Perchée sur le toit d’un réservoir d’eau potable, cachée au cœur du quartier Vauban, une véritable prairie a poussé à l’abri des regards. Elle offre un petit havre de biodiversité en plein centre-ville. Visite guidée.
Ça bourdonne, ça bruisse, ça rampe, ça vole… Au sol, des escargots font leurs traces au milieu des sauterelles, coccinelles, scarabées et autres coléoptères. En levant le regard à hauteur de fleurs, c’est un balai des bourdonnements. Abeilles, frelons, guêpes, libellules, bourdons… Et de nombreux papillons ajoutent des couleurs au panaché floral. Bref, la vie d’une prairie en mai.
À la nuance près que celle-ci se trouve en plein centre de Marseille, dans le quartier Vauban. Malgré ses plus de 5 000 m2, peu de Marseillais la connaissent. Et pour cause, elle est perchée en hauteur, sur le grand réservoir d’eau de Lacédémone. Vu de la rue, c’est un grand cube de béton de presque cent mètres de long.
Il faut monter au jardin public Lacédémone, dont l’accès est lui-même très discret, pour surplomber le bâtiment et découvrir qu’il est couvert d’une riche végétation. Une véritable prairie urbaine qui domine la ville, avec vue sur le Vélodrome. « À ma connaissance, c’est un cas unique à Marseille », explique la paysagiste Fanny Vesco, de Par Ailleurs Paysages qui a activement participé à sa conception.
De la garrigue à la plaine sèche de la Crau
Depuis quelques années, la société Eaux de Marseille Métropole (Semm) s’est engagée dans une stratégie en faveur de la biodiversité sur son foncier, vaste, et donc impactant. En effet, pour alimenter en eau potable le territoire, la société possède près de 130 sites d’exploitations : berges du canal de Marseille, bassins d’eau brute, centres de production d’eau potable… Ou encore les grands réservoirs, tel que celui de Lacédémone.
En 2019, la Semm décide donc de redonner vie au couvert végétal du bâtiment, pauvre et à l’abandon. « Avec deux objectifs : d’abord esthétique, pour les habitants des résidences alentour. Et proposer un habitat accueillant pour la biodiversité », détaille Fanny Vesco.
Entouré d’experts en environnement et botanique*, Par Ailleurs Paysages a conçu et mis en œuvre à partir de 2020 une composition de « différentes communautés végétales », rappelle la paysagiste. « Ici, on a une prairie de type garrigue basse, une prairie sèche inspirée de la Crau mais aussi une prairie renouvelée de type ‘anciennes restanques‘. Ou encore une zone, s’inspirant d’un fond de vallon ».
Au milieu, poussent des compositions purement paysagères avec des lignes fleuries et colorées. « Des euphorbes, des grands sedums, des tulbaghia, des iris germanica… ». Il s’agit au final de « créer une diversité de situations ». Elle passe notamment par un fauchage et un arrosage différent selon les zones. « Nous avons créé une impulsion pour la biodiversité » qui s’est aussi développée naturellement sur les deux tiers de la toiture, laissés volontairement sans gestion.
La biodiversité multipliée par trois
Pari réussi, semble-t-il, quatre ans plus tard, et avec près de 100 000 euros investis. La flore, dans toute sa diversité, a recouvert le toit du réservoir. Et avec elle, la faune a pris ses aises. En témoigne le suivi écologique du site, débuté en 2019 avant la végétalisation. « La richesse des espèces a été multipliée par trois les premières années, observe Fanny Vesco. On en comptait 33 en 2019, 82 en 2021 et 92 en 2022 ».
Les papillons sont particulièrement suivis car il représentent un indicateur de biodiversité intéressant pour évaluer la bonne interaction entre la végétation et la faune. « Leur abondance a été multipliée par six, se réjouit la paysagiste. Avant, le toit était juste un lieu de passage. Maintenant, ils y vivent et butinent ».
Les oiseaux y trouvent également leur compte, avec un garde-manger rempli d’insectes. Seuls les humains sont proscrits du site, pour préserver son développement, et pour des raisons de sécurité. Toutefois, quelques rares visites encadrées ont déjà permis au public de découvrir ce petit havre de biodiversité. Et d’autres sont en réflexion.
La toiture du réservoir Lacédémone, une histoire d’expérimentations
De quoi donner des idées à Colombe Pigearias, fondatrice du collectif À nous les toits. Elle organise chaque année les Rooftops Days pour encourager les acteurs publics et privés à exploiter le potentiel inutilisé des toits, évalué à 900 hectares à Marseille.
« C’est un exemple très pertinent pour les toitures qui ne peuvent pas accueillir du public. D’un point de vue écologique comme paysager ». Elle a en tête quelques bâtiments emblématiques du centre-ville Marseille où pourrait se dupliquer l’expérimentation.
D’ailleurs, ce n’est pas la première fois dans son histoire que le potentiel du toit du réservoir de Lacédémone est mis en valeur. Construit en 1958, moins de dix ans plus tard, les premiers grands chercheurs sur l’énergie solaire, séduits par son exposition, ont trouvé ici un excellent terrain d’expérimentation.
Vers 1965, le pionnier dans le domaine, l’italien Giovanni Francia, a notamment installé son prototype de chaudière solaire de 50 kW. De l’énergie solaire à la biodiversité, une sacrée vie pour un site si méconnu.