La cité scolaire internationale « Jacques Chirac » prend forme au cœur d’Euroméditerranée. Point d’étape sur le chantier d’un établissement conçu comme un lieu de vie, à la fois préservé du tumulte de la ville et ouvert sur elle.
« C’est un peu tôt pour visiter. C’est comme si vous alliez au restaurant et que la cuisine n’était pas construite ». Fidèle à lui-même, le verbe haut, l’architecte Rudy Ricciotti aurait préféré la lumière plus avantageuse d’une autre période de l’année pour faire une escale groupée sur le chantier de la cité scolaire internationale. Mais qu’importe, il en parle avec poésie et la franchise qui le caractérise.
Au cœur d’Euroméditerranée, à deux pas du Dock des Suds, cet établissement d’envergure prend forme. « Le gros œuvre se termine parce qu’on démonte la dernière grue demain [ce vendredi 8 décembre] », nous confie Arnaud Manzoni, directeur de projet de Bouygues Bâtiment Sud-Est (BBSE), confiant sur les délais de livraison.
Les travaux, lancés en octobre 2021, avancent à bon rythme pour tenir la date d’ouverture. Quelque 2 200 premiers élèves doivent faire leur rentrée en septembre prochain, pour suivre des cours en cinq langues au sein d’une véritable « ville dans la ville » dessinée par Rudy Ricciotti et Roland Carta (l’agence Carta-Reichen et Robert associés).
Les deux architectes étaient présents pour un point d’étape aux côtés de Renaud Muselier, président de la Région Sud, maître d’ouvrage, qui souhaitait « constater les avancées avant l’été ». Une visite à laquelle ont également participé Daniel Lopes, président de Bouygues Bâtiment Sud-Est, Bernard Beignier, recteur de l’académie d’Aix-Marseille, la proviseure de l’établissement Isabelle Negrel et leurs équipes respectives.
Un défi technique pour la construction du gymnase
Ce petit village se déploie sur 26 000 m2 sur lesquels s’élèvent deux bâtiments de 8 étages formant un immense parallélépipède : l’un accueillera l’école élémentaire, l’internat, 14 logements de fonction, un espace de restauration et une salle de spectacle de 200 places. L’autre les lycéens, collégiens avec un gymnase et un CDI.
209 élèves et 6 surveillants pourront dormir à l’internat à raison de deux par chambre sur des modules de 4, c’est-à-dire qu’ils disposeront d’une entrée et de douches communes.
Conçue comme un lieu de vie et d’échanges, la cour située au deuxième étage s’ouvre sur différents horizons : le sud, des perspectives transversales est-ouest, une vue sur la tour CMA CGM ou la Méditerranée.
Au même étage, seront situés la vie scolaire, les bureaux des surveillants, l’infirmerie, le foyer des collégiens et lycéens. Les salles de cours seront réparties sur les 6 autres étages.
Le gymnase de 2 200 m2, lui, a été construit au rez-de-chaussée pour différentes raisons. L’équipement homologué pourra à la fois accueillir de grandes compétitions sportives, mais sera également ouvert sur le quartier pour permettre aux habitants d’y avoir accès le week-end.
Pour relever ce défi architectural, sa construction a nécessité d’user des techniques utilisées pour la conception de ponts. « Le plafond très long et très large prend tout le poids du bâtiment qui est très haut, du coup les poutres ont dû être renforcées pour ne pas s’écrouler », explique Michael Conte, ingénieur travaux (BBSE). Des poutres coulées sur place qui pèsent jusqu’à 160 tonnes pour 65 m3 de béton.
Un ouvrage sans climatisation
L’ouvrage se caractérise également par l’utilisation de matériaux bio-sourcés. « La laine de bois pour l’isolation, des planchers de bois, des fenêtres en aluminium recyclé, de la fibre de lin…», énumère le directeur de projet, soulignant que l’établissement dispose du label HQE qui atteste de sa performance environnementale.
« Les travaux de façades ont aussi bien démarré puisque nous sommes en pleine pose de la résille en fibre de lin pour les façades intérieures et un bardage vertical en Bfup (bétons fibrés à ultra haute performance) pour l’enveloppe extérieure du bâtiment ». Un habillage en dentelle devenu signature de Rudy Ricciotti sur nombre de ses créations, dont le Mucem, qu’il avait également signé en duo avec Roland Carta.
Côté sobriété énergétique, l’un des axes forts du projet, « c’est le confort d’été sans climatisation, ajoute Arnaud Manzoni. Toutes les salles sont calibrées pour avoir au maximum 50 heures au-dessus de 28 degrés dans l’année. Tout ça est assuré par un équilibre entre les brise-soleil, la teinte des verres, des brasseurs d’airs… Dans la période actuelle, faire un projet sans climatisation, c’est un bel enjeu ».
Toute la toiture sera équipée en panneaux photovoltaïques assurant plus de 85% des besoins en énergie. L’ensemble sera relié à la boucle d’eau de mer Thassalia pour le chauffage.
La nature au cœur de la composition
« C’est un bâtiment à la pointe des savoir-faire français », souligne Roland Carta, nous confiant « qu’il y a des choses » qui lui étaient plus personnelles à lui comme à Rudy Ricciotti : « avoir la nature au cœur de la composition ».
Le projet fait ainsi la part belle à la végétalisation. Les deux cœurs d’îlots accessibles aux élèves vont être aménagés (arbres, restanques… ). Sur toutes les terrasses seront installées d’imposantes jardinières avec des plantes qui habilleront telle une robe de verdure la façade pour créer un ensemble paysager.
Un cocon ouvert sur la ville
D’un point de vue architectural, un jeu d’ombre et de lumière participe à la signature de ce bâtiment dont le « dispositif d’organisation spatiale permet de capter pas mal de lumière solaire », souligne Rudy Ricciotti.
« C’est un projet pédagogique majeur, dans un système très intégré. On peut même utiliser ce terme à la mode, d’inclusif, ajoute l’architecte, qui pointe aussi toute la difficulté de travailler en milieu urbain. Il y a énormément de mesures de protection acoustiques et anti-nuisances sur le chantier et il faut aussi que nos enfants soient à l’abri des nuisances extérieures. Raison pour laquelle, le bâtiment est très introverti alors qu’il est organisé de façon assez minérale vers la ville ».
L’enjeu d’un tel projet était de mettre le bâtiment au service de l’apprentissage. « C’est une succession d’espaces entre des pleins, des vides, le dedans, le dehors. L’essence même de cette cité scolaire c’était de créer une enceinte protectrice, c’est pourquoi toute la treille en fibre de lin et le Bfup sont déployés pour fabriquer ce cocon par rapport à la ville tout en étant en vis-à-vis et ouvert à ce qu’il se passe autour de nous » ajoute Coline Baudet, architecte de l’agence Carta.
Un projet pédagogique qui entre en résonance avec la cité scolaire
Un ouvrage qui entre parfaitement en résonance avec le projet pédagogique qui se construit autour de la mixité. « On retrouve vraiment cet esprit de la cité avec des collégiens et lycéens qui seront proches en termes d’espace, avec des lieux de partage et de rencontre. L’école dans l’autre l’îlot permettra aussi des échanges avec des points de restauration et on a beaucoup d’espaces pour créer des interactions entre le premier et le second degré », exprime la proviseure Isabelle Negrel, très enthousiaste.
Le recrutement des enseignants a débuté. « Des candidats convaincus de l’intérêt de ce projet pédagogique et les parents commencent à venir vers nous aussi », dit-elle.
Pour susciter l’attrait des plus jeunes autour de ce projet, des classes d’immersion dans les 5 langues ont été lancées dans le quartier, avec l’ambition d’infuser peu à peu dans toute la ville. À ce jour, 19 écoles primaires et 16 maternelles, sans compter les 6 écoles du plan Marseille en grand – qui ont déjà des programmes bilingues – sont concernées.
« L’ambition, c’est que les écoles puissent créer leur propre dispositif, explique le recteur d’académie Bernard Beignier. Il faut vraiment que ce soit une cité rayonnante et non pas aspirante, car cela fragiliserait les écoles qu’on veut renforcer. Ça serait un échec car la mixité est une valeur humaine. Cette cité scolaire est très différente de tout ce qu’on voit en France. L’idée, c’est aussi que les collèges et lycées alentour s’enrichissent de parcours linguistiques renforcés pour faire ensuite des collaborations entre les établissements ».
« À quelques mois de la livraison, on peut considérer que c’est abouti »
Un projet d’envergure à hauteur de 100 millions d’euros, porté par la Région Sud, maître d’ouvrage de l’opération, qui le finance à 49%, le Département des Bouches-du-Rhône, 37%, et la Ville de Marseille, 14%.
Renaud Muselier, qui souhaitait « cet outil depuis longtemps », lorsqu’il était président d’Euroméditerranée, a quitté le site satisfait de la bonne marche du chantier. Il a souligné la conception « d’un bâtiment exceptionnel de rayonnement international » qui s’inscrit parfaitement dans le cadre du plan climat de l’institution et des enjeux de la Cop d’avance.
« C’est un équipement dont Marseille avait besoin dans son développement métropolitain et régional. Une réponse très positive à l’évolution de cette ville qui accueille beaucoup d’entreprises, notamment de l’étranger, ajoute Roland Carta. On vient aussi parachever un épisode entre Euromed 1 et Euromed 2 dans des conditions à la fois de pérennité, de durabilité, d’usages et de beauté. À quelques mois de la livraison, on peut considérer que c’est abouti ».