Certaines sont célèbres, d’autres sont peu connues du grand public, voire anonymes. Leur point commun ? Ce sont des entreprises dont l’histoire s’écrit sur notre territoire depuis plus d’un siècle. Sous l’impulsion de la CCI, elles créent leur réseau pour inspirer à d’autres l’esprit d’entreprendre.
« Vous ne touchez surtout pas nos navettes. Vous voyez, elles ne m’appartiennent même plus », s’amuse Nicolas Imbert, patron du Four des Navettes. Depuis 1781, ce patrimoine culturel local, situé rue Sainte (7e), écrit son histoire à Marseille. Sans couler pour autant une existence tranquille, l’entreprise familiale a traversé le temps avec gourmandise et passion, perpétuant avec délicatesse un savoir-faire séculaire.
Ils s’appellent Pellegrin&Fils, Daher Aerospace, Onet, Huiles Coulomb, l’herboristerie du Père Blaize, La Plume Dorée, Maupetit, La Samaritaine, Maison Empereur, savonnerie du Midi, Mihle et Avons… Elles sont quelques entreprises bien ancrées sur notre territoire, depuis parfois deux siècles, à avoir réussi à garder le cap dans les tempêtes, à avoir su s’adapter à l’évolution de la clientèle et des techniques et transmettre un patrimoine intact, reposant sur des valeurs fondatrices fortes, qui perdurent encore aujourd’hui.
10 700 emplois pour 1,74 milliard de chiffre d’affaires
Savonneries, bijoutiers-joailliers, artisans, caves et domaines viticoles, imprimeries, industriels, restaurants, services… À ce jour, selon les registres du commerce, 82 entreprises centenaires ont été recensées aux quatre coins du département. Elles représentent 10 700 emplois pour 1,74 milliard de chiffres d’affaires.
D’autres, dont le statut s’est transformé au fil du temps, à l’instar de l’Olympique de Marseille, fondée en 1899, passée d’association à entreprise, n’y figurent pas, mais n’en sont pas moins des modèles de longévité. Avec flair, audace et ténacité, ces « vieilles » pousses ont tout surmonté.
Pour la première fois, un grand nombre d’entre elles étaient réunies au Palais de la Bourse, au riality Lab, dédié à l’IA, installé dans la plus vieille chambre économique du monde (1599) comme pour marquer un trait d’union entre le passé, le présent et l’avenir. « Vous témoignez de l’excellence séculaire de notre territoire », exprime Jean-Luc Chauvin, président de la Chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille-Provence, à l’occasion du lancement du réseau des entreprises centenaires, mercredi 27 septembre.
Agilité, envie, respect et transmission
Atteindre le cap des 100 ans est une véritable gageure dans un monde qui évolue de plus en plus vite. Pour marquer ce coup d’envoi, sans révéler des secrets bien gardés de fabrication, quelques patrons sont venus livrer des petites recettes qui ont fait leur succès et assurer leur pérennité.
Pour beaucoup, l’élixir de jouvence réside dans un profond attachement aux valeurs familiales, le lien avec le territoire essentiel, une stratégie de temps long et la préparation structurée du passage de flambeau d’une génération à l’autre. « La coopérative permet de transmettre en douceur pour laisser vivre une tradition, tout en se remettant en cause face aux évolutions », illustre Francis Tavernier, Le Cellier d’Eguilles (1923), 3e génération de vignerons et la coopération chevillée au corps.
« L’envie et le respect de reprendre une entreprise, mais tout en se réinventant », abonde Jean-Charles Bagnis, spécialiste français en sucre, dont l’entreprise a été fondée aux Catalans en 1890. Passée par Vitrolles, aujourd’hui basée à Gémenos, Giraudon compte environ 300 clients et autant de références de sucre. « Notre plaisir c’est de trouver des solutions pour nos clients », poursuit Jean-Charles Bagnis. Une souplesse pour répondre à la demande tout en se démarquant des grands groupes souvent moins agiles.
Un label « entreprise centenaire » et une exposition des savoir-faire
Parmi les ingrédients qui permettent à ces entreprises de traverser les époques, Emilie de Lombares du groupe Onet (1860) observe aussi « le caractère des entrepreneurs du sud, une audace et une façon de faire du business franche, directe et accessible. Il faut revendiquer notre façon de faire », dit-elle en soulignant l’importance des racines et la projection de long terme « car on a plus de chance d’arriver là où l’on veut vraiment et ça permet de se “séréniser” face aux crises ».
Au stade de nouveau-né, malgré ses plusieurs milliers d’années cumulées, ce “club” « vous en ferez ce que vous voulez en faire » annonce le président de la CCI. Poser un cadre et un rythme de travail, de rencontres annuelles, d’événements, d’ateliers, créer un label, un parcours de visites, ou même encore « une exposition des savoir-faire et des produits emblématiques de notre entreprise » propose déjà Hervé Rofritsch, patron de La Boule Bleue.
Personnage haut en couleur, « cinq doigts, six bagues, chaîne en or qui brille » s’enthousiasme-t-il, fier de son accent et d’être marseillais, Hervé a su allier savoir-faire traditionnel et modernité. Il est ainsi le plus ancien fabricant de boules de pétanque au monde encore en activité. Sa fabrique artisanale est « la seule et dernière en Provence, à Marseille, berceau de la pétanque », précise l’arrière-petit-fils du fondateur de la marque.
« Le passé comme référence, le futur comme excellence »
Ces singulières aventures humaines illustrent la capacité de ces entreprises à inscrire l’esprit d’entreprendre dans la durée, à être agiles et résilientes tout en restant fidèles à leurs racines sur le territoire Aix-Marseille-Provence. « On ne dure pas dans le temps si on n’a pas fait quelque chose de bien, répété dans le temps et transmis efficacement », vient conclure Didier Abric, l’une des chevilles ouvrières de ce projet « que l’on prépare depuis des mois. Ce lancement marque sa matérialisation ».
Membre associé à la CCIAMP, le dirigeant d’Atec agencement a repris la menuiserie Pierre Vincent à Carpentras avec 200 ans au compteur. « Une chance extraordinaire », mesure-t-il, reconnaissant aussi « une responsabilité écrasante de reprendre une menuiserie qui a connu huit générations ».
Il égrène quelques thématiques utiles pour animer le réseau avec pour objectif d’assurer la relève, inspirer et aider d’autres pépites à marcher dans les pas de leurs pairs : cession-reprise, recherche de financements, accompagnement-coaching, prises de risques, innovation et gestion des ruptures technologiques… autant de pistes de travail à explorer avec un mot d’ordre : s’amuser.
D’ores et déjà, la chambre consulaire a imaginé un nom accompagné d’une base line pour ce nouveau réseau : « Les Centaures d’Aix-Marseille-Provence, le passé comme référence, le futur comme excellence ». Un lien avec cet être fantastique de la mythologie grecque ? Pourquoi pas. D’un mythe peuvent naître des récits légendaires qui traversent le temps.