À Marseille, pas besoin d’entrer dans un musée pour en prendre plein les yeux. Des ruelles du cours Julien aux dédales du Panier, les murs s’expriment. Ces deux quartiers du centre-ville sont reconnus comme des hauts lieux du “street art”. Promenade dans les terrains de jeu à ciel ouvert du graffeur Joke et de l’artiste peintre Manyoly.

Les pionniers du Cours Ju

Sur les façades du cours Julien, quartier alternatif au cœur de la ville, l’art est omniprésent. Des décennies de couches de peinture s’accumulent les unes sur les autres, et une multitude de blazes se côtoient dans une énergie éclectique. Parmi eux, celui de Joke. Cet artiste marseillais, adepte du “calligraffiti”, a posé ses premiers tags à l‘aube des années 2000. “Le graff a commencé à apparaître sur les murs du quartier dès fin 1980”, dépeint- il. Quelque temps avant qu’émergent les premiers protagonistes du mouvement hip-hop marseillais, qui connaîtra un âge d‘or au milieu des années 1990. “Des groupes comme IAM et la Fonky Family se sont produits pour la première fois sur la scène d’un bar devenu culte : la Maison Hantée, rue Vian, au cœur du Cours Ju.

Pour Joke, pas de doute, “c’est lié à l’explosion du graffiti dans ce quartier-là”. Lors de ses premières années de lycée, il rejoint le crew de graffeurs HT, puis les KFC, et apprend à manier la bombe aux côtés de Stony, Brak ou Difuz. “C’est moins le cas aujourd’hui, mais à cette époque, il y avait beaucoup plus de liens entre les différentes pratiques autour du hip-hop : le rap bien sûr, mais aussi la danse, les DJs et le graff.” Vingt ans plus tard, le Cours Julien “reste la plaque tournante du graffiti à Marseille. La grosse différence, c’est le point de vue des gens sur cette pratique”, affirme l’ancien graphiste, qui vit aujourd‘hui de son art, notamment de commandes de fresques murales. “Quand j’ai commencé, le graff était considéré comme un truc de vandale. Il était impensable de peindre la journée en pleine rue sans autorisation !

De la revendication à l’attraction touristique

Moyen d’expression revendicateur et transgressif à ses origines, ce qu’on nomme aujourd’hui le “street art” s’est fait une place en tant que mouvement artistique à part entière. Qu’il s’exprime sous la forme de graffitis, de collages, de pochoirs, de mosaïques… ces œuvres hautes en couleur “font maintenant partie de la culture du quartier, et de Marseille”, constate Joke. Même si la pratique est encore réprimandée dans l’espace public, “il y a ici une tolérance qu’on ne retrouve pas forcément dans les autres quartiers, ou même dans d’autres villes de France. Au Cours Ju, c’est freestyle, tu places à peu près n’importe où. C’est une sorte de grand musée du graffiti à ciel ouvert.

Cette forme d’art s’est tellement popularisée qu’elle attire désormais “un tourisme du graffiti, comme certains quartiers de Berlin, Barcelone ou Londres à une époque”. En témoignent les nombreuses publications géolocalisées au Cours Julien sur les réseaux sociaux, ainsi que les diverses visites guidées dédiées au street art, organisées par des passionnés, par certains artistes, et même par l’Office de Tourisme de la ville.

Au même titre que plusieurs de ses semblables, Joke est conscient que cet engouement peut aussi contribuer à une certaine marchandisation de cette culture (et du quartier). Mais le graffeur reconnaît que “c’est aussi grâce à ça que l’on arrive à en vivre, en étant sollicités par des institutions et des entreprises, en montant des expos et des festivals… Je suis content que notre travail soit reconnu, mais je n’ai pas non plus envie qu’il soit exploité par les mauvaises personnes, concède-t-il cependant. Je voudrais qu’on garde quand même de l’authenticité dans ce qu’on fait. La ligne est très fine : c’est à nous de naviguer entre tout ça et de faire les bons choix.

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Œuvre de Tetal et Joke © Joke

Les belles du Panier

Dans les ruelles escarpées du Panier, autre fief du street art marseillais, c’est une façon de faire différente : les fresques, graffitis et pochoirs sont nombreux mais plus discrètement essaimés, car souvent effectués sous l’œil des commerçants et des habitants des immeubles sur lesquels ils sont réalisés. En s’y baladant avec Marie-Lou, alias Manyoly, on ressent d’emblée cette familiarité. À chaque coin de rue, un ancien voisin demande de ses nouvelles à l’artiste, qui a occupé un atelier au cœur du quartier pendant cinq ans. Quiconque ayant déjà flâné dans le Panier a pu croiser le regard perçant de ses portraits de femmes, peintes avec des couleurs vives à partir d’un souvenir ou de photos parfois volées. “Tout part de quelque chose d’inexplicable qui m’interpelle chez une femme, confie Manyoly. J’essaye de transmettre aux passants l’émotion que j’ai ressentie en la voyant.

C’est ici, dans le plus ancien quartier de France, que l’artiste peintre autodidacte originaire du Var a découvert la liberté de créer dans la rue, aux yeux de tous. “Ça m’a nourri d’avoir les retours immédiats des gens sur ce que je faisais, raconte l’ancienne galeriste. Dans la même journée, on reçoit autant de commentaires positifs que négatifs. Mais il y a toujours une personne qui va sourire en passant devant pendant son trajet quotidien, et on se dit qu’on ne fait pas ça pour rien.” Petit à petit, les visages de Manyoly ont gagné en reconnaissance, lui permettant de les répandre au gré de ses voyages sur les murs de Calais, Londres, Murcia, Berlin ou New York. Cela fait trois ans que l’artiste a quitté Marseille, mais elle revient régulièrement dans ce quartier qui l’a accueillie. Comme avant, elle frappe aux portes avoisinantes avant de poser ses collages. “Dans 80 % des cas, les gens acceptent.

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Un village dans la ville

Même s’il a beaucoup changé ces dernières années, le Panier reste un village dans la ville, poursuit-elle. Tout le monde se connaît, c’est chaleureux. Les habitants ont décidé de prendre en main leur quartier : ils végétalisent les rues, entretiennent les fresques et les nettoient quand elles se font dégrader“. Au mois d’avril, Manyoly a réalisé sa plus grande fresque marseillaise à l’angle de la rue Fontaine de Caylus, en collaboration avec Tibo Papercut. L’œuvre de 10 mètres de large sur 5 de haut représente le portrait d’une femme “croisée dans le quartier l’été dernier. J’ai flashé sur son visage, admet-elle. C’est une façon d’immortaliser cette rencontre là où elle a eu lieu.” Cette street artiste emblématique du Panier donnera sa dernière exposition dans la cité phocéenne à la galerie 3013, du 4 au 16 juillet prochain.

Retrouvez ce reportage et nos autres articles dans le premier magazine Made in Marseille :

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