Les propriétaires du cinéma Artplexe viennent de racheter Les Variétés. Cette acquisition doit leur permettre d’étoffer leur catalogue « art et essai » sans changer l’identité de ce patrimoine historique marseillais.
Il y a quelques jours, Philippe Dejust et Alexis Dantec associés sur le cinéma Artplexe en haut de la Canebière ont signé le rachat des Variétés, classé « art et essai » situé un peu plus bas.
Depuis 1856, ce patrimoine emblématique de Marseille a eu plusieurs vies. Après avoir été un théâtre, puis un music-hall, il s’est ensuite imposé comme l’un des premiers cinémas « art et essai » de France. Les lieux qui s’étirent sur 1700 m2 avec sept salles ont fait l’objet d’une grande rénovation engagée en 2019 par l’ancien propriétaire, Jean Mizrahi.
Il était aussi le gérant de l’historique cinéma « art et essai » de la place Castellane, Le César, ouvert par Marcel Pagnol en 1938. Repris en 2017, Jean Mizrahi a été contraint de s’en séparer récemment, l’établissement n’ayant pas résisté à un « loyer insoutenable », et finalement préempté par la Ville pour préserver sa vocation cinématographique.
Nous ne connaîtrons pas les dessous de la vente du cinéma les Variétés, ni le montant de la transaction, mais avec cette acquisition, Philippe Dejust et Alexis Dantec concrétisent un projet né à l’époque de la création du cinéma Artplexe. « Nous avions déjà envisagé de racheter Les Variétés pour avoir une première implantation à Marseille » confie le directeur général d’Artplexe, Philippe Dejust.
Il a fondé le premier multiplexe en France à Blois, dans les années 2000, « le premier dans une ville moyenne », puis de 25 autres partout en France, avant de les revendre au groupe CGR en 2017, ne gardant que le cinéma marseillais alors en construction.
14 écrans en centre-ville
Pour l’homme d’affaire, le cinéma historique de la Canebière a su fidéliser sa clientèle. « Les Variétés se sont développées et ont réussi à retrouver le public qu’il y avait il y a d’une dizaine d’années ».
Grâce à sa rénovation, sa fine sélection d’une vingtaine de films par semaine et sa politique tarifaire accessible (9,80 euros), Les Variétés ont enregistré en 2023 près de 220 000 entrées, quand son voisin Artplexe a atteint les 150 000, avec 70% de films commerciaux et 30% de films « art et essai » dits « grand public » [qui font plus de 500 000 entrées].
« En fin de compte, on se faisait une concurrence qui n’était pas justifiée, estime Phlippe Dejust. On pensait faire entre 250 000 et 300 000 entrées post-Covid, on va faire la première année d’exploitation normale à 150 000. L’année prochaine, 200 000. Il nous manque 50 000 entrées à aller chercher ».
Et c’est sur Les Variétés que le duo d’entrepreneur compte pour s’ancrer comme « LE » cinéma du centre-ville marseillais, avec 14 écrans au total et des salles allant de 30 à 260 places, et désormais la possibilité d’étoffer le catalogue des films d’art et d’essai.
« Concrètement, avec nos 1000 places à l’Artplexe, on a environ 20 films par semaine. Les Variétés, avec 600 places, 20 films par semaine, soit à deux, la quasi-totalité de l’offre de sorties, mais elle est mal-répartie, reprend Phlippe Dejust. Des films auraient fait plus d’entrées à l’Artplexe. Inversement, il y a des films qui pourraient rester plus longtemps aux Variétés, mais qui ne le peuvent pas en raison de l’actualité des sorties ».
Illustration avec Anatomie d’une chute, de Justine Triet, qui a reçu une pluie de récompenses (Palme d’or et deux Golden Globe) et un record au box-office. « On ne l’a pas eu à sa sortie, regrette le gérant d’Artplexe. Le film a fait 11000 entrées aux Variétés et 2500 à Artplexe qui l’a eu près deux mois et demi après et il continue à faire des entrées. Si un film sort en premier aux Variétés, il pourra rester en moyenne 7 semaines, et après pourra basculer sur Artplexe. Dans certains cas de figure, nous pourrons avoir les mêmes films dans les deux ».
« Les Variétés resteront Les Variétés »
Les patrons qui ont rencontré les équipes du cinéma Les Variétés se veulent rassurants sur le fonctionnement. « Pas de plan social », assure Alexis Dantec, président de la SAS Artplexe.
Les 25 salariés travailleront sous la houlette de l’actuel directeur de l’Artplexe, Bernard Cohen. « Le but, c’est de trouver un équilibre entre les deux entités pour que ça fonctionne comme un ensemble, tout en gardant chacun son identité ».
A ce titre, « il n’est pas question de débaptiser Les Variétés. C’est un patrimoine auquel les Marseillais sont très attachés, ni d’ajouter Arplexe. Les Variétés resteront Les Variétés », insiste celui qui est aussi directeur général des Films du Losange,
Il mise ainsi sur le fonds de 450 films de cette prestigieuse maison de production et de distribution, créée en 1962 par Barbet Schroeder pour produire les films d’Éric Rohmer, « pour ramener du patrimoine à Marseille. Il y a des choses intéressantes à faire ».
Avec ses casquettes de producteur, distributeur et exploitant, il s’est aussi donné pour mission d’aller « porter la bonne parole » à Paris « pour que les distributeurs comprennent l’intérêt qu’ils ont avec les deux établissements et pour l’accueil des équipes, avec notamment les restaurants… et déconstruire les idées reçues sur Marseille. Il n’y a pas que Pathé et quelques petites salles ».
Une carte commune et 450 000 entrées en 2024
Avec cette nouvelle offre et la poursuite de leur politique événementielle à Artplexe (festivals, concerts, expositions…), les associés veulent reconquérir le public marseillais qui boudent un peu plus qu’ailleurs les salles obscures. Toutes salles confondues, Marseille a enregistré, l’année dernière, 2 millions d’entrées, quand le seul cinéma UGC Paris – Les Halles plafonne à 3 millions. « Ici, on va 2,5 fois au cinéma par an, quand à Paris c’est 9 fois » assure Philippe Dejust.
Et Alexis Dantec d’ajouter : « On est à l’intersection de quatre quartiers très différents et il faut qu’on trouve la meilleure manière de répondre à tous les publics. Il y a une clientèle locale qu’on doit mieux pouvoir servir ».
Une carte commune de dix places donnant accès aux deux cinémas (soit un choix de 40 films par semaine) devrait être lancée dans les prochains mois. Pas d’harmonisation des tarifs en revanche, « mais on reste moins cher que d’autres cinémas ». (11,50 € tarif plein contre 12,60 à 15,60€ dans d’autres multiplexes)
Pour renforcer leur ancrage marseillais, les entrepreneurs pourraient se positionner sur l’appel à projets de la Ville de Marseille, pour l’exploitation du cinéma Le César.
À ce stade, le pari cinématographique marseillais leur semble justifié. « Marseille est une ville qui a beaucoup d’atouts et un fort potentiel. Vous verrez, dans dix ans, Artplexe sera le cinéma qui fera le plus d’entrées », se projette Philippe Dejust. En attendant, il espère atteindre 450 000 entrées en 2024 et 500 000 l’année suivante, avec non plus un mais deux cinémas.