À Marseille, Raedificare veut révolutionner le secteur du bâtiment, très impactant pour la planète, en développant le réemploi de matériaux pour les nouvelles constructions.
« 70 % des déchets produits en France proviennent du BTP. Soit 227 millions de tonnes. 50 tonnes finissent dans la nature. Le secteur consomme également 50 % des ressources naturelles, et ça continue d’augmenter ». Valérie Décot pose ce constat qui a motivé « d’inscrire le réemploi comme une filière à part entière du bâtiment et des travaux publics ». Dans ce but, elle a créé la structure Raedificare, basée au QG des éco-acteurs à Marseille.
C’est en 2010, à la biennale de Venise, que l’architecte de l’agence marseillaise l’Atelier de la rue Kleber subit « un électrochoc. Le collectif belge Rotor proposait une expo coup de poing pour les architectes. Elle mettait en valeur des matériaux usés. Pourquoi devraient-ils être enfouis ou incinérés ? Je me suis dit « mais oui ! On est tombé sur la tête » ».
Suite à un accident, l’architecte est immobilisée un an. « Ça m’a donné le temps de réfléchir. Je me suis demandée comment aller plus loin en mettant mes compétences au profit de la planète ? ». Elle quitte alors son poste en 2016 pour se consacrer « à 100 % à développer la filière réemploi pour le BTP dans la Région Sud ».
Réemployer au lieu de recycler
« Il ne s’agit pas de recyclage », insiste Valérie Décot. Car « fondre les métaux ou broyer le béton est encore trop impactant pour la planète. Ça demande beaucoup d’énergie, d’eau, de transport. Et il y a beaucoup de perte de matière ».
Les experts de Raedificare diagnostiquent les bâtiments voués à la destruction. « Notre première activité, c’est celle d’un bureau d’études pour des diagnostics déchets, qui sont obligatoires. Mais en plus, on propose un diagnostic ressources sur les matériaux qui peuvent être réutilisés ».
La liste est longue et varie selon le bâtiment et leur état : moellons, poutres, structures métalliques, tuiles, cloisons modulaires, menuiseries extérieures, vitres, luminaires, appareils sanitaires, équipements de bureaux…
Après une déconstruction sélective du bâti existant, « ils retournent dans le circuit de la construction neuve ou de la réhabilitation, après une légère remise en état, si nécessaire ».
« Il faut changer complètement les pratiques du bâtiment »
Les matériaux sont mis à disposition sur un catalogue en ligne, « mais on essaie d’en réemployer un maximum sur site », poursuit la fondatrice de Raedificare, pour éviter, notamment, l’impact du transport. Dans ce sens, l’objectif est de « penser la conception du nouveau bâtiment à partir des matériaux disponibles sur l’ancien ».
Comme pour le futur campus du numérique Théodora, que la société Unitel érige face à la station de métro Gèze à Marseille (15e). « On va réutiliser toute la structure métallique du bâtiment existant, et réutiliser quelques charpentes ».
L’architecte « est parti de ce qui allait être préservé pour penser le projet » raconte Valérie Décot. « C’est ça, notre but : convaincre les maîtres d’ouvrage et les architectes d’intégrer le réemploi de matériaux dès la conception ».
Le chemin semble encore long : « Certains sont favorables, mais il y a encore beaucoup de travail pour convaincre plus largement. Il faut changer complètement les pratiques du bâtiment »
« Le réemploi nécessite beaucoup d’emplois »
L’intérêt économique figure parmi les arguments pour convaincre les maîtres d’ouvrage. Mais il varie d’un projet à l’autre. « Ça dépend des cas. Les frais liés aux décharges professionnelles sont importants et le réemploi peut réduire fortement le coût total d’une opération ». Pour d’autres, il n’y a pas d’impact, « ça revient au même prix que du neuf ».
La démarche peut aussi augmenter le prix d’un projet. « Mais certains maîtres d’ouvrage sont prêts à payer plus cher pour la planète ou pour l’image. Ou conserver la charge patrimoniale du bâtiment par le matériau ».
Ils sont aussi poussés par la nouvelle règlementation environnementale française en vigueur depuis début 2021, la RE2020. Dans ce nouveau barème qui mesure l’impact carbone du bâtiment, « le réemploi compte pour zéro », explique Valérie Décot.
Elle insiste également sur le potentiel de cette filière sur l’activité du bâtiment à plus grande échelle. « Le réemploi nécessite beaucoup plus d’emplois que si on détruit ou enfouit juste les déchets ».
Euromed : « un terrain de jeu énorme »
Raedificare a largement développé ses activités sur le projet de rénovation urbaine géant qu’est Euroméditerranée à Marseille. « Nous avons signé un accord cadre sur 4 ans avec l’établissement public d’aménagement pour l’accompagner sur toutes les démolitions, explique Valérie Décot. Ça représente 106 000 m² ! C’est un terrain de jeu énorme pour nous. Il nous a permis de développer ces nouvelles filières ».
Lors du premier projet « un peu expérimental », sur le site de l’ancien garage Peugeot rue de Lyon, « nous avons économisé 20 tonnes de matériaux. Depuis, nous en sommes à 800 tonnes sur le périmètre ».
De Marseille au Canada, changement d’échelle pour Raedificare
La structure séduit désormais de nombreux acteurs. Certains publics, comme la Ville de Toulon pour la nouvelle Médiathèque Marnata, la filiale immobilière de la Caisse des dépôts CDC Habitat. Ou des géants du privé tels Constructa, Bouygues immobilier, Eiffage, Nexity…
« On commence à avoir des pistes avec le Canada et des pays d’Europe. On travaille par exemple sur le projet d’un grand centre commercial à Genève », poursuit l’ancienne architecte. Un changement d’échelle pour Raedificare qui a poussé à transformer l’association en société dernièrement.
Mais les missions de sensibilisation associative se poursuivent avec une nouvelle structure : Raediviva. « C’est un terme romain pour évoquer le réemploi de la pierre ». Il est remis au goût du jour dans la cité phocéenne.