Les journées Refugee Food Education visent à sensibiliser les jeunes générations sur la question de l’accueil des personnes exilées. Reportage au collège des Chartreux (4e) à Marseille, où des chefs réfugiés ont animé des ateliers de cuisine.
Sadia Hessabi a fui l’Afghanistan seule pendant la guerre en 1991, alors qu’elle n’avait que 14 ans. Dans une salle de classe aménagée en cuisine, elle apprend à un groupe d’élèves de 4e du collège des Chartreux (4e) à préparer du ferni, une crème dessert afghane parfumée à la cardamome, qu’elle mélange à de la praline rose de Lyon. « Ils ont adoré. C’est une recette très simple, ils ont dit qu’ils la referaient chez eux ! », se réjouit-elle.
Cette rencontre a lieu il y a quelques jours, dans le cadre de la deuxième édition de Refugee Food Education. Ces journées pédagogiques, portées à Marseille par l’association Festin, visent à sensibiliser les jeunes générations à la problématique des migrations forcées en participant à des ateliers de cuisine animés par des chefs réfugiés.
« J’avais leur âge quand je suis partie d’Afghanistan, sans parler un mot de français et sans connaître personne », explique la cheffe installée à Lyon. Après avoir travaillé vingt ans en psychiatrie, elle a décidé de créer son entreprise de traiteur, Kaboulyon, en 2018. « La cuisine, c’est un médiateur pour créer du lien social. Et le message que je veux faire passer, c’est que si on vient dans un autre pays, c’est qu’on n’a, malheureusement, réellement pas le choix ».
Avec Sadia, cinq autres chefs originaires du Tchad, du Brésil, de Turquie, de Syrie et du Liban ont passé deux heures aux côtés des élèves, répartis en petits groupes, pour partager leur parcours et leur patrimoine culinaire.
Des ateliers tout au long de l’année scolaire
Si la première session du Refugee Food Education s’était tenue sur une seule journée en décembre 2021, le programme de cette deuxième édition a été réécrit pour intervenir tout au long de l’année scolaire. « On observe que l’impact est beaucoup plus important ainsi, constate Iris Liberty, coordinatrice de l’antenne marseillaise du projet. Les élèves développent une vraie relation avec les chefs, on sent que l’intérêt est encore plus fort et que le souvenir est plus marquant ».
Depuis la rentrée, les collégiens ont pu assister à la projection d’un film documentaire retraçant le parcours migratoire d’un jeune homme tchadien et échanger par la suite avec la réalisatrice. Plusieurs personnes réfugiées accompagnées par l’association sont également venues témoigner de leur expérience auprès d’eux. Le dernier module, en mai, prévoit un atelier de philosophie autour de la question de l’hospitalité.
« L’accueil est génial à chaque fois, et les élèves sont beaucoup plus au courant qu’on ne le croit, ajoute Iris Liberty. Pour beaucoup, ils regardent les infos et connaissent le contexte géopolitique de certains pays. Et là, ils voient quelqu’un qui vient témoigner « en vrai », donc ils sont très curieux et posent beaucoup de questions ».
« Son histoire nous a touchés »
Peuvent en témoigner Zélie et Anaïs, qui ont participé à un atelier avec la cheffe syrienne Samar Mawazini, créatrice du stand Grenade et Pistache aux Docks Village. « On savait qu’il se passait des trucs comme ça dans le monde mais, moi, je n’avais jamais entendu d’histoire racontée par la personne en question, remarque Zélie. Son histoire nous a trop touchés, parce qu’on voit qu’elle a galéré. C’est elle qui s’est occupée de tout pour sa famille, pour qu’ils puissent être en sécurité en France ».
Les deux jeunes filles ont concocté des atayef, petites crêpes fourrées à la crème nappées de pistaches. « C’était un peu long à faire, mais le résultat était délicieux. D’habitude, on met plutôt du rhum dans les crêpes, mais avec la fleur d’oranger, c’est trop bon aussi ! », s’exclame Anaïs.
« Apporter un visage » à la migration
« On a créé ce projet parce qu’il y a une vraie demande de la part de professeurs et de proviseurs qui ont envie d’aller un peu plus loin qu’un cours classique d’histoire-géographie sur les migrations, explique Fanny Borrot, directrice du développement de Refugee Food au niveau national. Ils nous contactent pour apporter du fond et un visage sur la question ».
« Ce qui est intéressant, poursuit-elle, c’est qu’à treize ans, on se forge ses propres idées, on n’est pas d’accord avec ses parents… on arrive aussi à un moment où les jeunes se questionnent, et on a envie d’apporter des réponses, en permettant aux personnes concernées de venir parler et expliquer leur parcours. C’est aussi important de le faire à Marseille, où il y a énormément de mixité. Le siège de SOS Méditerranée est ici, il y a plein de connexions avec des structures et des assos, on se rend compte qu’on est au bon endroit ».
Bien que le cœur du projet consiste à faire changer les regards, les ateliers sensibilisent aussi au « bien-manger et à l’importance de cuisiner soi-même à partir de produits bruts, explique Fanny. Pendant les ateliers, on se rend compte que les gestes simples de cuisine ne sont parfois pas évidents pour certains ados, comme éplucher, couper, enlever les pépins d’une poire ou d’une pomme… on essaye de les leur transmettre ».
Sensibiliser 450 collégiens par an
Le but de Refugee Food Education est que son programme soit co-construit avec les équipes pédagogiques et réalisable le plus facilement possible. Tout est pris en charge par l’association et ses bénévoles, de l’organisation au nettoyage de la cuisine. « C’est un projet « clé en main », reprend Fanny Borrot. Les écoles n’ont rien à payer, car on sait très bien qu’elles n’ont pas forcément de financements et que les enseignants sont déjà débordés ».
Comme « la demande ne vient pas seulement de Marseille », les équipes de Refugee Food et de Festin visent à déployer le projet dès l’année prochaine dans trois autres établissements scolaires du département. « Notre objectif est de sensibiliser 450 collégiens par an, projette Fanny Borrot. À terme, nous voulons essaimer ce projet dans plusieurs territoires en France, notamment en zone rurale où les élèves sont moins exposés à la mixité sociale ».