Chez Tam-Ky, on voyage de l’Asie à l’Afrique sans quitter Marseille. Depuis 1989, les générations de la famille Sy se succèdent pour faire vivre cette épicerie, primeur et traiteur asiatique au cœur de Noailles.
Le quartier de Noailles n’est pas surnommé le « ventre de Marseille » pour rien, avec son marché quotidien et ses nombreuses échoppes alimentaires. Parmi elles, une enseigne fait figure d’institution locale depuis plus de trente ans : à la fois épicerie exotique, primeur et traiteur, Tam-Ky regroupe sous son toit plus de 5 000 références de produits, fruits et légumes asiatiques, antillais et africains.
Le store rouge et l’emblème dorée de Tam-Ky se démarquent sur la place Halle Delacroix, qui tient son nom d’une ancienne halle aux poissons démolie en 1981. Dans ce commerce unique du centre-ville, l’ambiance de marché est encore bien présente, et les odeurs de coriandre et de menthe emplissent les narines. Marseillais de tous horizons et origines s’y croisent pour se procurer des denrées introuvables ailleurs.
Manioc, patate douce, taro, banane plantain, sauces japonaises et épices indiennes, nouilles de riz, lait de coco… Les étals et étagères de Tam-Ky sont d’une richesse et d’une diversité inépuisables pour les amateurs de cuisine du monde, du Pakistan à la Thaïlande, en passant par la Chine ou Madagascar.
Le périple de la famille Sy
C’est au Vietnam que commence l’histoire de Tam-Ky. Ancienne triperie fondée dans les années 1970, le commerce est repris par la famille Sy en 1989. « Mon père, franco-chinois, et ma mère, vietnamienne, ont été rapatriés en France après la guerre, en 1976, raconte David Sy, casquette Tam-Ky vissée sur la tête. Ils sont partis car il ne leur restait plus rien et ils avaient huit gamins à nourrir ».
« Maintenant, on est dix, avec plus de vingt ans d’écart entre le plus âgé et la plus jeune ! ». David, le cinquième de la fratrie, et ses neuf frères et sœurs Thierry, Carole, Bertrand, Sylvie, Hélène, Rémi, Jacqueline, Philippe et Jina, se partagent aujourd’hui la gestion du lieu. À l’étage du magasin, dans les bureaux, une mosaïque de photographies collées sur les casiers des employés retrace le parcours de leur famille.
Après six mois passés dans un foyer à Sarcelles, en région parisienne, Sy Khaï-Minh et Be Thi-Gioi partent en direction du Sud où la main d’œuvre était recherchée. Les Sy deviennent ouvriers viticoles près de Courthézon, dans le Vaucluse. « On était les seuls Vietnamiens dans ce petit village, se souvient David. Mes parents ne parlaient pas un seul mot de français ».
1980, l’arrivée à Marseille
Quatre ans plus tard, en 1980, ils partent s’installer à Marseille, forte d’une large communauté vietnamienne. La famille habite quatre ans « à la Savine, au bloc A4. Mon père a trouvé du travail dans une usine qui fabriquait des câbles électriques à Saint-Antoine. Et ma mère nous élevait tout en travaillant à la maison comme couturière », reprend-il.
« On allait souvent se baigner près de Fos-sur-Mer. Et sur la route, à Gignac-la-Nerthe, il y avait un couple de paysans vietnamiens qui cultivait des légumes asiatiques sur leur terrain ». Chou chinois, christophine… « c’étaient les premiers à le faire dans la région. À leur retraite, ils ont vendu leur terrain et mes parents se sont porté acquéreurs ».
« Ils sont redevenus paysans, comme sur leurs terres au Vietnam, poursuit le quinquagénaire. Je me rappelle, j’étais en 4e, et je me levais à 5h pour couper la menthe dans la serre et faire des bottes de persil et de coriandre ! ». Les Sy se mettent alors à livrer leurs produits aux restaurants et épiceries asiatiques à Marseille et aux alentours, dont Tam-Ky à Noailles, alors tenu par un certain Marcel.
De la terre aux étals
Ce dernier souhaitant monter une autre affaire, les Sy rachètent le local de 40 m2 en 1989. Aidés des quatre aînés de la fratrie, ils se lancent dans l’aventure de la vente d’aliments asiatiques dans ce quartier multiculturel de Marseille.
« Ma sœur Sylvie était en cuisine et s’occupait du service traiteur, se rappelle David. Il y avait un gros étal devant qu’on ouvrait le matin… que j’ai fait enlever depuis, parce que ça prenait trop de temps à installer ». Petit à petit, les Sy acquièrent des lots voisins et la boutique s’agrandit.
Pendant dix ans, la famille fait des allers-retours entre le centre-ville de Marseille et Gignac, remplissant les cagettes du magasin avec les produits issus de leurs récoltes. Puis « mes parents, devenant âgés, ont laissé la gestion de Tam-Ky à mon frère Bertrand, et sont retournés s’occuper plus de leurs cultures ».
« Rester un commerce de proximité »
Après avoir suivi des études de mode dans la capitale, David a repris la direction de l’affaire en 2007, succédant à Bertrand. « De là, j’ai réuni tous mes frères et sœurs sous la bannière de Tam-Ky pour travailler en famille, explique le gérant. Je trouvais que c’était symbolique. Chacun a son parcours et son caractère, mais on s’entend tous sur le fait de préserver l’héritage de nos parents ».
Alors qu’à l’époque de l’ouverture, la rue Halle Delacroix abritait plusieurs restaurants et commerçants vietnamiens, dès la fin des années 1990 « le quartier a changé, la clientèle s’est paupérisée. Les commerçants asiatiques ont voulu s’excentrer, ils sont tous partis vers La Valentine, à La Penne-sur-Huveaune… Et aujourd’hui, on est les seuls bridés du quartier ! », s’amuse David.
Tam-Ky a su s’adapter en élargissant sa gamme et en diversifiant ses fournisseurs, proposant des produits indiens ou pakistanais. « On a trouvé notre place, on a su s’adapter en étoffant notre offre. Et au final, ce n’est pas plus mal, on est complémentaire des commerçants maghrébins ou d’ailleurs. Il y a un équilibre, chacun apporte de sa culture ».
Comme d’autres commerçants du quartier, les Sy sont confrontés à des difficultés, notamment pour acheminer leurs marchandises. Mais la famille est déterminée à rester ancrée à Noailles. David Sy l’affirme, « on ne bougera pas d’ici. Moi, je suis du centre-ville, je tenais à rester ici, à Noailles. On avait pensé à partir pour s’agrandir, mais ce serait impersonnel, moins familial. C’est peut-être ça qu’on a voulu défendre : on veut rester un commerce de proximité. On connaît tous nos voisins. Et parler avec les clients, il n’y a rien de plus sympa ! ».
Un kiosque et un restaurant, Gingembre
La famille Sy ne compte pas s’arrêter là. Ils ont ouvert un kiosque allée Gambetta, puis un restaurant baptisé Gingembre, en février 2022, pour partager la « vraie » cuisine vietnamienne traditionnelle du Sud, revisitée. Le restaurant est géré par les sœurs Jina et Sylvie qui apportent leurs recettes familiales à la table, en collaboration étroite avec la cheffe Dang.
À la carte, tofu farci, carpaccio de bœuf à la menthe fraîche, poissons grillés à la citronnelle… « Il y a une vraie demande dans le quartier pour ce genre de produits, observe David. Le but d’avoir un restaurant, c’est vraiment de faire partager ce qu’on a envie de kiffer, parce qu’on trouve rarement ce qu’on veut dans les restaurants vietnamiens. Ce que nous, on appelle les classiques, ici, ce sont des nouveautés ! ».
D’ici à l’année prochaine, David Sy envisage également d’étendre le service traiteur pour proposer un service sur place le midi, exploitant la terrasse extérieure. « C’est vraiment mon but ultime, glisse le gérant. On voulait le faire depuis longtemps, et maintenant qu’on a l’expérience du restaurant, c’est notre projet. J’espère que ça poussera d’autres commerces à occuper l’espace ».
À travers les décennies, la famille Sy n’a cessé de déployer son énergie débordante pour faire vivre Tam-Ky. Et avec une nouvelle génération de plus en plus impliquée, la relève de cette enseigne mythique de Noailles semble assurée. « On aimerait que ça perdure. Enfin j’espère, parce que ce ne sera plus nous dans 10 ans !, poursuit David en riant. Peut-être que nos neveux et nièces le développeront même mieux que nous. En tout cas, on a mis notre pierre à l’édifice ».
Informations pratiques
Tam-Ky
5 rue Halle Delacroix
Ouvert du lundi au samedi de 9h30 à 19h30