Forte mobilisation à Marseille contre la réforme des retraites. 140 000 personnes selon la CGT, 26 000 selon la préfecture de police ont défilé des Réformés à la place Castellane.
Eliane a 90 ans. Derrière la longue banderole sur laquelle claque le message « pour nos salaires, retraites, emplois, tous ensemble, on ne lâche rien », cette jolie vieille dame lève le poing et donne de la voix. Non ! Eliane « ne veut pas battre en retraite ».
Même à son âge, par solidarité, elle a répondu à l’appel lancé par les huit organisations syndicales (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, Solidaires et FSU) à venir manifester ce jeudi 19 janvier contre « une réforme dont on ne veut pas ».
Report de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, augmentation de la durée de cotisation plus rapide que prévu… sans surprise, la réforme des retraites dévoilée par le gouvernement la semaine dernière est bien loin de recueillir l’assentiment de tous les Français.
« Dans ce pays, on nous demande plus, toujours plus, et ce sont toujours les mêmes qui trinquent », lâche Jean-Michel, 43 ans, dans le cortège marseillais. « Je travaille sur des chantiers, alors imaginez partir à 64 ans ou 67 ans, et puis il n’y a pas que ça, le pouvoir d’achat, les prix ont flambé… » poursuit cet ouvrier, usé, malgré son sourire de circonstance.
Comme lui, près de 140 000 personnes selon la CGT, 26 000 selon la préfecture de police ont arpenté le bitume à Marseille, des Réformés jusqu’à la place Castellane pour crier leur mécontentement et clamer haut et fort « leur ras-le-bol » dans une ambiance bon enfant, malgré les inquiétudes grandissantes.
Dockers, infirmiers, enseignants, cheminots, intermittents du spectacle, pompiers, travailleurs indépendants… Toutes les générations et différents corps de métiers représentés sont venus fustiger la politique d’Emmanuel Macron à coups de slogans : « Métro, boulot, caveau » ; « Une vie de labeur, une retraite de malheur » ; « Retraites, c’est mieux quand on est encore vivant » ou encore le fameux « Travaillez jusqu’à 67 ans, Yes we canne ! » des Insoumis.
« Cette réforme n’a pas de sens »
Son chef de file, Jean-Luc Mélenchon, a choisi la cité phocéenne pour manifester, car c’est ici, dans la deuxième ville de France, qu’il « peut se rendre compte le mieux de ce qui est dans les esprits » dit-il, cerclé de journalistes et en présence des députés Manuel Bompard et Hendrik Davi, tracts à la main en vue de la prochaine mobilisation parisienne.
Pour Jean-Luc Mélenchon, « cette réforme n’a pas de sens. Le gouvernement a perdu sa première bataille, celle d’avoir convaincu les gens de la nécessité de sa réforme ». Selon l’ancien député des Bouches-du-Rhône et candidat à la présidentielle, Emmanuel Macron « ne tiendra pas ».
Ce n’est pas l’avis de beaucoup de manifestants présents, peu optimistes quant à l’avenir. « C’était important d’être là, mais on sait qu’on va devoir se battre pour nous aussi, et qu’on devra retourner dans la rue plus tard », confient Fiona et son amie, la vingtaine.
« Nous on veut vivre, pas juste survivre »
D’autres comme Julien ne veulent rien concéder : « on sera là à toutes les mobilisations. Aujourd’hui, c’est positif, il y a beaucoup de monde », dit-il, juste avant d’entonner sur la Canebière le refrain « Macron t’es foutu la jeunesse est dans la rue ».
Un peu plus loin, cours Lieutaud, c’est une version inédite du fameux « I will survive” de Gloria Gaynor qui s’élève au gré de nouvelles paroles écrites pour l’occasion : « La retraite à 60 ans, bosser mieux moins longtemps, nous on veut vivre, pas juste survivre, oui, dignement, oui décemment, profitez de nos p’tits’ enfants (…) On a plein de solutions pour faire autrement (…). Augmentation des salaires, un vrai système égalitaire pour les ouvriers…».
Des mots qui font largement échos dans la foule de manifestants, parmi lesquels les blouses blanches au bord de l’épuisement. Le manque de matériel et de personnel, la pénibilité du travail, les horaires pèsent sur le moral des infirmiers, brancardiers… « Nous demander de travailler plus longtemps, c’est juste une hérésie ».
Natasha, elle, a une entreprise familiale du côté de Salon-de-Provence. Son mari est resté pour faire tourner l’entreprise, mais « il fallait qu’un de nous soit là aujourd’hui », confie la jeune femme accompagnée de sa belle-mère âgée de 70 ans et de sa petite-fille Mai, 2 ans et demi, avec déjà sa pancarte. « C’est pour elle aussi qu’on est là », poursuit sa maman.
Les manifestants décidés à faire plier le gouvernement
Depuis Barcelone, où il est actuellement en déplacement à l’occasion d’un sommet franco-espagnol, Emmanuel Macron a jugé que la réforme des retraites a été « démocratiquement présentée, validée » et qu’elle est « surtout juste et responsable ».
L’exécutif poursuivra « avec respect, esprit de dialogue, mais détermination et esprit de responsabilité », a-t-il ajouté. « Dans la rue, ça va chauffer » prédisent déjà les manifestants, bien décidés à faire plier le gouvernement.
En France, plus d’un million de manifestants ont été comptabilisés. 2 millions selon la CGT. Forte de ce succès, l’intersyndicale se projette déjà vers une deuxième journée d’action, fixée au 31 janvier.
Reportage photos : Narjasse Kerboua et Armand Pasquier.