Les Terrasses du port inaugurent un micro-méthaniseur sur leur toit pour traiter 500 tonnes de déchets organiques par an. Si l’installation de cette technologie en centre-ville est une première mondiale, elle doit encore recevoir l’agrément de l’État pour fonctionner.
Veolia et Les Terrasses du port ont le sens du timing. Alors que s’ouvre la COP28 à Dubaï ce 30 novembre, les partenaires inaugurent un micro-méthaniseur capable de traiter 500 tonnes de déchets organiques pour les transformer en énergie. « C’est une première mondiale en centre-ville », s’enthousiasme Marie Canton, directrice générale du centre.
Depuis son ouverture en 2014, Les Terrasses du port disposent d’une déchetterie gérée par Veolia pour traiter 80% de ses 1 700 tonnes de déchets par an. Installé en sous-sol, ce centre de tri est passé de 300 m2 à 1 000 m2 au fil des années. « Mais en 2020, Marie nous a dit de revoir notre copie, retrace Hervé Pernot, le responsable du développement de la gestion des déchets de Veolia en région. Et de la faire rêver pour valoriser les 20% de déchets organiques restants ». Ce qui représente 250 tonnes de biodéchets pour 25 restaurateurs.
« On considère nos déchets comme une ressource »
Les Terrasses du port ont ainsi challengé leur partenaire pour trouver une solution innovante. « On s’est retrouvés au bureau, devant un café, pour réfléchir, raconte le responsable de Veolia en esquissant un sourire, Au cours d’une veille technologique, on est tombé sur le projet Terra Metha ».
C’est le projet de micro-méthaniseur, inventé par l’entreprise bordelaise Bee&Co, qui retient leur attention. Deux ingénieurs sont derrière cette innovation : Véronique Perez et Philippe Brousse. Spécialisés en économie d’énergie, les cofondateurs ont déposé un brevet en 2015, après trois ans de recherche et développement (R&D).
« On vient du pétrole et c’est une excellente école, glisse l’entrepreneure. J’ai commencé à me pencher sur la création d’énergie à partir de déchets seulement en 2007. Ça ne fait pas si longtemps qu’on considère nos déchets comme une ressource », nous confie-t-elle en passant la porte du monte-charge.
Un modèle calqué sur le corps humain
Cet ascenseur, pouvant supporter jusqu’à 2000 kg, doit permettre d’acheminer les déchets jusqu’au toit. Les résidus organiques de cuisine seront collectés deux fois par jour auprès des restaurateurs du centre commercial dans la « biodéchets mobile ».
Un salarié sera recruté spécialement pour s’occuper de la récolte et du fonctionnement du micro-méthaniseur, scindé en 4 conteneurs maritimes.
Une fois acheminés sur le toit, les déchets sont déposés dans une grosse bouche en acier, avant de glisser sur un tapis roulant. Ils tombent ensuite dans trois grosses cuves en inox pour être chauffés jusqu’à 70 degrés et être transformés en une soupe compacte. « Il faut comprendre que la machine reproduit le mécanisme de la digestion du corps humain », illustre Véronique Perez.
Après l’estomac (cuve), la soupe est digérée par les intestins (tuyaux) pendant un mois grâce aux bactéries injectées. À l’issue de cette « digestion », la machine récupère le méthane (gaz) dans une grosse bulle, située au dessus des conteneurs. « Nous avons installé un filtre qui retient les odeurs », tient à préciser l’ingénieure.
Une économie circulaire efficace
À l’instar des gaz humains, le méthane peut libérer une forte odeur et du bruit, ce qui peut être dérangeant en cœur de ville. « En France, on est très favorable à la production d’énergies alternatives mais surtout pas à côté de chez soi (…). Ce projet, en termes de risque de contradiction, est assez élevé », observe Christophe Castaner, président du conseil de surveillance du Port de Marseille-Fos, qui loue ses parcelles au centre commercial.
Tout l’enjeu est donc là : installer un méthaniseur en ville, plutôt qu’en zone rurale à proximité des fermes, en gommant les possibles désagréments pour les habitants.
Cette machine est, de plus, capable de convertir 500 tonnes de déchets alimentaires en énergie thermique (300 MWh/an) et électrique (80Mgh/an). L’énergie électrique doit permettre d’alimenter l’éclairage du centre commercial, et pourra ensuite servir à ravitailler les bornes de vélos électriques du quartier. L’eau déminéralisée (300 m3/an) et le compost (14 tonnes/an) produits pourront être utilisés pour le projet de jardin agricole sur le toit.
Aujourd’hui, les biodéchets des Terrasses du Port sont envoyés à Ensuès-la-Redonne ou à Tarascon, ce qui représente entre 30 et 100 km de route. Le traitement de ces résidus in situ va ainsi « diminuer de 80 tonnes de CO2 de transports par an… ce qui représente un aller-retour en voiture entre la Terre à la Lune », image Hervé Pernot. Cette innovation s’inscrit dans la réglementation des Zones à faibles émissions (ZFE) en vigueur dans le centre-ville de Marseille.
Le projet en attente d’une validation par l’Etat
Pour installer cette technologie sur son toit, le propriétaire du centre commercial, Hammerson, a mobilisé un budget de 3,5 millions d’euros, dont 336 000 euros de subventions de la Région Sud (137 000) et de l’Ademe (199 000). Un tiers de cet investissement a permis d’acheter l’installation, et deux tiers ont servi à adapter le bâtiment. Des travaux ont été nécessaires pour renforcer les fondations du toit et créer un monte-charge.
Le micro-méthaniseur, prêt à l’emploi, ne peut néanmoins pas fonctionner avant l’obtention de l’agrément sanitaire délivré par l’État. « Je suis l’embûche et j’assume ce rôle, ironise le secrétaire général de la Préfecture des Bouches-du-Rhône, Cyrille Le Vely. C’est vrai que l’administration française à quelques réputations, mais c’est une petite bonbonne à gaz. Si elle dysfonctionne, c’est celui qui l’autorise (en l’occurrence l’Etat, ndlr) qui endossera la responsabilité pénale ».
« Il faut adapter les autorisations. Les normes c’est bien sympa mais il faut les dépasser pour aboutir à un projet comme celui-ci », pointe Anne Claudius-Petit, vice-présidente de la Région Sud. La Commission de sécurité a émis un avis favorable pour l’exploitation le 14 novembre dernier, mais l’agrément sanitaire est toujours en cours d’instruction.
La collecte des biodéchets devient obligatoire en 2024
Malgré ces latences administratives, Anne Claudius-Petit « espère pouvoir dupliquer » cette innovation. Véronique Perez a déjà sa petite idée. Dans sa liste de prospects, elle évoque le potentiel d’un micro-méthaniseur sur le site du marché d’intérêt national (MIN) des Arnavaux dans le Nord de Marseille (15e), comme elle l’a déjà fait sur le MIN de Bordeaux en 2017.
Pour accélérer le traitement des biodéchets à Marseille, l’adjointe à l’environnement de la Ville, Christine Juste, assure se tenir « aux côtés de la Métropole pour que ce geste de tri puisse se faire partout ». L’élue écologiste est aussi déléguée à la compétence propreté de la Métropole Aix-Marseille-Provence.
Mais ce rôle ne comprend pas le ramassage des déchets professionnels. Si la Métropole effectue la collecte des particuliers, les commerçants, eux, doivent gérer la collecte de leurs déchets en faisant soit appel à la Métropole, soit à une société privée, comme Veolia déchets.
L’industriel ne devrait pas avoir de mal à trouver ses futurs commerçants et/ou restaurateurs pour atteindre le traitement de 500 tonnes de biodéchets (dont 50% sont réservés par le centre commercial) d’ici fin 2024. La loi sur la collecte obligatoire des biodéchets qui entre en vigueur le 1er janvier prochain, pourrait accélérer les procédures.