Marseille, ville à la fibre authentique et rebelle, fourmille d’une jeune génération de créateurs déterminés à en découdre avec les codes de la fast fashion : les idées fusent pour faire du neuf avec du vieux, de manière à privilégier la durabilité, l’éthique et la qualité, au profit d’un style littéralement intemporel.

L’Atelier Regain relooke la fripe

Lancé en 2021, l’Atelier Regain mêle création, insertion professionnelle et recyclage textile. À l’origine de cette marque de couture upcyclée : l’association Frip’Insertion, membre du mouvement Emmaüs et chantier de revalorisation de vêtements issus de dons.

Ceux-ci sont attentivement triés et sélectionnés par la styliste Monia Sbouaï, qui crée des collections pratiques, modernes et minimalistes, tout en privilégiant “les motifs sobres et épurés, les tissus unis, à rayures ou à carreaux, détaille la cheffe de projet. On crée ensuite des patrons pour pouvoir décliner les formes plusieurs fois dans des matières différentes.”

Quatre couturières en parcours d’insertion réalisent ensuite chaque pièce de A à Z, de la coupe à la couture, dans leur atelier du centre-ville de Marseille. Leur boutique en ligne affiche une centaine de pièces originales, produites à petite échelle pour femmes, hommes et enfants, ainsi que des sacs, des chapeaux et du linge de maison. Pour essayer leurs créations, un corner Atelier Regain a vu le jour au sein du centre commercial Centre Bourse (1er). Depuis son lancement, la marque a fabriqué plus de 1000 vêtements à partir de textiles upcyclés.

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© Atelier Regain / Juline Maleysson

Marj, l’upcycling version streetwear

Passionnée de mode depuis ses huit ans, Charlotte Labigne a toujours su qu’elle aurait un jour sa propre marque de vêtements. Quelques années à travailler dans l’industrie du prêt-à-porter, ainsi qu’un voyage en Indonésie au cours duquel elle découvre l’impact dévastateur de l’industrie textile sur l’environnement, l’ont conduite à créer Marj : un label éco-responsable aux inspirations résolument streetwear et Y2K, qui s’adresse principalement aux jeunes. “L’idée était de proposer une alternative aux marques d’upcycling existantes, qui sont souvent très féminines et classiques”, expose la fondatrice.

Elle imagine ses collections en partant de matières “sauvées” auprès de plateformes de revente de stocks dormants. Son credo : “proposer des vêtements non-genrés, confortables et qui s’adaptent à un maximum de morphologies”. Dans un souci de durabilité, de nombreuses pièces sont réglables afin de pouvoir être portées le plus longtemps possible. Les vêtements Marj sont produits en petites quantités, jusqu’à atteindre la fin des rouleaux de tissu qui les composent. Ses collections sont donc indépendantes des saisons.

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© Marj / Leika Production

SaintLoup, de seconde main à pièce unique

En parallèle de leur atelier de confection et de retouches, Kevin Mariani et Jérémy Caiazzo se sont attelés à la création de pièces exclusives réalisées à partir de vêtements de seconde main. Ainsi est née la marque SaintLoup. Leur matière première ? “Du tissu qui a déjà vécu” : des fripes chinées “à Emmaüs ou sur Vinted, des dons de vêtements ou des fins de rouleaux de tissus de maisons de luxe”, explique Jérémy, qui gère la partie commerciale, tandis que Kevin se charge de la conception.

Bien qu’ils ne soient pas des adeptes de friperie pour leur consommation personnelle, les deux créateurs sont conscients de la surproduction dans l’industrie de la mode. “Ayant travaillé dans le retail pendant dix ans, je l’ai vu de mes yeux, c’est trop, reconnaît Jérémy. Même si nous ne sommes pas anti-consommation, l’idée est de proposer une alternative. On est dans une logique d’économie circulaire, oui, mais notre produit est neuf et qualitatif. On revalorise un textile, mais plus encore, on le transforme.”

La toute première collection capsule SaintLoup de 12 pièces uniques “full denim”, toutes des vestes pour femmes, est sortie en février dernier. Une deuxième capsule, qui devrait voir apparaître des pièces mixtes, doit être a été dévoilée au printemps.

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© SaintLoup / Rromain Trouillebout

Georgjia Aura, inspirée par la nature

Authentique, hybride et mystique. C’est avec ces trois mots que Jade Tekhil décrit sa toute jeune marque de vêtements Georgjia Aura. Ils résument aussi l’approche poétique à la mode de la créatrice, qui “imagine souvent des histoires derrière [s]es collections”.

À l’image de sa première capsule Dandelion, inspirée par le pissenlit, cette fleur mal-aimée mais symbole de résilience, elle “essaye toujours d’apporter une symbolique, par les motifs ou les accessoires, tout en restant facilement portable”. Des pièces à l’esthétique sportswear et féminine, pour lesquelles elle façonne elle-même les patrons et les prototypes, avant de les faire concevoir, sur commande, dans un atelier marseillais.

Jade se procure des fins de stocks de marques françaises, ou récupère des dons de tissus auprès de son entourage. Elle élabore aussi des “accessoires rituels, inspirés des gris-gris” uniques à partir de bijoux de seconde main ou de bibelots dénichés dans les brocantes. “J’aime réutiliser des objets du passé, ça permet à la personne qui s’approprie la pièce de créer sa propre histoire”, poursuit la styliste. Son prochain lancement, prévu à la fin du mois de mai, sera influencé par la danse et les couleurs vives du mouvement disco.

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© Georgjia Aura / Valentin Klinger

Marseille, capitale de la mode écoresponsable

En matière de mode responsable, impossible de ne pas évoquer les pionniers de l’upcycling à Marseille : 13’Atipik. Créé en 2012 par Sahouda Maallem, cet atelier de confection et d’insertion professionnelle emploie 50 personnes. Spécialisé à ses débuts dans la fabrication de vêtements adaptés aux personnes à mobilité réduite, 13’Atipik travaille aujouurd’hui en pré-commande pour de grandes marques françaises : Jott, Kaporal, Sessùn…

En 2022, Sahouda Maallem signe la toute première collection de sa propre marque, Capuche, conçue avec les fins de rouleaux ou le stock de l’atelier. Depuis, d’autres ont pris la relève.

Dans une ancienne vie de styliste pour plusieurs grandes marques de prêt-à-porter, Marion Lopez a pu observer l’envers du décor de la fast fashion en Asie. Il y a trois ans, elle a fondé Studio Lausié, la première école de mode alternative de la région, qui a pour fil rouge le réemploi de textiles dans le processus de création. “Pour changer les choses dans la mode, il est nécessaire que les jeunes professionnels soient formés à ça”, considère la trentenaire.

Elle dispense une formation inclusive, sans condition de diplôme ni expérience, qui a déjà permis à plus de 100 apprenants d’obtenir leur certificat de styliste et développeur produit. Pourquoi à Marseille ? “Pour moi, c’est la capitale de la mode écoresponsable, affirme la Toulonnaise d’origine. C’est une mode solaire, spontanée, très honnête et engagée.”

Du même avis, Sahouda Maallem espère, à l’avenir, parvenir à industrialiser la revalorisation des déchets dans la mode. “Mais rien ne pourra se faire sans entraide et coopération avec des partenaires, estime-t-elle. La filière textile est riche d’opportunités, on peut y arriver.” 

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