À l’invitation du club AMP24, le célèbre journaliste sportif Gérard Holtz a proposé aux Marseillais une plongée imagée dans l’univers des Jeux olympiques, rythmée d’anecdotes et d’histoires parfois vécues de l’intérieur. Passionnant.
Gérard Holtz. Ce patronyme a bercé bien des générations. Chaque dimanche, le charismatique présentateur de Stade 2, émission sportive culte du service public, s’invitait dans le salon de nombreux Français. Paris-Dakar, Tour de France, Jeux olympiques… Après plus de 40 ans de carrière, à l’aube de ses 77 ans, Gérard Holtz a le physique affûté, la pêche de sa jeunesse et ce bagou incomparable.
Passionné et sentimental, le journaliste est aussi un showman qui n’a pas son pareil pour conter et raconter des histoires sportives, des anecdotes croustillantes et émouvantes qui ont rythmé sa vie ou qu’il est allé dénicher pour les mettre en scène. C’est ainsi qu’à l’invitation du club AMP24, créé il y a quelques mois par la Chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille-Provence, dans le cadre des JO 2024, Gérard Holtz a captivé le public sans jamais le lâcher durant plus de deux heures, mardi 14 novembre, sur les “planches” du World Trade Center de Marseille.
Comment les femmes ont été longtemps écartées des Jeux olympiques, leurs exploits, le dopage, le racisme, les amitiés, les résistances… l’artiste a offert, en plus d’instants inédits, une sélection des meilleurs moments de son spectacle “Vive le sport… et ses petits secrets”, qu’il a déjà interprété au festival d’Avignon et qu’il jouera en décembre au Théâtre de la Tour Gorbella à Nice, où il réside.
« Les Chariots de feu »
Gérard Holtz soigne son entrée, alors que s’élèvent dans la salle les premières notes de la bande originale des “Chariots de feu” composée par Vangelis, « l’un des plus beaux films de sport. Une histoire qui date de 1924 ». Ce n’est pas un hasard s’il introduit son propos par cette séquence car, il y a 100 ans, Paris accueille les Jeux olympiques et va être le théâtre d’un moment sportif historique.
Multi-récompensé aux Oscars en 1982, « Les Chariots de feu » raconte l’histoire vraie de deux athlètes britanniques, spécialistes du 100 mètres, mais que tout oppose. Harold Abrahams, défie l’antisémitisme ambiant en Europe. Un destin hors du commun, intrinsèquement lié à celui d’Eric Liddell, surnommé L’Écossais volant, chrétien ultra-pratiquant, qui refuse de courir le dimanche.
Malgré leurs différences, dans la même équipe, ils participent aux Jeux olympiques de 1924 à Paris, avec un seul but : gagner. L’esprit du sport comme fil rouge. Le cadre est posé.
« Never give up »
« Le sport, pour moi, c’est une très grande valeur sociale à partager », dit le journaliste qui lâche spontanément sur les routes du Tour en 1995, « Vive le sport ». Mais ce soir-là, il avait à cœur de clamer « Vive les femmes » pendant très – trop – longtemps exclues de ce monde dominé par les hommes.
Une célébration à la fois drôle et touchante à travers quatre exploits : celui de Jeanne Geneviève Labrosse qui effectue en octobre 1799 le premier saut en parachute féminin ; comment Marie Paradis, fille du cru, en godille et dans de terribles souffrances, parvient à fouler le 14 juillet 1809 le Mont-Blanc, « tirée, traînée et portée ». Paradoxe. La première femme à avoir conquis le sommet mythique des Alpes reste Henriette d’Angeville qui porta jusqu’à sa mort en 1871, le titre de “Fiancée du mont Blanc”.
Autre illustration, le 26 mai 1956, à Roland-Garros, jour où Althea Gibson devient la première joueuse noire à remporter un Grand Chelem, 43 ans avant Serena Williams, « qui en interview cite parfois son modèle avec ce fameux “never give up”, (ne jamais abandonner) » raconte Gérard Holtz.
Où sont les femmes ?
Briser les barrières, défier le système établi et la prédominance masculine, d’autres ont osé dès l’Antiquité. Les femmes étaient interdites dans l’arène sacrée d’Olympie, sous peine de mort. La Princesse de Sparte, Cynisca (née vers 440 av. J-.C.) est en 396 avant J.-C. la première femme en mille ans de JO antiques, à se voir remettre la couronne… sans mettre un pied au stade !
Pourquoi les athlètes concouraient nus comme des vers, les premiers cas de doping, de l’huile d’olive aux mangeurs de chèvres ou de testicules de boucs… Ce fou de compétition déroule ses histoires facétieuses et instructives jusqu’à la naissance des Jeux modernes avec Pierre de Courbertin, en 1892, qu’il ne ménage pas, tout comme le baron n’a pas épargné les femmes.
« Visionnaire » certes, mais « médaille d’or de la misogynie », tacle Gérard Holtz, qui cite du Coubertin dans le texte : « Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte. Le véritable héros olympique est l’adulte mâle individuel. Les Jeux olympiques doivent être réservés aux hommes. Le rôle des femmes devrait être avant tout de couronner les vainqueurs ».
Bannies des arènes et des tribunes durant l’Antiquité, absentes des premiers Jeux de l’ère moderne en 1896, les premières participantes n’étaient que 22 aux JO de Paris en 1900, péniblement autorisées à concourir dans quelques épreuves. Le cheminement des femmes vers la parité aux JO est un véritable marathon. D’ailleurs, le premier féminin ne date que de 1984. Le journaliste était sur la ligne d’arrivée.
Près de 40 ans plus tard, l’été prochain, les JO de Paris 2024 seront les premiers paritaires de l’histoire : sur les 10 500 athlètes participants, 5 250 seront des femmes et 5 250 des hommes.
« Oh-iih-oh-iih-ooooh-iih-oh-iih-oooo »
Empruntant l’accent so british, Gérard Holtz révèle aussi pourquoi les 40 kilomètres initiaux du marathon se sont transformés en 42,195 kilomètres aux JO de Londres (1908) sur « les caprices d’un roi » (Edouard 7) ou livre le secret de la victoire en 1956 à Melbourne d’Alain Mimoun, avec lequel il s’est lié d’amitié.
Le coureur remporte son premier marathon olympique, grâce au mouchoir parfumé de sa femme, qui accouche de leur petite-fille Olympe, la veille de la compétition. Et voilà Gérard Holtz qui reconstitue le couvre-chef de Mimoun, en relatant les confidences de l’athlète et imitant son style : « Quand j’étais petit en Algérie, je mettais un mouchoir mouillé sur ma tête, avec des noeuds aux quatre coins, c’est grâce à ça que j’ai gagné, je suis resté au frais, les autres ont pris le soleil sur la tête », raconte Holtz.
Des pistes au bassin, Gérard Holtz plonge aussi le public dans la vie du dauphin américain Johnny Weissmuller, « le premier homme qui est passé en dessous de la minute au 100 mètres en natation ».
5 fois médaillé d’or dans sa carrière, le nageur bat 63 fois le record du monde. « A l’époque, on ne gagnait pas d’argent même si on était champion. Quand il rentre aux États-Unis, il donne des cours de natation à un producteur d’Hollywood, qui lui demande si ça ne l’intéresse pas de faire du cinéma. Et soudain, 8 ans plus tard, Johnny Weissmuller devient Tarzan ». En 1932, dans tous les cinémas américains, retentit le fameux cri “ oh-iih-oh-iih-ooooh-iih-oh-iih-ooooh” inventé par l’acteur pour caractériser le personnage et inspiré du yodel des bergers autrichiens.
Les instants politiques des Jeux olympiques
Gérard Holtz s’arrête naturellement sur d’autres instants, plus politiques, qui ont marqué l’histoire de Jeux. Avec sensibilité, le journaliste revient sur le destin de l’athlète afro-américain Jesse Owens « l’une de ses idoles », qui à 22 ans entre dans la légende olympique en août 1936, à Berlin, en raflant quatre médailles d’or (100, 200, 4×100 m et saut en longueur), devant l’Allemagne nazie, sous les yeux d’Hitler.
« Apparemment, quand on lui a donné son paquetage avec sa tenue, il n’y avait pas de chaussures. Il est allé voir Horst Dassler, qui plus tard a fondé Adidas. Il n’y avait pas encore les trois bandes sur le côté, les chaussures étaient un peu petites. Jessie Owens a dit : j’ai eu un cor au pied, mais au moins ça m’a servi, raconte-t-il. Son secret, c’est qu’il avait une truelle dans son sac et se faisait lui-même ses petits starting-blocks. Il avait déjà pensé à ça pour jaillir plus vite et gagner des médailles ».
Jesse Owens, c’est aussi et surtout une formidable amitié avec l’Allemand Luz Lang, scellée sous les yeux du Führer et immortalisée par une photo en noir et blanc, l’un des rares documents encore visibles. Dans un stade rempli, les deux hommes, l’un noir américain, l’autre blond aux yeux bleus, allongés par terre, fixent en souriant les objectifs, après leurs essais respectifs en saut en longueur. Symbolique !
La mort de Lang durant la guerre, sa lettre à Owens et ses mots sont autant de moments touchants que le journaliste a partagé avec son public : « Retrouve mon fils et parle-lui de l’époque où la guerre ne nous séparait pas et dis-lui que les choses peuvent être différentes entre les hommes. Ton frère Lutz ». Jesse Owens l’a fait. À chaque fois que je pense à cette histoire, j’ai pas loin d’avoir la larme à l’œil tellement je trouve ça beau. Pour moi, ça c’est l’esprit du sport », exprime-t-il, sous les applaudissements de la salle.
Vecteur diplomatique fort, vitrine pour les puissances organisatrices, les Jeux sont aussi l’occasion de faire entendre sa voix par des gestes symboliques, échappant à toute forme de contrôle. Au fil de l’histoire, des athlètes engagés se sont emparés des Jeux pour défendre des causes.
Arrêt sur l’une des images les plus célèbres de l’histoire des Jeux olympiques que Gérard Holtz a vécu en direct : Tommie Smith et John Carlos, médaillés d’or et de bronze du 200 mètres à Mexico en 1968. Sur le podium, ils baissent la tête et lèvent vers le ciel un poing ganté de noir (main droite pour Smith, main gauche pour Carlos), au moment où retentit l’hymne américain. Un signe de protestation pour dénoncer la ségrégation et qui vaudra aux athlètes afro-américains de voir leurs carrières brisées.
Sarajevo, Los Angeles, Athènes, Albertville, Barcelone, Lillehammer, Atlanta… Lorsqu’il est lancé, difficile d’arrêter Gérard Holtz qui n’a pas manqué de raconter ses Jeux les plus mémorables, quelques moments épiques du Tour de France et les techniques bien ficelées des coureurs pour passer les contrôles antidopage. A dire vrai, Gérard Holtz est aussi piqué… mais par la passion. Ce qui coule dans ses veines, c’est toujours l’amour du sport.