Créée sur le modèle de Saint-Denis, la Maison des Femmes Marseille Provence a ouvert ses portes en janvier 2022. Reportage au sein du cocon qui a accueilli cette année plus de 420 femmes victimes de violences.

Aucune pancarte n’indique « La Maison des Femmes » à l’entrée de l’hôpital de la Conception de Marseille. Il faut rejoindre l’accueil pour demander son chemin. Après plusieurs escaliers, un labyrinthe souterrain débouche sur une porte bleu ciel. Les nuages blancs peints dessus annoncent qu’une éclaircie est au bout du tunnel.

Créée sur le modèle de Saint-Denis, cette structure a vu le jour en janvier 2022 pour accompagner les femmes victimes de violences. Dès son arrivée sur place, chaque femme est prise en charge par l’une des deux secrétaires. « On vérifie d’abord qu’il n’y a pas de danger immédiat. Ensuite, on s’assure qu’elles sont prêtes à parler », explique Lenaig Serazin-Orsini, la sage-femme.

« Elles ont besoin d’écoute et surtout qu’on les croit », insiste Florence Bretelle, l’obstétricienne à l’origine du projet qu’elle a porté avec une équipe pluridisciplinaire de 10 soignantes de l’AP-HM. Elles ont soigné la décoration, sobre et chaleureuse, en y affichant des photographies de robes haute-couture.

Marie* vient de passer la porte de ce « cocon » qu’elle fréquente depuis maintenant 18 mois. Elle attend la psychologue Lisa Peyre qui la suit depuis le départ. « J’ai été torturée pendant 20 ans. Venir ici m’a sauvé la vie physiquement et mentalement », nous confie-t-elle, la gorge nouée. À l’entrée du cabinet, un tableau représente deux vélos, et ce mantra : Quand je sors, je veux être libre, pas courageuse.

Difficile pour cette mère de famille d’évoquer les abus dont elle et ses enfants ont été victimes de la part de son ex-mari violent. Elle a trouvé la force de le quitter, mais garde au fond d’elle un profond sentiment de culpabilité. « Elles me rassurent en me disant que je suis une bonne maman, que si les enfants font des crises, ce n’est pas de ma faute. C’est qu’il y a un traumatisme », tremble Marie.

Une prise en charge globale

Si chaque histoire est très intime, les praticiennes ont imaginé trois parcours de soin regroupant des problématiques similaires : sur 420 femmes accueillies en 2023, 75% sont suivies pour violences conjugales, 7% sont victimes d’excision et 7% sont enceintes et violentées. « Bien souvent les parcours s’entremêlent, une bonne partie des femmes peuvent cumuler plusieurs agressions », souligne Lenaig Serazin-Orsini.

La sage-femme s’est spécialisée en sexologie depuis plus de 10 ans. Pour elle, il était nécessaire de créer des groupes de parole consacrés à la sexualité et l’excision. « Ces temps sont très enrichissants car ces femmes n’ont jamais connu le côté positif de la sexualité. C’est une manière de redécouvrir leur corps ou de le découvrir tout court, sourit la professionnelle. Je trouve ça vraiment beau de voir comment elles s’émancipent ».

En complément, des ateliers pour restaurer l’estime de soi par le karaté et la danse, en partenariat avec le Ballet national de Marseille, leur sont proposés. « J’ai suivi trois ateliers de danse. On dit souvent que les femmes victimes de violences sont bloquées du bas du ventre et c’est vrai. Ça m’a libéré le bassin », partage Marie.

Dans le cadre de ce dispositif global, tous les frais sont pris en charge par la Maison des Femmes. Et c’est une religion. « On appelle ça l’accueil inconditionnel », revendique Florence Bretelle. Pour celles qui n’ont pas accès à la sécurité sociale, l’hôpital prend les frais en charge à 100%.

Maison femmes, Reportage | À Marseille, « la Maison des Femmes m’a sauvé la vie », Made in Marseille
Décoration de la Maison des Femmes. © Margot Geay

Des besoins grandissants

La Maison des Femmes fonctionne sur le même modèle que celle de Saint-Denis, la première du nom fondée par le Dr. Ghada Hatem en 2016. Son fonctionnement repose sur un modèle économique hybride. Un tiers du budget provient des subventions des collectivités territoriales (Région Sud, Département des Bouches-du-Rhône et Ville de Marseille) mais aussi de l’Etat dans le cadre des missions d’intérêt général. Un autre tiers est financé par le mécénat d’entreprise (Kering, la Fondation Raja…) et le dernier tiers représente l’activité propre au service.

Pour la première année, le projet a fonctionné avec 450 000 euros de budget, en plus des 150 000 euros levés dans une opération de crowdfunding en 2021. Cette enveloppe a été complétée par les 35 000 euros apportés par Clara Luciani, la marraine de l’antenne marseillaise dont les chansons engagées contre les violences conjugales ont fait écho au projet. « On ne cogne que le cœur… », chante la jeune femme originaire de Martigues.

« L’année prochaine, les besoins financiers tourneront autour d’un million d’euros », prévient Florence Bretelle. En effet, dans quelques mois, les effectifs seront doublés : l’équipe passera de 10 à 20 soignantes. Ces recrutements coïncideront avec le déménagement du centre prévu en juin 2024. « On se languit d’avoir les nouveaux locaux », glisse Lenaig Serazin-Orsini.

Une future maison rue Saint-Pierre en 2024

La Maison des Femmes ne part pas bien loin. Elle intégrera des locaux plus spacieux, rue Saint-Pierre, mis à disposition par le Département des Bouches-du-Rhône. Et le bâtiment reste attenant à l’hôpital puisque c’est une condition sine qua non au maintien du projet.

Maison femmes, Reportage | À Marseille, « la Maison des Femmes m’a sauvé la vie », Made in Marseille
Les futurs locaux mis à disposition par le Département

« On va choisir du beau mobilier grâce à un partenariat avec Maisons du Monde pour que les femmes se sentent bien », explique Florence Bretelle. En plus d’être agréable à vivre de l’intérieur, cette maison doit être visible de tous. « Il faut qu’elle soit ouverte sur la rue et sur la ville pour que les femmes puissent venir facilement », poursuit la cheffe de service.

Bien que le nombre de femmes accueillies soit en constante augmentation, beaucoup d’entre elles ne connaissent pas le lieu ou ont du mal à s’exprimer. Consciente de ce phénomène, l’équipe médicale prône alors la méthodologie de « l’aller-vers » pour provoquer la rencontre avec ces publics. Elles ont tissé de nombreux liens avec des structures d’hébergements d’urgence, des associations comme Solidarité Femmes 13, pour les inciter à leur orienter des femmes en souffrance.

Apprendre à libérer la parole

En parallèle, des modules de formation sur la violence sont dispensées aux professionnels de santé et à Aix-Marseille Université (Amu). « Quand on est jeune médecin, on nous apprend la prise en charge somatique d’une violence, mais pas tout ce qu’il y a autour », regrette le Dr. Bretelle. Elle a fabriqué un programme spécifique avec l’université, Women for Women, pour former des femmes des quartiers défavorisés à mener des actions de prévention auprès de leurs proches.

Il faut également poursuivre les efforts pour réduire le nombre de rendez-vous non honorés (40%). « Les femmes font le premier pas puis se rétractent, ne sont pas prêtes à parler, soulève le médecin. Mais contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas majoritairement des personnes sans droit. Ce sont nos filles, nos mères, nos amies… »

Selon le rapport Ciivise publié en novembre : 5,4 millions de femmes et d’hommes adultes ont été victimes d’inceste dans leur enfance. « La violence, c’est la patate chaude, personne ne veut s’en occuper, ça fait peur », se désole Lenaïg Serazin-Orsini.

Si la parole s’est libérée depuis le mouvement Metoo, l’augmentation des violences conjugales de 15% en 2022, soit 244 000 victimes par an en France, est une preuve alarmante qu’il faut continuer d’en parler et d’agir.


*Pour respecter l’anonymat, le prénom a été changé.

Bouton retour en haut de la page

NEWSLETTER

Recevez le meilleur de l'actualité de la semaine gratuitement !