En visitant le « laboratoire de mathématiques » de l’école Menpenti, à Marseille, Emmanuel Macron est venu constater les premiers résultats du projet « École du futur », voué à être généralisé dans l’Hexagone.

« Allons enfants de la patrie, le jour de gloire est arrivé ». Dans la cour de l’école Menpenti dans le 10e arrondissement de Marseille, les enfants entonnent « La Marseillaise ». Juste en face, c’est « Manuel, Manuel, Manuel ! », que scandent les maternelles en sautillant. Le « check » du poing est de rigueur. Un petit garçon s’agrippe à Emmanuel Macron, qui en prend deux par la main pour traverser la cour.

Ce groupe scolaire marseillais fait partie des 59 écoles de la cité phocéenne à participer à l’expérimentation baptisée « École du futur » que le chef de l’État appelait de ses vœux lors de la présentation du plan « Marseille en Grand », en septembre dernier. Ce projet vise, entre autres, à accorder une plus grande liberté pédagogique.

Un laboratoire de mathématiques qui casse les codes

Dans cette école, Emmanuel Macron accompagné de Pap Ndiaye, son nouveau ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, est venu découvrir le « laboratoire de mathématiques », impulsé par l’équipe enseignante de l’école. « Manuel » s’est prêté aux différentes activités aux côtés des enfants dans une salle dédiée et spécialement aménagée.

Ici, pas de papier ni de crayon. Des tapis et des ballons. Les élèves peuvent travailler debout, assis et même allongés, en binôme ou par groupe de trois. Ils expérimentent et manipulent, apprennent à se repérer dans l’espace, taquinent le « beebot » (robot) pour appréhender son fonctionnement, se trompent et recommencent. « Le fait de se tromper a changé leur regard sur l’erreur. En classe entière, ils se lancent plus souvent et ça a donné une cohésion de groupe », explique Sabine Bach-Puglisi, directrice de l’école élémentaire, à l’occasion de la table ronde sous les marronniers de la cour. Derrière tout ça, un seul calcul, celui de l’apprentissage des maths autrement.

La bosse des maths pour lutter contre le déterminisme

Mais les enseignantes n’ont pas attendu les grandes annonces de l’État pour imaginer une nouvelle forme d’enseignement plus adaptée aux besoins de leurs élèves, particulièrement dans cette discipline. « Face aux résultats des évaluations nationales notamment dans le domaine de la résolution de problèmes, nous avons développé d’autres méthodes d’apprentissage en passant par des mini-ateliers, des jeux, des positions dans la classe non conventionnelles », explique la directrice de la maternelle, Marie-Laure Mercun.

Une manière également de lutter contre le déterminisme de certains enfants qui pensent qu’ils ne sont pas faits pour les maths. L’appel à projets pour participer à l’expérimentation « École du futur » a permis de renforcer ce qui était déjà à l’œuvre, relancer une dynamique au sein de l’équipe et ouvert le champ des possibles sur le quartier. « Depuis trois mois, il y a une émulsion assez magique », confie la directrice du centre social, qui voit dans ce projet une façon de renforcer l’encadrement du temps périscolaire tout en développant cette appétence pour les mathématiques.

Emmanuel Macron, Emmanuel Macron à Marseille : « L’école de la République a le droit d’inventer », Made in Marseille
Table-ronde avec les enseignants, parents d’élèves, en présence des services de l’Etat et de l’Education nationale. © N.K.

Une révolution culturelle en marche ?

L’expérience est opérationnelle en maternelle depuis février dernier. Les classes élémentaires, elles, s’y rendent pour l’instant une fois tous les 15 jours. L’objectif étant de la généraliser à toute l’école. « Nous sommes passés du prêt-à-porter au sur-mesure », se plait à comparer Christian Abrard, préfet, en charge du volet pédagogique « Marseille en Grand ». « D’habitude, dans l’Éducation nationale, beaucoup de choses arrivent d’en haut. Là, on partait d’en bas ». Il admet qu’une certaine « méfiance » s’est manifestée aux prémices du projet.

L’écoute et la concertation ont été les maîtres-mots. Des échanges en visio avec la Finlande qui expérimente déjà ce dispositif, ont fini par convaincre de créer ces types de classes dites « flexibles ». « On vit une révolution culturelle », estime-t-il.

Même s’il est encore « trop tôt » pour faire un bilan, il y a un « fort attrait pour cette salle de math, les enfants ont toujours envie d’y aller », rapporte une enseignante. « Ils ne se sentent pas jugés, ils ont développé certaines capacités et surtout gagné en estime de soi », note une autre. « Les enfants sont contents, aiment découvrir, changer d’environnement », poursuit un papa.

2,5 millions d’euros sont engagés sur l’expérimentation dans les 59 écoles de la cité phocéenne. Les budgets alloués seront ventilés en fonction des différents projets développés dans chacune d’elles.

La somme des besoins

Pour poursuivre l’aventure, l’équipe a fait part de ses besoins au Président de la République, lesquels passent par plus de moyens, de matériel, de temps et de personnel, des formations plus poussées, mais surtout un assouplissement du volet administratif dont la lourdeur actuelle freine les avancées.

« Au fond, ce qu’on a lancé tous ensemble en septembre dernier (…) c’est une forme de volonté de retrouver le sel de notre école républicaine en donnant plus de moyens, de temps et de libertés aux enseignants, en lien avec les parents et les acteurs périscolaire », exprime Emmanuel Macron, prônant « l’égalité des chances qui est cette promesse républicaine. On avait commencé il y a quelques années, avec les dédoublements des classes dans les Rep et Rep+ mais on voit bien que, si on veut aller beaucoup plus vite et plus fort, on a besoin de mettre plus de moyens, mais aussi en donnant plus de libertés à celles et ceux qui font ».

Échec et mat d’une nouvelle approche pédagogique

Si dans le cocon de l’école, le nouveau modèle pédagogique imaginé crée l’adhésion, hors les murs, « l’école du futur » du Président est toujours contestée par les syndicats d’enseignants qui demandent son abrogation immédiate.

L’idée d’attribuer de nouvelles compétences aux directeurs en leur permettant de choisir leur équipe constitue le point crispation majeur. Depuis le départ, ils craignent de voir s’installer une « école à deux vitesses », dans une ville déjà marquée par de nombreuses inégalités et parlent d’une « dérégulation sur le modèle de l’hôpital public ».

Le maire de Marseille, Benoît Payan, s’est toujours opposé au recrutement des enseignants par les directeurs. Présent hier, il a réitéré ses propos, soulignant toutefois l’investissement unique de l’État dans le plan-école à 1,2 milliard d’euros. « C’est un vrai sujet pour lui [le Président, ndlr]. Ce n’est pas un partisan du président ni quelqu’un qui a appelé à voter pour lui qui dit ça, a pris soin de souligner l’édile. On ne se doit rien, on ne s’est pas fait de promesse, on ne se soutient pas mutuellement, on a un intérêt commun » : l’école de la République.

Plus tôt dans la matinée, la directrice martelait aussi : « Non, ce ne sont pas les directeurs qui recrutent  ! ». Quand une autre précisait que les « postes à profil » ont toujours existé. « Ce mode de recrutement, où l’on choisit un profil en fonction du projet, c’est une plus-value », insistant sur le fait que les candidats doivent « manifester leur adhésion au projet », car « cela nécessite un très gros investissement personnel ». 

Une généralisation à l’automne prochain

« Quand le 2 septembre nous avions lancé cette idée, tout le monde nous a dit que c’était complètement fou, a exprimé le locataire de l’Élysée. Avec le ministre, on se disait qu’il ne fallait pas prononcer le mot autonomie, sinon on va avoir plein d’ennuis. C’est vous qui l’avez prononcé. Il y a plein de tabous parce que le système est bloqué par beaucoup de défiance, défend le chef de l’État. L’école de la République a le droit d’inventer, d’avoir de la souplesse, d’être plus libre… vous avez contrarié beaucoup d’idées reçues ».

Se défendant de « vouloir libéraliser l’école », le chef de l’État a tenté de rassurer : « On n’a jamais dit que tous les directeurs d’écoles feraient leur propre mercato. Cela ne marcherait pas, il faut des règles nationales ».

Le chef de l’État reste résolu à faire rayonner cette nouvelle approche éducative à l’ensemble du territoire national. « Ce que vous avez fait pendant neuf mois, ce sont les prémisses d’une méthode qu’on veut généraliser. On va généraliser cette approche de Marseille en Grand », dès l’automne prochain.

Emmanuel Macron sera de retour dans quelques semaines dans la cité phocéenne pour faire un point d’étape sur son plan pour la deuxième ville de France. « Il ne faut pas avoir peur de regarder ce qui marche et ce qui ne marche pas dans ce que l’on fait (…) On verra ce qui marche et ce qui ne marche pas, et à ce moment-là, il faudra ajuster ».

Photos Narjasse Kerboua
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