux usées. Il faut réfléchir à une approche décentralisée des stations d’épuration pour les rapprocher des usages ».

Quand l’étude sortira définitivement en juin 2025, la Région Sud publiera des appels à projets pour tenter de multiplier par 10 le taux de réutilisation des eaux usées en cinq ans. La collectivité a anticipé en créant sa marque « REUT au Sud » dont le site internet devrait voir le jour d’ici quelques semaines.

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